| Accueil | Poésie | Nouvelles | Roman | Liens | Auteur | Forum
Chapitre 1 | Chapitre 2 | Chapitre 3 | Chapitre 4 | Chapitre 5 | Chapitre 6 | Chapitre 7 | Chapitre 8 | Chapitre 9 | Chapitre 10 | Chapitre 11 | Chapitre 12 | Chapitre 13 | Chapitre 14 | Chapitre 15 | Chapitre 16 |

Pour vous faciliter la navigation à travers les différents chapitres des différentes versions du roman, vous pouvez utiliser la télécommande, elle se présente sous la forme d'une fenêtrre pop-up dans laquelle se trouve un menu pour chaque version du roman. Vous pouvez l'activer en cliquant sur ce lien

1er version du roman> Chap 2 : Jésus

 

Pendant 2 ans, j'étais au chômage et je tentais d'oublier Sandra. A part quelques petits boulots au noir, rien ne me permettait de dire que j'avais ma place dans la société et je commençais à éprouver le sérieux besoin de justifier mon existence. J'avais essayé d'écrire. Mes tentatives n'avaient abouti à rien. Je possédais quelques manuscrits inachevés et des nouvelles pas très bonnes. Dans un élan de réalisme (je n'avais aucun talent) et pour faire face à mes soucis financiers, je m'étais décidé à chercher sérieusement du travail.

Engagé dans des recherches infructueuses, je croisais Jésus, en descendant du RER à la station Auber (je ne me souviendrais jamais de ce qui m'avait valu d'y être ce jour là-bas). Il affichait un sourire digne d'une campagne publicitaire pour n'importe quel produit susceptible de nous apporter le bonheur à défaut de dents vraiment blanches et il me fit une accolade fort sympathique, en plein milieu d'une foule de gens pressés qui, bizarrement, bien que nous fusions sur leur passage, ne nous bousculèrent pas. Jésus était heureux de tomber sur moi et ne voulait plus me lâcher.

Nous nous étions connus quelques années plus auparavant, alors que j'étais encore lycéen. Je passais mon temps avec d'autres élèves dans un bar où il travaillait. Nous étions de si mauvais clients qu'à moins de nous trouver forts sympathiques un serveur n'aurait pu nous supporter pendant toute une année scolaire ; il fallait qu'il soit issu d'une race à part de garçons de café parisien, car la plupart ont beaucoup de mal à voir des clients occuper une table pendant plusieurs heures sans renouveler leur commande. En général, n'ayons pas peur des mots, ils sont odieux. C'est pourquoi, lorsque l'un d'entre eux se montre aussi tolérant envers la jeunesse que Jésus l'a été, nous sommes tout de suite prêt à l'adopter. A force de ne nous servir qu'un café, que nous mettions parfois un après-midi entier à consommer, il était devenu comme un autre membre de la bande.

Si son serveur nous avait adoptés, en revanche ce n'était pas le cas du patron du bar en question. Jésus y a fait son temps puis il a disparu. Il avait été renvoyé à cause de nous. C'est le bruit qui à couru dans tout le lycée. Après son départ, nous ne sommes plus retournés dans ce bar. Ce qui prouve (si cette rumeur était exacte évidemment) que le patron avait bien fait de le viré pour se débarrasser de nous. Cependant, nous étions absolument persuadé du contraire et nous pensions que, privé de notre clientèle, il ne tarderait pas à mettre la clé sous la porte. L'idée de ce boycott nous avait été inspirée par un film de Spike Lee.

Je ne m'attendais absolument pas à revoir Jésus, ni ce jour-là ni aucun autre, et, s'il ne m'avait pas reconnu, je crois que je serais passé devant lui sans m'en rendre compte. Pourtant, il n'avait que peu changé. Toujours la même moustache, toujours le même sourire, qui semblait celui d'un enfant, et toujours ses yeux très clairs et ses beaux cheveux noirs, qu'il continuait à bien soigner. Le temps avait toutefois marqué son visage. Il me fallu quelques secondes pour établir toutes les connexions entre l'homme qui se trouvait devant moi et ma dernière année de lycée.

Jésus était très heureux de me revoir. Il me donnait des grandes tapes sur l'épaule, ce dont j'ai horreur. Toutefois, je me suis toujours privé de mettre fin à ce type de mouvement d'enthousiasme. Je me laissais emporté par cet ami retrouvé mais je n'avais rien de drôle ni de très intéressant à lui raconter. J'étais en pleine galère. Il me proposa de boire un verre. Nous étions arrivés à l'un de ses "bistrot-comptoirs" que l'on trouve dans toutes les grandes gares parisiennes. Ce sont des comptoirs où les vrais alcooliques peuvent se ravitailler en attendant leur correspondance. Ils permettent d'arriver au travail avec suffisamment d'alcool dans le sang pour tenir jusqu'au p'tit coup de rouge à midi. Jésus en était le gérant. Il m'a expliqué qu'il avait également la gérance d'autres établissements à Gare de Lyon et à Montparnasse. Il m'a donné sa carte de visite. Je pouvais passer quand je voulais et, s'il était là, il me servirait un coup gratis.

Les affaires marchaient plutôt bien pour lui ; je l'en félicitais. Lorsqu'il m'a dit et toi raconte un peu ce que tu deviens, je n'avais d'autre choix que de lui expliquer ma situation. Je lui dit alors ma peine pour trouver du travail. Il m'écoutait comme un docteur écoute un patient qui lui dit qu'il a mal, avec l'air de dire que tout ça n'était pas bien grave. Il était certain de me donner les moyens de m'en sortir grâce à ses relations et, fier de la boîte de coursier pour laquelle il avait travaillé pendant 2 ans, il m'a vivement recommandé de prendre contact avec son ancien patron. C'était, d'après Jésus, un jeune patron, presque de mon âge, vraiment génial, super sympa, qui avait été pour lui à la fois un copain et un patron, à moins que ce ne soit l'inverse : un patron ensuite un copain. Il pensait que j'allais bien m'entendre avec lui, il en était même certain.

J'avais noté le numéro de téléphone du jeune patron derrière la carte de visite de Jésus. Il s'appelait Cyril. Jésus m'avait expliqué que tout le monde l'appelait par son prénom, même ses employés. De retour chez moi, j'ai beaucoup hésité. Coursier, ce n'était pas un boulot évident. Devais-je le faire ou ne devais-je pas le faire ? Il y a beaucoup d'accidents dans ce métier et je savais à peine conduire une mobylette. Je pesais le pour et le contre. Mes inquiétudes n'étaient pas fondées. Mais en réalité, je n'avais vraiment plus le choix. N'importe quoi pourvus que je gagne un peu d'argent. C'était un leitmotiv qui me revenait sans arrêt à l'esprit. Tu n'as pas le choix.


Envoyer un mail à l'auteur | haut de page | Derniere version

Le téléphone trônait sur une étagère, à côté de mes bande-dessinées. Il restait silencieux, attendant que je prenne ma vie en main. Il semblait me dire que les choses ne viennent jamais d'elles-mêmes. J'ai décroché et j'ai composé le numéro du jeune patron. Je n'avais absolument rien à perdre. Cyril m'a répondu, il était très occupé. Comme je lui ai dit qu'il m'avait été vivement recommandé par Jésus de l'appeler, il m'a donné rendez-vous le jour suivant, à l'heure du déjeuner. Il cherchait à optimiser son temps au maximum. C'était important pour lui car il en avait peu. J'en conclu que ce jeune patron ne devait que très rarement manger. En tout cas, ce devait être un monstre de travail. Ayant pris l'habitude de me lever tard, cet horaire me convenait et, pour ce qui est du monstre de travail, j'étais resté si longtemps inactif que l'idée d'en devenir un également ne me déplaisait guère, bien au contraire, je me sentais pris dans un élan, une volonté de changement de vie, dont l'issue finale pouvait être ce nouvel état. Après avoir raccroché, j'étais très motivé, presque enthousiaste.

Le lendemain, cet enthousiasme avait cédé la place à une grande appréhension. Pour une raison ou pour une autre, Cyril ( j'avais déjà adopté son prénom ) aurait pu ne pas m'engager. En me référant aux dires de Jésus, cela paraissait très peu probable mais je ne pouvais éloigner de moi des pensées pessimistes et l'augure d'un échec. Tout en buvant mon café, débout dans ma cuisine, je me persuadais que les choses iraient pour le mieux. Je m'habillais calmement, avec des vêtement qui me donnaient une allure très présentable. Je me regardais dans le miroir, derrière la porte de la salle de bain, en me demandant : comment s'habillent les coursiers en général ? Pour l'occasion, je m'étais repassé une chemise, ce qui, après coup, ne me semblait pas absolument une bonne idée.

Vint le moment de partir. Je descendis l'escalier avec, toujours, une petite boule dans ma gorge et, toujours, me disant que ça n'allait pas marcher. Hakim était en bas, il s'apprêtait à monter chez moi. Il avait un pur shit marocain à me faire goûter. C'est d'la bal pour commencer la journée. J'hésitais un peu, pensant qu'un joint me ferait effectivement du bien. Mais non, finalement je refusais à cause de mon rendez-vous. Je voulais assurer, ne serait-ce que par respect pour mon ami Jésus. Lorsque j'eu expliqué tout cela à Hakim, il tint absolument à m'accompagner, car il voulait voir comment ça se passe quand on cherche du boulot.

Je fus très surpris. Il n'avait jamais travaillé. Je ne pouvais le croire mais il me confirma que oui. Je tentais de lui faire peur en lui expliquant comment fonctionne le système de retraite en France, mais il le connaissait et avait choisi de prendre d'autres dispositions. Il ne voulait pas compter sur les français pour le nourrir lorsqu'il serait vieux. A l'entendre, il avait une situation de rêve. Contrairement à moi, et à beaucoup d'autres jeunes, il savait quoi faire de sa vie. Il voulait gagner plein de fric. Pas seulement pour lui mais pour sa famille d'abord. Il aimait énormément sa sœur et voulait tout faire pour elle, afin qu'elle ait une vie de princesse. Vendre du shit lui rapportait bien plus qu'un emploi-jeune.

Dieu merci, ma famille n'attend rien de moi, me dis-je. Ma mère, que je trouvais même un peu radine, avait suffisamment d'argent et ma sœur faisait sa vie avec un homme qui avait une situation. Elle-même avait travaillé dans une grosse compagnie pétrolière. Elle avait eu un bon salaire, avant de se faire virée, suite à une fusion avec une autre compagnie, et de se retrouver femme au foyer. J'étais le plus mal loti finalement, bien qu'ayant eu assez tôt l'impression de prendre un départ convenable dans la vie. J'avais eu suffisamment de courage pour quitter le foyer maternel et gagner tout seul ma vie mais, depuis, une tempête était passée et avait tout balayée : elle s'appelait Sandra. L'assurance d'Hakim était une chose que j'espérais pouvoir connaître à nouveau, un jour ou l'autre. Il m'aidait beaucoup, certainement sans le savoir, à franchir cette période difficile de mon existence.

Je ne pouvais en dire autant des amis que j'avais à l'époque où j'étais avec Sandra. Ceux-là ont sans doute fini par en avoir marre de moi, de cette douleur qu'ils ne pouvaient qu'essayer de comprendre. Moi-même, aujourd'hui, je ne saurais me l'expliquer, mais je l'ai vécus, ce qui est mieux. Leur ai-je trop montré de peine ? Leur ai-je trop parlé d'elle ? La seule qui, au bout de quelques mois, ait eu une certaine indulgence à mon égard ce fut Nadine. Elle, elle n'avait jamais appréciée Sandra. Nous avons couché ensemble. Les choses en sont restées là, car elle a très vite compris que je ne pouvais qu'être très partiellement avec elle. Elle avait essayé d'autres garçons et pouvais m'assurer, après notre nuit d'amour, que j'avais été le pire. C'est vrai, j'étais réellement torturé et peu dans mon assiette. Nadine n'a pas insisté. On s'est perdu de vue. J'ai d'ailleurs plus ou moins perdu de vue les autres également. Avec le départ de Sandra, mon cercle d'amis s'était dissout de la manière la plus naturelle qui soit. Un nouveau cercle se créait plus lentement : Hakim en faisait parti, il était même en très bonne position.