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1er version du roman> Chap 3 : Hakim

 

Pour avoir fréquenté Hakim pendant des nombreuses années, je dois avouer qu'il se débrouillait très bien et ne faisait que cultiver un don inné pour les affaires. En dehors de l'illégalité de son commerce, celui-ci, dans la pratique, était comparable à n'importe quel autre, et mon ami aurait fait des merveilles à la tête d'une grosse société s'il était passé par HEC ou une autre école de ce genre. Elles forment en majorité des jeunes qui n'ont pas une once de son talent mais sont issus d'excellents milieux.

Hakim commençait tout en bas de l'échelle, en vendant de la drogue. Une formation dans la rue, si vous préférez. C'était très mal ; c'était très vilain. La société réprouve ce genre de chose. Elle ne saurait, en effet, l'accepter sans remettre en cause un certains nombre de ses fondements. J'ai connu cet ami un soir où, tard dans la nuit, obsédé par le souvenir de mon "ex", j'avais éprouvé le besoin de marcher longuement dans le quartier.

Ma promenade n'avait aucun but ni aucune destination. Je me laissais porter par mes pas et je m'engageais dans certaines rues au gré du hasard, ou parce que je les trouvais suffisamment sombres et désertes pour refléter mon état d'esprit. Après quelques minutes de cette lugubre promenade, je tombais, au détours d'une ruelle, sur un groupe de jeunes qui, visiblement, avaient fait le tour de tous les sujets de conversation et cherchaient une autre occupation. Ils s'étaient tus en me voyant approcher dans la pénombre et j'avais senti peser sur moi leurs regards agressifs.

Je passais devant eux sans provoquer la moindre réaction. Mais, au moment où je cru pouvoir enfin respirer, l'un deux m'interpella. D'abord, je fis semblant de ne pas entendre ou de ne pas comprendre qu'il s'adressait à moi. Sa voix, un peu fluette, se fit alors plus ferme et plus haute, de sorte qu'il n'y eut plus aucune ambiguïté possible lorsqu'il précisa : Hé ! c'est à toi k'je parle ! Je m'arrêtais, puis je me retournais.

En me voyant, face à lui, il plissa horriblement les yeux et fit une moue terrible avec sa bouche, ce qui signifiait, je l'appris plus tard, qu'il cherchait un moyen de me provoquer, de manière à voir si, vraiment, j'avais des couilles. Mais il n'eut pas l'occasion de satisfaire sa curiosité imbécile car l'un de ses acolytes eut soudain une sorte de révélation et s'exclama pour que tous l'entendent : Hé mais j'te connais wouat ! on s'est dèjà vu kek part, pas vrai ? Mais si, t'es un potes d'ma frangine ! Je souriais bêtement, tout en m'efforçant de prendre un air détendu et je n'osais rien dire.

Il devait certainement faire erreur. Son visage ne me disait rien. Il semblait pourtant convaincu de me connaître. Et ta meuf, me demanda-t-il, où k'elle est maintenant ? ça fait un bail qu'on la voit plus. Voyant que j'étais connu d'un des leurs, les autres membres de la bande ne s'intéressait plus trop à moi ; l'imbécile ne cherchait plus à me provoquer ; la tension était retombée. J'abandonnais le sourire idiot sur mon visage. Il connaissait Sandra. En tout cas, il savait qu'elle et moi étions ensemble. J'étais surpris et intrigué. Je lui dit qu'il n'y avait plus de Sandra, désormais j'étais seul. Elle s'est barrée ? Oh putain, ça doit te foutre les boules ça ... L'un des gars de la bande avait rajouté en crachant par terre : C'est vraiment toutes des salopes, j'te jure, quand t'y penses bien. Puis un autre : Ouais, toutes des putes !

Essayant d'adopter une attitude très cool, en dépit de ma tristesse, je les remerciais pour tant de sollicitude et leur fis comprendre que je ne tenais pas à parler de mon ex-meuf avec eux. Je devais malheureusement les quitter. Le jeune qui disait me connaître me prit alors par le bras et m'entraîna loin des autres. C'était Hakim. Nous marchâmes quelques minutes en silence puis il s'arrêta et il me donna un petit sachet d'herbe en me disant : cadeau de la maison, avant de disparaître sans me laisser le temps de le remercier.

J'étais rentré chez moi. Je m'étais retrouvé encore une fois seul dans mon triste appartement. Les affaires de Sandra avaient toutes disparues. J'avais roulé un joint puis un deuxième. Je les avais fumées l'un à la suite de l'autre. Après, couché dans mon lit, je regardais le plafond. J'avais atteint un état de conscience étrange où, bien que pensant toujours à Sandra, la douleur qu'elle me faisait éprouvée ne m'appartenait plus. Elle ( la douleur ) semblait en dehors de moi. Je pouvais en prendre pleinement conscience avec un recul extraordinaire et la lire comme dans un livre.


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Je me disais que j'étais bien bête et qu'en définitive je n'avais jamais été amoureux de Sandra, c'était autre chose que je voyais et que j'aimais en elle. Elle était une sorte de confort et de suffisance dans ma vie. Je me mis à écrire. Je riais en écrivant et Sandra disparaissait peu à peu de mon esprit. Cette herbe m'avait fait quelque chose. Le lendemain, je m'étais mis à la recherche d'Hakim. Je le retrouvais facilement.

Vous ne devez pas vous fier aux apparences, ce garçon avait d'énormes qualités humaines. J'ai eu l'occasion de les découvrir par la suite car, bien que nous fusions très différent l'un de l'autre (essentiellement à cause de nos origines sociales d'ailleurs), il est arrivé qu'Hakim refuse l'argent que je lui donnais pour avoir quelques grammes d'herbe. Il est arrivé aussi qu'il m'explique qu'il avait des clients et des amis et que, moi, je faisais parti de la deuxième catégorie. Il est arrivée que je l'invite chez moi pour fumer et pour discuter, car confronter nos désaccords n'était pas inintéressant.

Quelques fois, il restait planté devant ma bibliothèque et essayait d'imaginer combien de temps cela m'avait pris de lire tous mes livres. Je lui avait dit que lire c'était comme une grande écoute de quelqu'un qui nous parle, à travers des siècles quelques fois, pour nous raconter une histoire ou nous faire profiter de ses idées. Il s'émerveillait à l'idée que je possédais en moi toutes les belles phrases de tous ses livres qui, en plus, expriment des idées et me considérait comme un esprit supérieur parce que je lisais plusieurs livres en même temps alors que lui n'en n'avait jamais lu un seul.

Je tentais alors de l'inciter à la lecture en lui proposant quelques livres, très abordables, mais il me répondait invariablement : ah non, je vais pas lire ça, c'est trop balaise pour moi. Pourtant, je voyais ses yeux briller de tout leur éclat. Il était heureux de toucher un livre, de l'ouvrir, d'en tourner les pages et même d'en sentir le parfum mais, après l'avoir gardé en main pendant quelques minutes, il me le rendait en me demandant : ça parle de quoi exactement ? Je faisais des efforts pour recréer avec mes propres mots l'ambiance si particulière du livre qu'il avait choisi. Lorsque je lui avais tout raconté, il disait : ah ouais, ça a l'air pas mal... c'est intéressant... puis il hésitait encore un court instant avant de répéter en secouant la tête : mais je peux pas lire ça, c'est trop balaise pour un mec comme moi.

J'étais surpris que, même les classiques, il ne les connût pas. "Le rouge et le noir", tel que je le lui avais raconté, lui plaisait beaucoup et nous avions beaucoup discuter de l'ambition et des amours de Julien Sorel. "Madame Bovary" (c'est une histoire de meuf, avait-il si bien résumé ) l'intéressait beaucoup mais je n'avais moi-même que très peu apprécié ce livre et je lui en avais parlé sans grand enthousiasme. Voyant, d'après mes dires, où Flaubert voulait en venir, il avait intelligemment conclu : c'est clair, y'a des meufs qui s'emmerdent.

Mais, quoi que je fasse, Hakim n'acceptait jamais le livre que je lui proposais d'emmener chez lui et de lire, pourtant je sentais qu'il s'y intéressait réellement. En général, il mettait un terme à notre discussion en proposant de rouler un joint. On s'fume un p'tit stick, après on voit, disait-il d'un ton sentencieux. Et nous fumions. Nous nous mettions ensuite à parler de choses extraordinairement futiles telle que la forme ou la couleur de ses nouvelles Nike et à rire de n'importe quoi. Quand Hakim repartait, il s'en allait les mains vide ; je retrouvais, plus tard, sur un meuble, alors que je n'y pensais plus, le livre auquel il m'avait paru s'intéresser et que j'avais voulu qu'il emporte avec lui.