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1er version du roman > Chap 8 : Les victimes enfilent les costumes des bourreaux

Je n'ai, Dieu merci, donné aucune année de ma vie au service militaire. L'armée française est bien plus intelligente qu'on ne le pense puisque, à peine y avais-je passé une journée, que l'on m'en montrait déjà la sortie. J'en suis sorti sans aucun honneur, sans aucune gloire ni histoire à raconter à mes petits enfants et sans m'y être fait le moindre camarade ; je n'y ai rencontré que des psychiatres. Cela peut paraître regrettable car je ne saurais sans doute jamais ce qu'est la discipline ni comment me servir d'une arme. Néanmoins, aujourd'hui, plus personne ne fait son service militaire ce qui me pousse à dire que j'étais en avance sur mon temps.

Un peu plus tard, lorsqu'un ami m'avait demandé quelle était la seconde langue à Marseille et que je lui avais répondu l'arabe, il s'était plié de rire par terre et m'avait que non, c'est le français. C'était une blague évidemment, mais il faut tout de même connaître sa géographie. Cette matière, ainsi que l'histoire et l'économie, n'a manifestement pas la même réalité suivant le lieu où on la pratique.

Si on apprenait à l'école que, depuis des années le taux d'immigration en France était de zéro, dans la rue et dans les bistrots, il pouvait atteindre un niveau que l'on jugeait difficilement supportable. On sait que les pays les plus riches se trouvent en Europe et en Amérique du nord mais mes voisins africains, qui vivaient à Belleville, me disaient que les plus riches ce sont les juifs et les asiatiques. Impossible de leur faire croire autre chose : il s'agissait d'une réalité quotidienne pour eux. Le français qui trouve qu'il y a davantage d'immigré en France que de français et l'africain qui pense que toutes les richesses sont aux mains des juifs et des asiatiques ont, en définitive, une connaissance très empirique de l'histoire, de la géographie et de l'économie, contre laquelle il est difficile de lutter. J'en arrivais parfois à me demander si tous ces gens n'avaient pas raison.
Qu'ai-je appris d'autre dans la rue ?

La couleur de la peau est une chose importante. Jusqu'à présent, j'avais cru que non. C'est pourquoi je n'en avais pas parlé. Mais l'homme de la rue me dit que j'ai fait une erreur. Il me dit qu'en te voyant, avant même que tu n'ouvres la bouche, un autre homme regarde ta couleur. Alors, que pense-t-il de moi, cet homme ? Comment me classe-t-il ? Comme mon teint n'est pas très foncé, il voit quelque chose qui ressemble à un mélange entre le blanc et le noir, il se dit que je viens des Antilles, il me trouve sympathique. Je suis chez lui chez moi.

Ainsi des siècles d'esclavage agissent comme un laisser-passer. Quelle chance, de nos jours, d'appartenir à une minorité dont les ancêtres ont vu leurs droits bafoués. Quelle bénédiction que la souffrance dont on hérite. Nous devons la faire nôtre car elle nous permet enfin de revendiquer. Exige tout ce que tu voudras si l'un de tes aïeuls a subit la sauvagerie de l'homme blanc, mais je ne pense pas que cela change quelque chose pour lui.

En tant qu'homme, nous avons tous les mêmes droits. Si cette phrase était vraie au quatre coins de la planète, indifféremment des couleurs, des religions et des races, nous saurions que l'homme est meilleur et qu'il s'est racheté de tous ses crimes. Au lieu de quoi, on voit les victimes prendre la place des bourreaux et s'enorgueillir, car le temps où ils étaient impuissants est encore proche.

Les Noirs américains demande des réparation financières, manière de montrer qu'ils ont complètement accepter et intégré le système au nom duquel leurs parents ont été réduits en esclavage. Ils veulent également profiter des bénéfices du travail des esclaves. Ils estiment que cette richesse est la leur. Comprennent-ils qu'ils sont en train de remettre des chaînes à leurs ancêtres ? Comprennent-ils qu'en vérité, comme les anciens négriers, ils se disputent des esclavages ? Lorsqu'ils disent nous devons être dédommager pour nos ancêtres, je les entend dire aux descendants des esclavagistes : ces esclaves nous appartiennent plus qu'à vous.

Ce chapitre est celui de la bêtise humaine, alors je me laisse aller et je continu. Bien que je puisse très facilement faire croire le contraire, je n'ai hérité d'aucune souffrance intemporelle. La couleur de ma peau indique une mauvaise piste. En réalité, mes origines africaines remonte à une génération : celle de mon père. Mes ancêtres ont tout de même travaillé pour la France mais ils ne portaient pas de chaîne et n'ont traversé aucun océan. Ils étaient chez eux et, quand le moment est venu, ils ont demandé qu'on leur rende les clés. Ils sont devenus Congolais. Quoi de plus normal. L'homme est fait pour être libre et, quoi qu'il subisse, il tendra toujours vers la liberté.

Ma théorie peut surprendre, néanmoins, je peux affirmer que si une race d'homme était faite pour vivre en esclavage, elle vivrait heureuse de nos jours, car, de tout temps, il s'est trouvé des monstres pour asservir la moindre portion d'humanité. Durant des millénaires, par exemple, les forces n'ont jamais manquées pour faire croire aux femmes qu'elles étaient faites pour vivre sous le joug de l'homme. Aujourd'hui les choses ne se sont toujours pas arrangées pour elles mais certaines voix, en Algérie, en Inde, au Pakistan, s'élèvent.



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Ayant décidé d'écrire, je m'étais jeter dans la lecture d'un essai de Sartre intitulé "Qu'est-ce que la littérature ?" J'étais tombé sur ces phrases extraordinaires : " On peut imaginer qu'un bon roman soit écrit par un Noir américain même si la haine des Blancs s'y étale parce que, à travers cette haine, c'est la liberté de sa race qu'il réclame. Et comme il m'invite à prendre l'attitude de la générosité, je ne saurai souffrir, au moment où je m'éprouve comme liberté pure, de m'identifier avec une race d'oppression. C'est donc contre la race blanche et contre moi-même en tant que j'en fait partie que je réclame de toutes les libertés qu'elles revendiquent la libération de l'homme de couleur."

L'homme de couleur qui a connu le colonialisme éprouve de la fierté à la lecture de ces quelques lignes et se dit prêt à serrer Sartre contre son cœur. Mais les temps ont changés. J'attends de cet homme qu'il relise cette phrase en remplaçant le Noir américain, comme le précise Sartre, par la femme africaine, arabe, asiatique et même blanche. Il est l'heure d'un autre combat maintenant, qu'il devrait avoir le courage de mener car s'il est encore une race d'opprimés, au XXIeme siècle, c'est celle des femmes. Sa libération s'est arrêtée aux frontières des pays développés.

On voudrait aujourd'hui que je sois fier de la couleur de ma peau mais je ne le suis pas. Il s'agit d'un détail auquel je ne prête aucune attention. Pourquoi en serais-je fière ? Pour garder toute ma vie le titre d'opprimé et avoir, comme les israéliens, le droit d'opprimé à mon tour ? Pour demander des réparations aux pays riches en raison de l'esclavage ou du colonialismes ? Non désolé, je suis un homme et la couleur de ma peau ne dit rien sur moi. Je veux vivre libre, sans que l'on me classe dans un groupe ou une race, avec tout le folklore qui s'y rattache. Mais l'Homme de la rue aime les images toutes simples comme lui donne la télévision, il me demande de choisir une couleur car pour lui tout ça ne veut rien dire. Es-tu blanc ou es-tu noir ? Et si je le laissais répondre à ma place, cet imbécile que dirait-il ?

En classe de cinquième, l'un de mes amis m'a dit, pour moi, tu n'es pas un Noir. Il lui paraissait sans doute impossible d'être l'ami d'un noir, cependant il me connaissait et m'appréciait. Il pensait me faire très plaisir en me montrant à quel point il tenait à moi mais en réalité ils me blessaient beaucoup. C'est pourquoi, il aurait mieux fait de ne rien me dire. Il lui suffisait simplement d'être moins obtus et de comprendre que la couleur de la peau ne détermine pas, d'une manière ou d'un autre, la personnalité d'un individu, pour garder sa place dans mon estime.

Métis. Cette couleur-là est assez à la mode. Mais c'est aussi une manière hypocrite de dire d'un Noir qu'il n'est pas si noir que ça. Comme j'ai toujours vécus parmi des personnes à la peau blanche, cela ne m'a pas échappé. La grand-mère de Sandra, par exemple, essayait de me rendre le moins noir possible. C'était une femme très gentille et très polie, une bourgeoise qui s'était retirée avec son mari à Nice pour y vivre une retraite ennuyeuse à défaut d'être heureuse. Nous savions qu'ils votaient pour le Front National. Dans cette famille, les observateurs se seraient aperçus que je faisais tâche. Le grand-père de Sandra avait failli avoir une attaque cardiaque lorsqu'il avait vu le copain de sa petite fille adorée. Heureusement, les femmes savent faire face au situation les plus difficiles, la grand-mère, grâce à des petites subtilités du langage, a rendu mon teint de plus en plus clair : de Noir, je suis devenu Métis. Je me rapprochais de la bonne couleur. Mais Sandra m'a quittée et je crois qu'à Nice, je suis redevenu Noir depuis et pour de bon.

Les enfants ne sont jamais politiquement corrects. Durant toute mon enfance, j'ai beaucoup joué au football. Lorsque j'étais au CM2, nous ne cessions de jouer des match très importants dans la cour de récréation et j'avais souvent le ballon. J'étais ce que les spécialistes appellent une pièce maîtresse du jeu. Au début de l'année, lors de l'un de ces premiers matchs dont dépend ensuite toute la physionomie de notre année scolaire, un imbécile, dont je me rappelle encore le prénom (David), s'était placé tout seul, au centre, en face du gardien adverse, hors-jeu mais nous ne les "sifflions" pas. Avec le ballon sur l'aile droit, je réalisais un véritable festival de dribble. J'avais déjà passé plusieurs joueurs et David, tout excité d'être seul face au gardien, en position de marquer un but, si seulement il avait le ballon, voulait absolument que je le lui passe, ce ballon. Il ne connaissait pas encore mon prénom et, pour me faire savoir qu'il attendait une passe au centre, il s'était mis à crier : Eh, Cacao ! ici ! Une passe ! Vite ! Cacao, une passe au centre ! Je n'ai jamais dû lui passer le ballon car, à ce moment là, un défenseur me l'a certainement subtilisé. Les autres joueurs avaient tous un sourire aux lèvres. Ma couleur et mes exploits sportifs m'avaient valu un surnom des plus drôle. Tous les enfants se mirent à m'appeler Cacao. J'étais très vite devenu populaire dans toute l'école. Beaucoup ne savaient pas d'où me venait ce nom, certains pensaient même que c'était mon vrai nom. Quant à David, il était fier de m'avoir ainsi baptisé. Je n'ai jamais été très ami avec lui et j'évitais en général de le prendre dans mon équipe, car il s'était avéré, par la suite, qu'il ne marquait jamais de but lorsqu'on lui passait la balle, même lorsqu'il était seul face au gardien.