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Chapitre 2 : Helena

Bien avant que ces pratiques ne se répandent en France, Helena était une adepte du tatouage et du piercing. Elle portait un bijou sur la langue, un autre sur le nombril et une rose avait éclôt dans son dos, juste sous son épaule gauche. Elle semblait vouée à un avenir hors du commun tant elle était belle et bien faite avec, on le sentait bien, un talent particulier pour montrer son corps ou le mettre en valeur. Tout le monde pensait qu'elle réussirait, sans savoir quoi exactement.
La nuit, elle se fondait parmi les gens "lookés" qu'on autorise à entrer dans certaines boîtes de nuit pour en faire l'attrait. Je l'avais croisé à la fac avant que Sandra ne fasse sa connaissance et, comme beaucoup d'autres étudiants, j'étais tombé sous son charme.
Après quelques jours de repérages discrets, j'avais osé l'aborder un moment où elle se trouvait seule. Elle avait accepté de prendre un café avec moi.
En plein hiver, nous nous sommes installés à une terrasse ensoleillée. Elle portait une jupe assez courte et je n'ai pu manquer de remarquer les regards que pratiquement tous les hommes qui se trouvaient là ont lancés sur ses grandes jambes. Elle était sublime. Pendant que je tentais tant bien que mal d'engager une conversation avec elle, elle regardait à droite, à gauche les hommes qui détournaient leurs regards au moment où elle les fixait. Elle semblait satisfaite de l'effet produit par sa jupe et ses longues bottes. Mais le plus amusant pour elle, ce devait être moi. J'étais, au contraire d'elle, assez gêné par tous ses yeux indiscrètement posés sur nous.
Pour tenter de trouver un peu de contenance, je lui posais des questions banales auxquelles elle répondait en peu de mots. En dehors de ses études, elle faisait des photos. Quel genre de photo ? Lui ai-je demandé, pensant tenir un bon sujet de conversation en abordant un domaine artistique dans lequel, certainement, elle devait s’épanouir. De charme, m'a-t-elle répondu, sans la moindre gêne ni hésitation. Interloqué, je ne trouvais plus quoi dire, tandis qu’elle me regardait, avec sang-froid, un sourire aux lèvres, toujours très provocateur. Je venais de perdre les faibles moyens qu’il me restait avec elle. Cet instant de malaise s’est gravé dans ma mémoire comme un coup de poignard à cause des événements qui ont eu lieu par la suite. Mais, ce jour-là, assis face à Helena, c’est une pression érotique qui m’avait emporté. Des années plus tard, j'ai pu voir ces fameuses photos dans des magasines ou sur Internet. Aucune ne m'a fait autant fantasmer que d'entendre Helena me dire ce qu'elle faisait et imaginer ces photos d’elle sans les connaître.
Elle s'était lassée de moi et m'avait quittée pour rejoindre des amis qui l'attendaient ailleurs. Ensuite, je suis redevenu un parfait inconnu pour elle.

Sandra a fait sa connaissance peu de temps après. Helena et elle sont devenues les meilleures amies du monde. Comme elles sortaient ensemble tous les soirs, j'imaginais qu'Helena lui avait appris quel dragueur pitoyable j'étais. J'en mourrais de honte et de rage. Mais mon amie semblait ne plus m'accorder la moindre importance. Elle me parlait de moins en moins et sortait de plus en plus. Les conversations qu'elle avait avec Helena et, certainement, d'autres personnes rencontrées en boîte, devait lui suffire.
Ce monde superficiel lui plaisait, en particulier lorsqu'elle y croisait des personnes célèbres. Alors seulement, elle se permettait une trêve dans le mutisme qu'elle me réservait. J'ai vu Pierre Palmade en boîte, me disait-elle le lendemain, le regard encore émerveillé, comme si cette rencontre était de nature à changer notre vie.
N'ayant jamais apprécié ces personnalités du spectacle qui fréquentent assidûment les discothèques à la mode, je ne pouvais me réjouir avec elle, je m'en fout, lui répondais-je. La plupart de nos conversations s'arrêtaient là. Tu n'es qu'un con, me disait-elle, quelquefois, tu ne comprends rien.
Effectivement, je ne comprenais rien.
Pour la plupart, je me suis souvent demandé ce que ces stars avaient de plus que le commun des mortels, si ce n'est de passer à la télévision, de jouer dans des films stupides et de chanter des chansons idiotes. Selon moi, le vrai talent était celui des écrivains qui éclairent le monde avec leur style, leur intelligence et leur dévouement total à leur art. Toutes les bouffonneries dont on dit vulgairement qu'elles marchent parce qu'un grand nombre d'imbéciles les achètent, ne m'inspiraient qu'un profond mépris.
Sandra s'était au contraire résolument éloignée du monde de l'esprit et des choses profondes pour plonger dans celui des paillettes et de la superficialité. Elle avait le sentiment de découvrir la vraie vie pendant que je devenais, moi, pauvre casanier, difficile et ennuyeux.
Elle s'amusait comme une folle en compagnie d'Helena et rentrait souvent après moi le matin pour se coucher, sans prononcer le moindre mot, à mes côtés.

Helena avait finalement pris une place importante dans notre vie mais pas de la manière que j'aurai voulu. Je m'étais mis à la détester et bien qu'elle n'ait jamais fait la moindre allusion à notre première rencontre, je sentais le danger qu'elle représentait pour mon couple. Je ne pouvais croire, surtout, qu'une fille comme elle s'intéresse réellement à Sandra. Je ne manquais aucune occasion de la critiquer sévèrement, affirmant toujours à Sandra qu'il était dans son intérêt de ne plus voir Helena.
En réalité, la jalousie m'avait rendu aveugle. J'étais incapable de voir à quel point Sandra avait changée et que, sans doute, je ne correspondais plus à ce qu'elle attendait de la vie.
Elle a certainement longtemps hésité avant de me quitter, en raison des deux années que nous avons vécu ensemble, qui l'avaient, en quelque sorte, liée à moi. Elle a hésité en raison de choses qui n'existaient plus, mais que je tentais, de mon côté, désespérément de préserver. Tous mes efforts pour la ramener à moi produisaient donc les effets inverses.

Cela s'est passé de la manière la plus simple du monde. N'en pouvant plus d'entendre mes reproches, elle a pris un sac et s'est mise à y fourrer quelques affaires. Elle le remplissait avec les vêtements qui lui tombaient sous la main, sans faire le moindre choix. Ses gestes ne me paraissaient pas réel. Je lui ai demandé, qu'est-ce que tu fait ? Je m'en vais. Il ne s'agissait pas, pour moi, d'une véritable rupture mais de l'occasion, peut-être bénéfique, pour elle, comme pour moi, de prendre du recul.

Les jours suivants, j'étais sans nouvelle d'elle. Je remarquais quelques changements dans l'appartement. Sandra revenait durant mes absences. Un matin, en rentrant me coucher après mon travail à l'hôtel, j'ai trouvé une lettre sur la table. Elle avait réuni toutes ses affaires. Helena devait passer les prendre en voiture. Elle ne voulait plus me voir.

Helena est effectivement venue. Pour l'occasion, elle portait des lunettes noires et s'était fait accompagnée par l'une de ses amies. Durant un court instant, j'ai cru qu'il s'agissait de Sandra. Mais ce n'était pas elle.
Deux aller-retour leur ont suffit pour effacer les derniers témoignages de sa présence dans ma vie.
Avant qu'elle ne passe la porte, je n'ai pu m'empêcher de retenir Helena. J'ai vraiment besoin de parler à Sandra … Elle ne peut pas me quitter comme ça, ai-je rajouté.
Helena a secoué la tête. Puis en me regardant bien en face elle m'a répondu : C'est trop tard, il fallait le faire avant… Ensuite, ce fut le vide.

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