Elle ne semblait pas plus satisfaite que moi de la vie mais elle était
soulagée d'avoir plaqué son boulot. "J'attendais
juste une bonne occasion pour le faire, nous confia-t-elle, c'est
vous qui me l'avez donné". Nous ne comprenions pas pourquoi
elle avait attendu que son patron se fasse agresser pour le quitter.
"Quand vous êtes parti, il a commencé à
m'engueuler, alors j'en ai eu marre, je lui ai dit qu'il avait bien
mérité de se faire casser la gueule".
Elle
était très différente de la secrétaire
que j'avais vu derrière son bureau. J'avais devant moi un
être humain à part entière. Elle parlait beaucoup
et accompagnait ses phrases de petites mimiques pour exprimer les
émotions qui en découlaient. Nous la trouvions très
sympathique. Hakim était fier de sa libération comme
de la mienne, car, pour lui, le travail c'est de la merde et, surtout,
ça n'a jamais enrichit personne. Moi, tout en la trouvant
géniale, je me demandais si le lendemain elle ne regretterait
pas son geste et ne nous en voudrait pas d'avoir fait d'elle une
chômeuse. Elle me rassura. Ce n'était pas seulement
cette bagarre qui l'avait décidé à s'en aller.
Il y avait d'autres choses également.
Cyril
avait bien changé. Il commençait à gagner de
l'argent et cela se voyait. Avant c'était quelqu'un de bien
mais, depuis qu'il se prenait pour un grand patron, il était
devenu trop fier et trop arrogant. Il se considérait de plus
en plus comme le centre du monde. Il traitait mal tout ceux qui
avaient besoin de lui. Il s'était fait des nouveaux amis.
Il connaissait des gens célèbres. Dans son bureau,
il y avait une photo où il serrait la main de Johnny dans
un bar branché. Johnny ? Ouais Johnny Halliday. Incroyable.
Il avait parlé aussi une fois à Pierre Palmade en
boîte.
Nous
passions finalement un moment assez agréable avec cette fille.
Cependant, après vingt minutes d'une discussion complice
et agréable, Hakim changea complètement d'attitude.
Il regardait Louise d'un il soupçonneux, flairant une
machination quelconque. Et, dès lors, il fit tout pour refroidir
l'ambiance chaleureuse qui s'était instaurée entre
nous. Lorsque je parlais, il me donnait des coups de pieds sous
la table pour m'obliger à me taire. Certains de ses coups
étaient si violents que je ne parvenais qu'in extremis à
ne pas lui exprimer verbalement mon mécontentement. Quand
Louise se leva pour aller aux toilettes, j'eu enfin l'occasion d'une
explication.
- Cette nana elle est hyper chelou, me dit-il, d'abord elle gueule
parce que je cogne son patron et, juste après, elle nous
court derrière pour faire copain-copain avec nous, c'est
louche ça, y a une embrouille quelque part, j'suis sûr.
- Hakim, à force de vendre du chit, je crois que tu deviens
parano, tu te méfies de tout le monde.
- Attends, j'ai failli marcher dans leur combine avec son patron,
mais on m'a pas comme ça, moi. C'est lui qui l'a envoyé
derrière nous, c'est évident. Elle bosse toujours
pour lui, c'est du bidon tout s'k'elle nous raconte.
- Non, moi je la crois.
- Toi, tu t'intéresses à son cul, oui.
- Connard !
- Mais attend, tu crois que ça se voit pas peut-être
? Tu baves devant elle.
- Bon, et alors ? ça te dérange ?
- Méfie toi d'elle, elle nous prépare un sale coup
avec son boss j'te dis.
Juste à ce moment, Louise est revenue. Elle avait toujours
le sourire aux lèvres.
- Qui prépare un sale coup ? a-t-elle demandé.
- Non, c'est rien. C'est un copain à nous qui sort avec une
fille assez bizarre, lui dis-je.
- Une fille vraiment très bizarre, précisa Hakim.
- Il n'y a pas de fille bizarre, vous savez, il n'y a que des mecs
qui ne les comprennent pas.
Hakim et moi nous nous sommes regardés, complètement
ahuris.
- Pourquoi tu dis ça ? lui demanda-t-il, toi, ton mec y te
comprend pas ?
Elle paru hésiter pendant quelques instants puis finalement
avoua :
- Je sortais avec Cyril.
- Cyril ! Me suis-je exclamé, tu veux dire que tu couchais
avec ton patron !
- Je sortais avec lui, a-t-elle précisé, ça
vous dérange ?
- Euh... Non, non, pas du tout mais...
- Et toi, ça te dérange pas de boire un verre avec
des gars qui viennent de frapper ton mec ?
Louise
a jeté sur Hakim un regard meurtrier. J'ai cru que j'allais
assisté à un autre combat. Cette fois-ci, je me tenais
prêt à m'interposer pour les empêcher de se battre.
Mais elle s'est contentée de baisser la tête - elle
devait se dire, tout comme moi, qu'il y avait déjà
eu assez de violence pour cette journée - .
- Vous êtes beaucoup plus con que je ne pensais, nous a-t-elle
lancé d'un air écurée.
Ensuite elle a pris ses affaires ( un sac à main, un paquet
de clopes, un briquet et un blouson ) et elle s'en est allé.
J'étais furieux contre Hakim.
- T'es qu'un enfoiré ! Tu fous ta merde partout !
Je m'étais levé pour tenter de rattraper la fugitive.
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