Content pour elle

sommaire des nouvelles

 

Anna est une personne que j'apprécie, une amie que je connais depuis longtemps. C'est une fille charmante lorsqu'elle se donne la peine de l'être. Je crois aussi que, jusqu'à présent, elle n'a pas eu une vie facile. Lorsque je l'ai connue, elle était dans une situation difficile à cause d'une rupture avec un homme chez qui elle vivait. À l'époque, elle ne m'en a pas raconté grand-chose, mais je devinais qu'elle n'avait plus d'endroit où habiter. Je la trouvais courageuse d'avoir quitté cet homme malgré la vie confortable qu'il pouvait lui offrir parce qu'elle ne l'aimait plus.
Souvent les gens préfèrent vivre dans des bonnes conditions matérielles avec quelqu'un qu'ils font semblant d'aimer que seul ou même avec une personne qu'ils aiment vraiment dans des mauvaises. C'est pourquoi le choix d'Anna me paraissait très courageux. Je n'étais pas sûr qu'à sa place j'aurai agi de même. Je ne suis pas non plus altruiste. Au départ, je ne savais rien d'elle et je ne souhaitais que coucher avec elle.

Quand elle est venue chez moi la première fois, nous avons longtemps discuté puis j'ai tenté de l'embrasser, mais elle a tourné sa tête. J'ai su alors que nous ne coucherions pas ensemble et je me suis demandé pourquoi elle était là. J'étais fatigué, elle ne semblait pas vouloir partir, alors je lui ai proposé de dormir avec moi sans qu'il ne se passe rien. Nous nous sommes tourné le dos et nous avons dormi. C'est ainsi qu'a débuté notre amitié. Je l'ai revue quelque temps plus tard et elle a de nouveau passé la nuit chez moi.

Finalement, je commençais à prendre l'habitude de dormir avec une femme que pourtant je désirais sans qu'il ne se passe rien. Je commençais aussi à entrevoir sa situation et pourquoi elle venait chez moi. Nous commencions à mieux nous connaître et à nous apprécier mutuellement. Ses visites se sont faites régulières, quelques fois elle restait plusieurs jours. Nous passions des bons moments ensemble. Il me semblait que vivre avec elle serait agréable. Sans doute a-t-elle eu la même idée car, après un certain temps, nous avons réellement couché ensemble. Je veux dire qu'il s'est enfin passé quelque chose. Cela a duré plusieurs jours mais il manquait à nos coucheries quelque chose d'essentiel et nous le sentions tous les deux. Nous nous apprécions sans nous aimer. Anna n'était pas très satisfaite et moi non plus. Il nous fallut mettre une terme à ce qui n'avait été qu'une erreur. Notre amitié s'en est porté mieux.

Elle m'avait confié la plupart de ses difficultés dont l'impossibilité de vivre chez ses parents. Je tentais de l'aider dans ses recherches d'appartements. N'ayant pas de revenu fixe — car elle est comédienne — aucun propriétaire ne voulait lui faire confiance malgré les cautions et les garanties que nous avions pu réunir. Elle pouvait vivre chez des amis qui lui prêtaient ou lui sous-louaient leur appartement mais ces solutions étaient toutes trop précaires. Son seul espoir était une demande qu'elle avait déposée dans une mairie. Cela devait marcher.

Nous avions cessé de nous voir pendant une longue période. Je n'avais plus de nouvelles d'elle depuis plusieurs mois lorsqu'elle me téléphona pour me dire qu'elle devait visiter quelque chose. Je la félicitais. Malheureusement mon travail ne me permettait pas de l'accompagner mais j'espérai de tout mon cœur que le studio en question lui plairait. Sa voix était heureuse au téléphone. C'était une bonne période pour elle car elle devait aussi commencer la représentation d'une pièce de théâtre et on venait de la prendre pour le tournage d'une pub.

Comme nous travaillions beaucoup tous les deux, des semaines, des mois se sont encore écoulés avant qu'elle ne m'appelle à nouveau.

Elle s'était installée. Elle m'invita chez elle. Je m'y rendis avec grand plaisir. Elle habitait dans une banlieue proche. Son quartier était triste et gris et je ne l'aimais pas beaucoup. Elle habitait dans une grande tour, triste également. J'ai pris l'ascenseur jusqu'au 6e étage et elle m'a ouvert sa porte. Il y avait un petit couloir à l'entrée de son studio où elle m'a demandé de me déchausser. Je me suis retrouvé en chaussette dans la pièce principale.

Tout était très propre et bien rangé. J'ai vu qu'elle avait une photo de moi, au milieu de plusieurs autres, dans un grand cadre en verre accroché au mur. Cela m'a fait plaisir. Quand je me suis tourné pour le lui dire, j'ai vu qu'elle s'était emparée de ma veste et de mon écharpe, dont je m'étais débarrassé en les jetant sur une chaise, pour les ranger comme il le fallait sur le dossier d'une autre chaise un peu à l'écart. Je me suis excusé pour ma négligence tout en m'affalant dans un beau canapé couleur crème qui se trouvait là. À peine étais-je assis confortablement, qu'elle s'est mise à se plaindre de la difficulté de garder propre son canapé. Évidemment, le blanc est une couleur salissante. Je lui ai demandé s'il n'était pas possible de laver le beau tissu qui recouvrait le canapé, elle m'a répondu que oui mais l'important était de ne pas le salir. Je me suis senti très gêné de m'être assis dans ce canapé qui paraissait pourtant si accueillant. Un peu plus tard, j'ai voulu me rendre aux toilettes. Sa salle de bain était si propre que l'on aurait pu y dîner sans problème, j'ai pissé avec toutes les précautions nécessaires pour ne pas salir le bord de la cuvette. Quand je suis revenu dans son "salon", elle s'est levée pour aller faire une inspection derrière moi.

Toutes les choses étaient si parfaitement à leur place chez elle que je n'osais rien toucher. Je n'osais même plus bouger. Finalement, je me suis senti moi-même comme un élément parasite dans tout cet ordre et cette propreté maniaque. J'ai pris congé d'Anna et je suis rentré chez moi. J'étais content pour elle. Mais je me disais également que nous n'aurions vraiment jamais pu vivre ensemble.

 

Bookmark and Share