Imagine

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Imagine un mois de Janvier à Paris. Imagine un après-midi froid et une chambre éclairée. La chaleur y est précieusement conservée. La porte ne s'ouvre pas sans que l'on sente un courant d'air frais venu de l'extérieur ; il entre à la faveur d'une fenêtre restée ouverte dans la cuisine. Cette cuisine n'est pas loin, un petit couloir t'y emmène. Tu découvres, en y pénétrant, que le ménage n'a pas été fait depuis plusieurs jours. C'est une petite cuisine et, face à tout ce désordre, tu n'hésites pas une seconde. Quels que soient les motifs qui t'y ont conduis, tu rebrousses chemin dans la chambre. Là, une jeune fille, couchée dans un grand lit, te dit en râlant : " ferme vite la porte, il y a du froid qui entre ! " Et tu n'a pas d'autre choix que de la fermer très vite, cette porte, parce que c'est ta mère qui te parle ainsi.

Ni toi ni moi ne voulons la contrarier ce jour. Tu fermes la porte, tu t'assieds dans un coin et tu regardes. Encore du désordre, mais celui-là te dérange moins. Au contraire, tu éprouves du plaisir à regarder toutes ces choses qui traînent, parce qu'elles sont des petites parts de tes parents. Tu es dans leur nid. Ce sont leurs objets intimes que tu observes. Tu comprends alors que le désordre est lié à la personnalité ; c'est une manière pour certains individus de s'organiser. Que font-ils ? Ils sèment sur leur passage pour laisser des traces, ils se révoltent contre le vide et l'absence ; ils veulent qu'un espace soit occupé. Ils créent ainsi une sorte de tourmente, dans laquelle ils se sentent plus à leur aise ; ils se plaignent très souvent de ne plus remettre la main sur certains objets mais n'ont de cesse de corrompre toute forme d'organisation susceptible de réduire considérablement la fréquence de leurs recherches. Ton père est ainsi fait mais ta mère ne partage pas le même talent.

Elle a besoin d'un petit espace où règne l'ordre de ses affaires personnelles. Ses vêtements sont tous pliés et convenablement rangés à côté de son sac, sa montre et quelques bijoux. Il y a également un téléphone portable, qu'elle a contraint au silence, et un gros filofax.
Elle qui accumule les attributs de la femme active se prélasse sous une couette et savoure de rester couchée, bien au chaud, et de ne rien devoir faire. Quant à moi, ton père, je suis, comme cela m'arrive de plus en plus souvent, assis devant l'écran de mon ordinateur. Je découvre le monde. Je communique également. Tout est à ma portée depuis ma chambre. Je clic encore. Je reclic. Tu vois ces pages qui apparaissent sur mon écran ? C'est le monde de demain, le monde dans lequel tu vivras. Me croiras-tu lorsque je te dirais que nous arrivions à vivre sans tout cela ?

Ta mère émet un long soupir et me demande pourquoi je ne suis pas couché avec elle. Je n'ai rien à lui répondre. Au fond de moi, je suis heureux qu'elle me réclame enfin.

Je ne me fais pas prier pour la rejoindre. Mes mains sont froides, elle se plaint. Il faut un peu de patience, elles se réchaufferont au contact de sa peau. Elle ne s'y résigne pas et tente au contraire de se soustraire à mes caresses. Nous voilà pris dans une lutte farouche. Sa résistance cède rapidement ; elle est ravie de mes efforts pour l'enlacer. Mes mains sont libres d'explorer son corps et sa nudité ; si elle frisonne encore, c'est d'une autre manière et pour un autre motif que leur fraîcheur.

D'abord son ventre ensuite ses seins, deux petits monticules avec leurs pointes aux sommets, que je caresse, que je pince, que je mordille. Ma bouche en a acquis le goût ainsi que celui de sa peau. Ce sont ces saveurs vitales et insatiables qui m'emportent vers un désir impossible à réfréner. Doucement je descends. Je suis les courbes de son corps. Je le caresserai et je l'embrasserai en entier, j'y consacrerai mon temps et, pourquoi pas, ma vie. Mais les choses vont plus vite. Je l'entends gémir et murmurer. Je suis couché sur elle. Nous faisons l'amour dans cette position classique que l'on appelle le missionnaire. Ne me demande pas pourquoi. J'imagine que la plupart des enfants se font de cette manière. Mais nous, nous ne voulons rien, qu'obéir au mouvement qui nous poussent l'un vers l'autre, au besoin d'unir nos corps, à ces puissants instincts qui parlent à notre place et balaient notre conscience. Nous sommes des bêtes, si tu veux, mais quel bonheur de se plonger ainsi dans l'amour et de laisser nos corps s'exprimer.

D'habitude nos coïts durent plus longtemps et nous changeons souvent de position. Mais, là, le missionnaire à suffit. Mon corps a explosé alors qu'elle me retenait entre ses jambes.

Quelques jours plus tard, elle m'a dit qu'elle était enceinte. Evidemment, ce n'était pas une plaisanterie. J'ai été assez bête pour lui demander… Mais ce n'était pas une bonne nouvelle non plus.

 

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