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Roman version1 > Chap4 : Le champ des interdits

Tout ceux et toutes celles qui ont vécus à Belleville au début des années 90 ont forcément croisé Hakim un jour où l'autre ; ils lui ont acheté quelque chose, ou ne se sont rendu compte de rien. Il avait fait du tabac de la rue du faubourg du temple son QG car, perdu dans la masse des parieurs chinois, il passait inaperçu et pouvait rencontrer du monde discrétos. Tous les autres clients étaient occupés par les courses ou le grattage de leurs tickets de millionnaire. Lorsqu'il n'avait aucun rendez-vous, Hakim aimait regarder toutes ces personnes en proie à la fièvre du jeu. Cela lui semblait extraordinaire et il regrettait de ne pouvoir organiser des paris pour les asiatiques. Il connaissait certaines de leur salles de jeux clandestines, mais, malheureusement, il ne pouvait y accéder.

A Belleville, les asiatiques ont toujours formés une communauté à part et très fermée : Hakim regrettait réellement de ne pouvoir en faire partie. Ils sont très forts, me disait-il, moi je leur tire franchement mon chapeau. T'entends jamais parler d'eux mais y font plein de frics. Je trouvais, moi aussi, qu'ils étaient un bon exemple à suivre. J'avais en tête un vieux cliché qui veut que les asiatiques soient solidaires et travailleurs, alors que les noirs, comme les arabes, se tirent dans les pattes dès qu'ils le peuvent et ne foutent rien.

Lorsqu'on parle de sans-papier en France, on imagine souvent des Africains mais très rarement des asiatiques. Cela ne veut pourtant pas dire qu'ils sont tous en règle. Loin de là. Mais bon, les Africains, il est plus facile de les concentrer dans des quartiers sou-pression et de dire qu'il y en a trop en France. Les asiatiques sont beaucoup plus malins et ne se laissent pas avoir à ce jeu-là. Ils se concentrent tous seuls dans les quartiers où on veut bien d'eux et font leurs affaires, très discrètement, sans emmerder personne. Finalement on les oubli. Visiblement, ils paient, comme tout le monde, des impôts mais ne profitent jamais de la sécu, du chômage, ou des allocations familiales. Y font rien comme nous aut', disait Hakim, y sont trop forts. Mais, lui mis à part, ni les noirs ni les arabes n'appréciaient les yeux bridés à Belleville.

Dans les bandes de jeunes du quartier ont voyait des blacks, des beurs mais jamais d'asiatique. Les seuls rapports que les jeunes blacks et beurs avaient avec eux, c'était pour les dépouiller. Ces jeunes français choisissaient en général leurs victimes parmi ceux qui n'avaient pas de papier et travaillaient dans des ateliers clandestins. Ils les attendaient, le vendredi soir, lorsqu'ils avaient touchés leur paie en liquide, dans la rue Jules Vernes, car elle était très calme. Les victimes se faisaient agressées en poussant des grands gris mais ne faisaient jamais d'histoire par la suite. Elles disparaissaient, comme leurs agresseurs, avant l'arrivée de la police. Y font chier les "petits" disait alors Hakim, car ces jeunes avaient entre 13 et 15 ans. Ils avaient trouvé là le moyen de se faire un peu d'argent de poche. Ce ne devait pas être grand chose. Très souvent la victime avait connu plus de peur que de mal. Pour ces enfants ( car c'était malgré tout des enfants ) la distinction entre prendre et voler était très flou, quant au mot agresser, comme nous nous sentons tous agressé plusieurs fois par jour, il ne voulait plus rien dire.

A l'instar des asiatiques, Hakim aurait aimé être le plus discret possible, de manière à se rendre invisible aux yeux des flics et faire son business tranquille. Il ne faisait que rendre service aux gens qui fument, disait-il, d'ailleurs, jamais on ne le verra vendre des saloperies comme le crack ou l'héro. Néanmoins, si vous vouliez passer pour un branché dans une soirée, Hakim était en mesure de vous procurer de la coke ou de l'ecstasy. Il en vendait de plus en plus depuis que les raves et les afters étaient à la mode, mais il n'aimait pas trop toucher à ces trucs-là non plus. Il était assurément victime de la loi du marché et, si le shit se vendait moins, il était bien obligé de vendre ce que les gens lui demandaient, n'est-ce pas ? C'est l'offre et la demande. De plus, toute entreprise doit savoir se diversifier pour conquérir des nouveaux marchés. Hakim l'avait compris mieux que quiconque ; il commençait à gagner beaucoup d'argent avec l'ecstasy.

Ces pilules avaient vraiment la côte et, lorsque j'en ai pris, moi aussi, pour la première fois, j'ai passé une soirée géniale à faire la fête dans une boîte de Pigalle, essentiellement fréquentée par des homos. A l'époque, ils étaient les seuls à savoir faire la fête et, sans le milieu homosexuel, plus personne n'aurait pu écrire comme Hemingway "Paris est une fête" ; la ville aurait perdu énormément de son prestige. Ce qui est extraordinaire, c'est qu'ils ont réinventé la fête à une époque où bon nombre d'entre eux mourraient du Sida. Avaient-ils conscience de la fin prochaine de notre monde ? Je n'en sais rien. Les meilleurs boîtes étaient homos, les meilleurs soirée également et la musique techno appartenait à tel point à la culture homosexuel que Fréquence Gay la diffusait jour et nuit.

Profitant de cette ambiance de célébration de la fin d'un monde, Hakim devenait le numéro un de l'ecstasy sur Belleville et Oberkampf, avec un fort taux de pénétration à Pigalle, où la concurrence, très coriace, était fort présente. Mais tout ça, c'était pour rendre service et, au final, à ses yeux, rien de ce qu'il faisait n'était répréhensible. S'il n'y avait pas tous ces gens pour acheter, je ne vendrais rien, affirmait-il. Comme les gens en demandaient, il vendait et, si la loi l'interdisait, c'était encore mieux car ses marges de bénéfices étaient plus importantes.

La justice avait donc son rôle à jouer auprès d'Hakim. C'est pourquoi, pour la pérennité de son commerce, et pour son avenir en tant qu'homme libre, il tenait à voir Belleville sans être vu. Il prenait des renseignements sur le maximum de gens qui habitaient le quartier, craignant d'avoir un jour, parmi ses clients, un certain Monsieur "la balance". Il m'expliqua que c'était normal, qu'ayant vécus 20 ans dans ce quartier, ils voyait passer toutes les têtes et ne les oubliait pas après. Bien avant que je ne fasse sa connaissance, il savait qui j'étais. Il savait que je travaillais de nuit et que je sortais avec Sandra. Sur elle, il en savait davantage encore, mais il ne m'a jamais rien dit, si ce n'est qu'il lui avait vendu de l'ecstasy une ou deux fois, comme ça, pour lui rendre service.

:: Commentaire
Ce chapitre était à l'origine le 4eme du roman. Cependant, bien que l'idée qui me l'avait fait écrire me semble toujours assez bonne ( montrer, à travers l'exemple d'Hakim que les jeunes qui commettent des délits n'ont pas l'impression de faire quelque chose de répréhensible ) il n'apportait rien au roman. Une lectrice me l'a dit et en relisant l'ensemble de ce que j'avais écrit, j'ai été du même avis qu'elle.
Espérons que certaines idées de ce chapitre puissent réaparaître ailleurs dans le roman.

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