La couleur de la peau est une chose
importante. Jusqu'à présent, j'avais cru que non.
Mais l'homme de la rue me dit que je fais une erreur. Il me dit
qu'en me voyant, avant même que je n'ouvre la bouche, un autre
homme regarde la couleur de ma peau. Alors, que pense-t-il de moi,
cet homme ? Comment me juge-t-il ? Comme mon teint n'est pas très
foncé, il voit quelque chose qui ressemble à un mélange
entre le blanc et le noir, il se dit que je viens des Antilles,
il me trouve sympathique. Je suis chez lui chez moi. Ainsi des siècles
d'esclavage agissent comme un laisser-passer. Quelle chance, de
nos jours, d'appartenir à une minorité dont les ancêtres
ont vu leurs droits bafoués. Quelle bénédiction
que la souffrance dont on hérite ! Nous devons la faire nôtre
car elle nous permet enfin de revendiquer. Exige tout ce que tu
voudras si l'un de tes aïeuls a subit la sauvagerie de l'homme
blanc, mais je ne pense pas que cela change quelque chose pour lui.
En tant qu'homme, nous avons tous les mêmes droits. Si cette
phrase était respectée aux quatre coins de la planète,
indifféremment des couleurs, des religions et des races,
nous saurions que l'homme est meilleur et qu'il s'est racheté
de tous ses crimes. Au lieu de quoi, on voit les victimes prendre
la place des bourreaux et s'enorgueillir, car le temps où
ils étaient impuissants est encore proche.
Les Noirs américains demande des réparations financières,
manière de montrer qu'ils ont complètement accepter
et intégré le système au nom duquel leurs parents
ont été réduits en esclavage. Ils veulent également
profiter des bénéfices du travail des esclaves. Ils
estiment que cette richesse est la leur. Comprennent-ils qu'ils
sont en train de remettre des chaînes à leurs ancêtres
? Comprennent-ils qu'en vérité, comme les anciens
négriers, ils se disputent des esclavages ? Lorsqu'ils disent
nous devons être dédommager pour nos ancêtres,
je les entends dire aux descendants des esclavagistes : ces esclaves
nous appartenaient plus qu'à vous.
Bien que je puisse très facilement faire croire le contraire,
je n'ai hérité d'aucune souffrance intemporelle. Mes
origines africaines remonte à une génération
: celle d'un père que je n'ai jamais connu. Mes ancêtres
ont certainement travaillé pour la France mais ils ne m'ont
rien légué de leurs peines ni de leurs souffrances.
Ils étaient chez eux et, quand le moment est venu, ils ont
demandé qu'on leur rende les clés. Ils sont devenus
congolais. Quoi de plus normal. L'homme est fait pour être
libre et, quoi qu'il subisse, il tendra toujours vers la liberté.
Ma théorie peut surprendre, néanmoins, je peux affirmer
que si une race d'homme était faite pour vivre en esclavage,
elle vivrait heureuse de nos jours, car, de tout temps, il s'est
trouvé des monstres pour asservir la moindre portion d'humanité.
Durant des millénaires, par exemple, les forces n'ont jamais
manquées pour faire croire aux femmes qu'elles étaient
faites pour vivre sous le joug de l'homme. Aujourd'hui les choses
ne se sont toujours pas arrangées pour elles mais certaines
voix, en Algérie, en Inde, au Pakistan, s'élèvent.
Ayant décidé d'écrire, je m'étais jeter
dans la lecture d'un essai de Sartre intitulé "Qu'est-ce
que la littérature ?" J'étais tombé sur
ces phrases extraordinaires : On peut imaginer qu'un bon roman soit
écrit par un Noir américain même si la haine
des Blancs s'y étale parce que, à travers cette haine,
c'est la liberté de sa race qu'il réclame. Et comme
il m'invite à prendre l'attitude de la générosité,
je ne saurai souffrir, au moment où je m'éprouve comme
liberté pure, de m'identifier avec une race d'oppression.
C'est donc contre la race blanche et contre moi-même en tant
que j'en fait partie que je réclame de toutes les libertés
qu'elles revendiquent la libération de l'homme de couleur.
L'homme de couleur qui a connu le colonialisme éprouve de
la fierté à la lecture de ces quelques lignes et se
dit prêt à serrer Sartre contre son cur. Mais
les temps ont changés. J'attends de cet homme qu'il relise
cette phrase en remplaçant le Noir américain, comme
le précise Sartre, par la femme africaine, arabe, asiatique
et même blanche. Il est l'heure d'un autre combat maintenant,
qu'il devrait avoir le courage de mener car s'il est encore une
race d'opprimés, au XXIeme siècle, c'est celle des
femmes. Sa libération s'est arrêtée aux frontières
des pays développés.
On voudrait aujourd'hui que je sois fier de la couleur de ma peau
mais je ne le suis pas. Il s'agit d'un détail auquel je ne
prête aucune attention. Pourquoi en serais-je fière
? Pour garder toute ma vie le titre d'opprimé et avoir, comme
les Israéliens, le droit d'opprimé à mon tour
? Pour demander des réparations aux pays riches en raison
de l'esclavage ou du colonialisme ? Non désolé, je
suis un homme et la couleur de ma peau ne dit rien sur moi. Je veux
vivre libre, sans que l'on me classe dans un groupe ou une race,
avec tout le folklore qui s'y rattache. Mais l'Homme de la rue aime
les images toutes simples comme lui donne la télévision,
il me demande de choisir une couleur car pour lui tout ça
ne veut rien dire. Es-tu blanc ou es-tu noir ? Et si je le laissais
répondre à ma place, cet imbécile que dirait-il
?
.
En classe de cinquième, l'un de mes amis m'a dit, pour moi,
tu n'es pas un Noir. Il lui paraissait sans doute impossible d'être
l'ami d'un noir, cependant il me connaissait et m'appréciait.
Il pensait me faire très plaisir en me montrant à
quel point il tenait à moi mais en réalité
ils me blessaient beaucoup. Il lui suffisait simplement d'être
moins obtus et de comprendre que la couleur de la peau ne détermine
pas, d'une manière ou d'un autre, la personnalité
d'un individu, pour garder sa place dans mon estime.
Métis. Cette couleur-là est assez à la mode.
Mais c'est aussi une manière hypocrite de dire d'un Noir
qu'il n'est pas si noir que ça. Comme j'ai toujours vécu
parmi des personnes à la peau blanche, cela ne m'a pas échappé.
La grand-mère de Sandra, par exemple, essayait de me rendre
le moins noir possible. C'était une femme très gentille
et très polie, une bourgeoise qui s'était retirée
avec son mari à Nice pour y vivre une retraite ennuyeuse
à défaut d'être heureuse. Nous savions qu'ils
votaient pour le Front National. Dans cette famille, les observateurs
se seraient aperçus que je faisais tâche. Le grand-père
de Sandra avait failli avoir une attaque cardiaque lorsqu'il avait
vu le copain de sa petite fille adorée. Heureusement, les
femmes savent faire face aux situations les plus difficiles, la
grand-mère, grâce à des petites subtilités
du langage, a rendu mon teint de plus en plus clair : de Noir, je
suis devenu Métis. Je me rapprochais de la bonne couleur.
Mais Sandra m'a quittée et je crois qu'à Nice, je
suis redevenu Noir depuis et pour de bon.
Les enfants ne sont jamais politiquement corrects. Durant toute
mon enfance, j'ai beaucoup joué au football. Lorsque j'étais
au CM2, nous ne cessions de jouer des matchs très importants
dans la cour de récréation et j'avais souvent le ballon.
J'étais ce que les spécialistes appellent une pièce
maîtresse du jeu. Au début de l'année, lors
de l'un de ces premiers matchs dont dépend ensuite toute
la physionomie de notre année scolaire, un imbécile,
dont je me rappelle encore le prénom (David), s'était
placé tout seul, au centre, en face du gardien adverse, hors-jeu
mais nous ne les "sifflions" pas. Avec le ballon sur l'aile
droit, je réalisais un véritable festival de dribble.
J'avais déjà passé plusieurs joueurs et David,
tout excité d'être seul face au gardien, en position
de marquer un but, si seulement il avait le ballon, voulait absolument
que je le lui passe, ce ballon. Il ne connaissait pas encore mon
prénom et, pour me faire savoir qu'il attendait une passe
au centre, il s'était mis à crier : Eh, Cacao ! Ici
! Une passe ! Vite ! Cacao, une passe au centre ! Je n'ai jamais
dû lui passer le ballon car, à ce moment là,
un défenseur me l'a certainement subtilisé. Les autres
joueurs avaient tous un sourire aux lèvres. Ma couleur et
mes exploits sportifs m'avaient valu un surnom des plus drôle.
Tous les enfants se mirent à m'appeler Cacao. J'étais
très vite devenu populaire dans toute l'école. Beaucoup
ne savaient pas d'où me venait ce nom, certains pensaient
même qu'il s'agissait de mon vrai nom. Quant à David,
qui était fier de m'avoir ainsi baptisé, Je n'ai jamais
été très ami avec lui et j'évitais en
général de le prendre dans mon équipe, car
il s'était avéré, par la suite, qu'il ne marquait
jamais de but lorsqu'on lui passait la balle, même lorsqu'il
était seul face au gardien.
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