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1er version du roman> Chap 4 : Cyril

La société de Cyril se trouvait dans le 17eme arrondissement. Dans le métro, Hakim me demanda pourquoi je voulait être coursier ; il trouvait très bizarre que, ayant lu tous ces livres, je rencontre des difficultés à trouver du travail. D'après lui, ce n'était pas ce boulot là que je devais faire. Il me voyait mieux comme intellectuel ou, si vraiment j'avais rien de mieux, prof.
Sortis du métro, nous avons repéré sur un plan la petite rue où se trouvait l'entreprise de mon futur employeur. Arrivé là-bas, Hakim a changé d'avis ; finalement il préférait attendre dans un petit café à côté, plutôt que d'entrer avec moi chez l'ancien patron de Jésus. On sait jamais, m'a-t-il dit, si ça se trouve il va vouloir m'embaucher à ta place. J'ai souri, tellement cela me paraissait improbable. Je sais, lui ai-je répondu, que de ce côté là, il n'y a aucun risque à craindre et même, cela me ferait bien plaisir d'apprendre un jour que tu as un travail honnête.

Je n'étais sûr de rien quant à la tournure que prendrait cet entretien ; tout ce que je savais de ce jeune patron c'était ce que Jésus m'en avait dit. Un type très cool. La devanture. Grande vitre opaque sur laquelle on pouvait lire en gros caractères POIDS PLUME et, en dessous, en plus petit, LES COURSIERS LES PLUS RAPIDES. En ouvrant la porte, je m'imaginais déjà tel Hermès, véritable messager ailé, parcourant Paris, en long, en large et en travers, pour porter des messages urgents et confidentiels dans des sociétés. Je me voyais chevauchant l'un des beaux scooters garés en face. Avoir une telle vision est, sans doute, ce que l'on peut appeler mettre de la magie dans sa vie. Pour donner encore plus de charme à ce tableau, je me retrouvais devant une jeune fille blonde, jolie, dont la tâche était, entre des multiples autres, d'accueillir les visiteurs avec un grand sourire. Je me présentais donc à elle. Elle me sourit gentiment puis décrocha son téléphone pour prévenir Cyril de mon arrivée.

Ce cérémonial cadrait mal avec le local dans lequel je me trouvais. Il y avait de l'espace, certes, mais c'était un véritable capharnaüm. Des documents, des bons de commandes, des plis, des colis partout sur le moindre espace de table ou d'étagères. Les murs étaient d'un jaune triste, recouverts des plannings des coursiers, d'un immense plan de paris et des affiches publicitaires ventant les produits des clients de la boîte. La secrétaire-hôtesse-d'accueil raccrocha et me demanda de bien vouloir patienter ; Cyril était occupé, mais il ne devrait plus tarder. Je fis quelques pas devant son bureau puis je décidais de m'asseoir dans un fauteuil qui était là, sans doute à l'intention des clients importants tant il me paraissait confortable. En réalité, à peine assis, je commençais à m'y enfoncer si profondément que je m'y senti de plus en plus empêtré.

La porte d'entrée s'ouvrit brusquement. J'entendis un gling agressif, lequel avait sans doute auparavant alerté, avec plus de douceur cependant, la secrétaire de mon arrivée. Un coursier entra, jeta un œil rapide sur moi, puis dit à la jeune secrétaire blonde aux yeux bleues qu'il pouvait faire encore une course avant d'aller déjeuner. C'était un fayot qui faisait du zèle certainement. Quand il reparti, aussi vite qu'il était arrivé, je lui lançais malgré tout un "au revoir" aimable, histoire de montrer que j'étais très sociable. Il maugréa quelque chose entre ses dents puis il disparu en claquant la porte et j'entendis à nouveau le gling qui me devenait déjà familier. Cyril n'apparaissait toujours pas. Je pensais à Hakim. Il devait certainement s'impatienter, tout comme moi.

Je sentais, de temps en temps, le regard de la secrétaire se poser sur moi, mais je ne trouvais rien à lui dire. Du reste, elle faisait très bien semblant d'être absorbée par la lecture de certains documents qui jonchaient son bureau. Elle répondait également au téléphone. Je l'observais à l'œuvre, prendre des messages pour son patron et enregistrer une course urgente à faire dans l'après-midi. Sentant que j'admirais autre chose que ses compétences professionnelles, elle porta à nouveau son regard sur moi et me sourit. Je n'étais pas plus à mon aise dans l'horrible fauteuil. Au contraire, je le maudissais de plus ferme, car je m'y enfonçais toujours, le cul le premier, comme dans des sables mouvants. J'eus alors l'impression que seul le spectacle de ma lente chute vers le néant la faisait sourire. Je cherchais le prétexte, mais surtout les moyens, de m'extirper du " fauteuil sable mouvant " lorsque le Boss apparu enfin.

Dans ma classification de l'espèce humaine, il faisait parti des arrogants pourvus de ce délicat sens de l'humour qui n'autorise qu'à rire des autres, jamais de soi-même. Mais je ne le classais pas tout de suite, il me fallu d'abord entendre les premiers mots qu'il prononça.

Il eu l'air de ne pas me voir et, pendant que je rassemblais toute l'énergie musculaire nécessaire pour me lever, il dit, fier ou content de lui : "Bon, il est où ce p'tit branleur qui veut me voir ? " Cela ne correspondait pas à la description que Jésus m'en avait faite ; il n'était pas bien dans son assiette, ou alors quoi ?

En réalité, pour m'expliquer une telle distorsion entre l'image et le vécu, il m'aurait fallu savoir que, pour ce jeune patron dynamique et plein d'avenir, tous les jeunes qui ne sont pas, comme lui, à la tête d'une entreprise sont des branleurs. Ensuite, qu'à l'époque la plus difficile, lorsqu'il venait de créer sa société de coursiers, il avait largement exploité des homme tel que mon ami Jésus, ce qui lui avait permis de prospérer ; il l'avait traité en ami sachant qu'il valait bien trois employés. Mais cet époque était révolu et, sa société ayant acquis une certaine assise, il traitait ses nouveaux employés bien différemment. Jésus, évidemment, n'était pas au courant de ce changement et il croyait toujours à l'image idyllique du patron sympa qui va boire des coups avec ses salariés pour les faire bosser plus sans doute.

Sa secrétaire, au moment où il cherchait un branleur, m'a regardé de ses yeux bleues désolées réapparaître des fonds du fauteuil-sable-mouvants, grâce à un jaillissement qui me surpris moi-même. Le jeune patron suivi la direction de son regard et m'identifia. Il fit un "Ah... Super !" pour exprimer une satisfaction hypocrite mais très énergique et vint vers moi en me tendant sa main. Elle trouva la mienne et la garda prisonnière tandis qu'il me demandait des nouvelles de Jésus et comment je le connaissais. Je ne compris pas très bien ce "comment". Voulait-il signifier en quelles circonstances j'avais connu Jésus ou quelle était la profondeur de notre amitié ? Pris au dépourvus, je m'efforçais de lui donner une réponse cohérente. Ayant libéré ma main, il n'écoutait plus mes dires mais faisait une grimace. Sentant que quelque chose le dérangeait, je me tu et il me dit d'un air dégoûté

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- J'ai horreur des gens qui transpirent des mains.
Malgré ma surprise, je ne me laissais pas abattre. Je trouvais en moi suffisamment de repartie pour lui répondre du tac au tac :
- Je ne suis pas venu ici pour discuter de vos main.
Je faisais un gros effort pour garder mon calme et, dans le ton sec et tranchant de ma voix, on pouvait sans doute le percevoir.
Il me jaugea puis il souri, faussement, comme il devait en avoir l'habitude, et s'exclama :
- Un partout... ! Tu viens de marquer un point mon vieux ! Et ici, si on embauche du monde, c'est pour marquer des points pas pour se la couler douce.
Là dessus il prit un ton faussement amical et confidentiel pour me demander :
- Tu sais quel âge j'ai ?
- Non.
- J'ai 27 ans ; ça fait 3 ans que je dirige cette boîte.
- ...
- Et toi, qu'est ce que tu fais, tu es quoi ?
- Moi... ? Je suis venu ici parce que je cherche du travail : j'aime pas trop discuter...
- T'aime pas discuter ! ( il a pris un air dédaigneux ) Mais tu crois que je vais t'embaucher comment si t'aimes pas discuter ?
Au même moment, j'entendis un gling qui vint marquer la fin de sa phrase, comme un point d'interrogation qui répond à un autre point d'interrogation. Les deux points étaient face à face. Ce n'était pas un coursier mais Hakim qui venait discrètement aux nouvelles.

Cyril, n'ayant pas les oreilles suffisamment alertes pour remarquer le défit que s'étaient lancé les deux points d'interrogations n'y prêta aucune attention ; il continuait à m'apprendre des choses importantes sur moi-même. "En fait, t'es un glandeur, disait-il, Jésus, c'était un bosseur, tu sais, mais toi, t'en prends un peu trop à ton aise, tu veux jouer au grand monsieur alors que t'es rien du tout. Il ne devrait pas m'envoyer des gars comme toi, il me fait perdre mon temps, tu comprends ? " Puis, tout à coup, une idée lumineuse lui vint : "Hé, pourquoi tu n'irais pas vendre des journaux dans le métro ?" il était content de lui et allait rire de sa plaisanterie, mais son plaisir a pris fin très brusquement. La porte avait fini de faire gling depuis un certains temps déjà.

Deux grosses poignes se sont abattu sur lui, l'ont retourné et l'ont plaqué contre la grande vitre opaque. J'ai crains qu'il ne passe à travers les murs de sa société mais les vrais matériaux sont plus solides que les décors de cinéma ; la vitre ne céda pas à la pression de son corps violemment acculé par Hakim. Tout en le maintenant à quelques centimètres au dessus du sol, mon ami lui dit : "Faut faire gaffe à qui tu causes ça comme, on n'est pas venu ici pour se faire traiter comme de la merde, tu comprends p'tit merdeux ?".

Pour toute réponse Cyril tenta de se libéré en lui donnant un coup de poing au visage. Mais, dans sa position, il ne pouvait lui faire grand mal ; son geste manquait d'envergure. Hakim l'esquiva facilement et lui asséna un redoutable coup de tête. Il frappa avec précision ; son front vint parfaitement heurter le nez de Cyril.

Mon ami allait tuer un jeune chef d'entreprise mais ce n'était pas, à ma connaissance, une espèce en voie de disparition. Bien au contraire, j'approuvais au fond de moi ce qui pouvait être fait en ce sens. La secrétaire ( je l'avais presque oubliée ), s'était levée. Elle devait faire un mètre soixante dix et ouvrait des grands yeux surpris et paniqués mais toujours bleues et presque transparents, ils étaient beaux à voir. Je restais sans bouger ; j'avais quant à moi un œil sur elle et l'autre sur le téléphone, au cas où il lui serait venu à l'esprit d'appeler la police au secours de son patron. Mais elle préféra intervenir directement.

Au moment où elle allait s'avancer vers les deux hommes, Hakim balança violemment Cyril. Il alla s'effondrer sur le bureau que, pleine de sollicitude, elle venait juste de quitter. Elle n'avait plus qu'à ramasser son patron. Mais Hakim fut plus vif qu'elle. Il était sur Cyril avant qu'elle n'ait fini son geste. La jolie secrétaire le saisit alors aux épaules en l'implorant d'arrêter mais celui-ci ne voulut rien entendre : il continuait à donner des coups. Voulant le forcer à épargner son patron, elle le ceintura au péril de son beau visage qui rougissait derrière des mèches blondes, également hors de tout contrôle. J'admirais son courage mais il ne servait pas à grand-chose. Elle s'en rendis compte assez vite puisque, sans lâcher mon ami, elle se tourna vers moi, se plaignit de mon inertie, affirma que tout était de ma faute, et m'obligea à lui venir en aide.

Je rejoignis la joute. Nous formions un jolie mêlée à quatre. J'essayais de faire lâcher prise à Hakim mais il n'en démordait pas :
- P'tit enculé, j'vais te niquer !
Elle, elle hurlait de son côté :
- Non, arrêtez, arrêtez bordel !!
Et son patron, même en mauvaise posture, proférait des terribles menaces :
- Je vais porter plainte ! Je vais porter plainte !

Finalement, à deux, nous avons réussis à faire lâcher prise à Hakim. Pendant qu'elle et moi le retenions, le jeune patron tentait de stopper une hémorragie nasale. Il lui restait cependant suffisamment de verve pour nous dire :
- Vous vous en tirerez pas comme ça. Je vous jure que vous allez entendre parler de moi, je vais porter plainte contre vous !

Mais s'en était assez pour les menaces, nous avions suffisamment perdu notre temps à cause de ce jeune patron puant, certainement qu'il avait eu la leçon qu'il méritait et il convenait de ne pas trop nous attarder dans ses locaux. J'ai poussé Hakim vers l'extérieur. On eu droit à un gling d'adieu, celui-là ferme et décisif. Ensuite nous nous frayâmes un passage à travers les curieux qui s'étaient agglutinés devant la porte d'entrée pour mieux voir le spectacle à l'intérieur. En passant, nous avons entendu : "C'est encore une bande de jeunes voyous ", Hakim s'est retourné et leur a lancé : "J'vous emmerde tous, bande de cons !". Ce fut ensuite un grand silence derrière nous. C'était sa dernière salve dans ce quartier, une manière à lui de le quitter après s'y être illustré.