Un soir

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Christelle dort et moi je suis réveillé. Bien trop réveillé puisque je sors. Je marche dans la ville. C'est une chose que je sais faire ça, je l'ai bien apprise lorsque j'étais à New York. Là-bas, marcher devient vital. Ceux qui restent immobiles sont morts. Il faut être en mouvement pour survivre. Reste à choisir sa manière de se fondre dans ce mouvement perpétuel. Moi, j'étais un peu à l'écart ; profitant de mon statut "d'Alien", j'observais. Regarder, c'est la seule chose que j'ai su faire. Marcher en regardant : voilà toute la différence. S'étonner de ce qui, à l'œil du New-yorkais, paraît banal, découvrir la nouveauté à chaque coin de rue, sont des petites satisfactions qui me permettaient de continuer.

Jamais je ne me suis lassé, et je n'ai pas tout vu. La ville m'a porté dans ses remous avant de me rejeter. J'ai fini par rentrer à Paris. Autrement, durant près d'une année, j'ai été très réceptif. Je me suis laissé entraîner à travers les rues et les avenues sans opposer la moindre résistance. Quelques fois, ce que je voyais m'enthousiasmait ou me faisait rêver, d'autres fois, je me sentais révolté. Mais peu importe, je savais que chaque pas dans cette ville me conduisait vers des découvertes étonnantes. Je me sentais vivre pleinement parce qu'aucune de mes journées, bien que je les occupais toutes à marcher, ne me semblait identique. Dans mes pires moments, je n'ai jamais désespéré à cause de ma situation. Dominique, une française que j'ai rencontrée là-bas, m'a affirmé que j'avais une bonne étoile. Je ne l'ai jamais crue. Simplement, lorsqu'on se soumet à une ville comme New York, sans chercher à la conquérir, on s'ouvre au monde, on s'ouvre aux autres. Les choses arrivent d'elles-mêmes. Les bonnes valent bien les mauvaises puisque la ville est faite de ces oppositions répétées dans tous les domaines. Il faut tout accepter parce que l'on sent bien que rien n'est éternel ; jamais une situation ne reste figée à New York et demain est souvent très différent d'aujourd'hui. J'ai compris tout cela en parcourant la ville à pied.

Au départ, je marchais pour trouver du travail. Tous les restaurants, au sud de Manhattan, qui portent une enseigne française, ont eu droit à ma visite. La réponse était toujours une autre adresse. Pour ne pas perdre espoir dans mes recherches, d'une adresse à une autre, je m'accordais toujours le temps de flâner. Cela me faisait du bien, car rien ne vaut les promenades que l'on fait seul, à des milliers de kilomètres des siens. Les questions que l'on se pose ne sont alors plus du tout les mêmes. J'ai fini par trouver un travail mais, avant ça, j'avais pris goût à des longues promenades dans la ville, à la solitude également : j'avais appris à marcher.

New-York, c'est le monde entier réuni au même endroit de la planète mais c'est aussi chacun, dans sa solitude, face à lui-même. Soit on décide d'aller à sa propre découverte (ce qui est rare), soit on craint de se mettre à nu et on cherche à se construire une image. Aux États-Unis, les modèles abondent pour cela. C'est une société qui ne connaît que deux catégories : les gagnants et les perdants. La notoriété, la célébrité peuvent avoir un tel éclat qu'un seul exemple de réussite, dans quelques domaines que se soit, permet de ne pas voir les millions de gens qui restent sur les bords des routes : ceux pour qui les sommets sont à des hauteurs inaccessibles. Je ne souhaitais pas grimper tout en haut des gratte-ciels mais simplement marcher dans les rues et sentir mes deux pieds bien posés sur le sol. J'ai toujours voulu voir le monde qui m'entoure tel qu'il est et rencontrer des êtres humains qui portent en eux leurs principales richesses. Cela est possible, même à New York.

A Paris, je prends encore le temps de marcher. Je marche comme si j'étais seul au monde, en n'attendant rien de la ville que ce qu'elle m'offrira au prochain tournant. Paris est agréable à regarder. Elle n'a pas l'énergie de New-York mais quelle assurance! autant dans ses richesses que dans sa beauté. Paris fait plus que se laisser regarder, elle se montre, elle s'exhibe. Elle séduit alors que New York impressionne. Mais, où que l'on soit, les gens ne savent pas regarder leur ville, il la supporte. Très souvent, ils la jugent rapidement, selon des critères qui me paraissent toujours aléatoires et farfelus. Ont-ils beaucoup d'amis dans la ville ? Leur travail leur plaît-il ? Sont-ils souvent bousculés dans le métro ? Alors que voient-ils de la ville en dehors des amis, du travail et du métro ? Marchez donc tout seul, j'ai envie de leur dire. Cela fait peur mais c'est la meilleure façon de voir et de comprendre. Comprendre les choses, et puis les gens également.

Je n'ai pas raconté tout ça à Christelle évidemment, car elle dormait. Pourtant, j'en aurais eu envie si je n'étais pas sorti. Je l'aurais prise dans mes bras en lui parlant et, à nouveau, je me serais senti bien. Mais j'ai préféré m'abandonner à la ville. La nuit, Paris ne subit pas toute l'agitation qu'elle connaît durant la journée ; elle reprend son souffle calmement avant qu'un nouveau jour ne se lève. J'ai voulu profité de ce répit, car moi aussi j'avais besoin de reprendre mon souffle.

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