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Roman > Chap 8

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Deux ou trois jours passèrent pendant lesquels Hakim avait également disparu et je pensais sans arrêt à Louise. J'avais arpenté la rue Amelot, de long en large, à différents moments de la journée, espérant tomber par hasard (puisque le hasard peut parfois bien faire les choses) sur elle. Puis Jésus m'a enfin rappelé. Il n'était pas en mesure de me donner les coordonnées de Louise ce jour-là, mais il proposait de me les donner le lendemain soir, à 21H00, dans un bar qui s'appelle Les Couleurs. Je connaissais ce bar. Louise y serait-elle ? Jésus refusa de m'en dire davantage. Il revint sur l'incident que nous avions eu avec Cyril. Il me dit qu'en échange du numéro de Louise, il attendait quelque chose de ma part. Je promis tout ce qu'il voudrait. Alors il me demanda de convaincre Hakim de s'excuser auprès de Cyril. Je n'en croyais pas mes oreilles. Jésus me dit qu'il avait arrangé les choses avec lui et qu'il était prêt à ne pas porter plainte contre nous si seulement nous lui présentions des excuses. Je connaissais Hakim. Ce que me demandait Jésus était impossible. Cependant, en échange de la possibilité de revoir Louise j'étais prêt à promettre n'importe quoi.

Le lendemain je poussais la porte des Couleurs, très en avance pour mon rendez-vous avec Jésus. C'était un bar aux murs défraîchis, recouverts d'affiches de vieux films ( Godard, la nouvelle vague ) et de concerts de rock qui ont déjà eu lieu. Des jeunes artistes, en attendant la consécration, viennent y boire des bières et discuter avec quelques vieux pochetrons de Nietzsche. Un vieil ami, Patrick, adorait cet endroit et m'y avait emmené, notamment après que Sandra m'eut quitté, car, comme toutes les personnes de mon entourage, il tentait de me remonter le morale en m'obligeant à sortir. Il connaissait mon goût pour le philosophe allemand et les serveuses étrangères. Le souvenir auquel j'associais ce bar était cependant l'un des plus pénible de ma vie. A peine en avais-je franchit le seuil, à 20 heures 10, qu'il me revint en mémoire. Je m'installais à une table et, étant en avance pour mon rendez-vous avec Jésus, je me laissais emporter par mes souvenirs. Je regardais une autre table. Patrick et moi y avions pris place quelques mois auparavant. Je distinguais mon fantôme et celui de mon ami, tel que nous étions ce soir-là. Ma dernière tentative pour revoir Sandra s'était soldée par un échec et, pire que tout, j'avais appris qu'elle vivait et couchait avec Helena Strange. J'avais dû, cette fois-là, faire réellement le deuil de la Sandra que j'avais connue. Les hommes, dont moi le premier, n'étaient plus à son goût. Pour la seconde fois, le monde s'était écroulé devant moi. Cette dernière épreuve m'avait profondément affecté et je pensais ne jamais m'en remettre. J'avais besoin de m'expliquer tous ces affronts, toutes ces tortures qu'elle me faisait subir, sous peine de sombrer dans la folie. Mais il n'y avait rien à expliquer en définitive et encore moins à comprendre : elle vivait sa vie tout simplement. Patrick et moi en discutions très sérieusement dans une atmosphère bruyante et confinée. Pour m'aider à accepter les événements douloureux qui m'accablaient, Patrick me confiait qu'il avait vécu une aventure similaire, quelques années plus tôt, sauf que la fille n'était pas lesbienne. D'après lui, le pire était de se faire plaquer pour un autre homme et non pour une autre femme car, dans le second cas, c'est la fille qui a commis une erreur de jeunesse ; en réalité, elle n'était pas bien au fait de ses goûts. Par contre, il est beaucoup plus dur d'accepter que sa femme parte avec un autre homme. Je n'étais pas du tout d'accord avec lui. Et, finalement, nous ne sûmes jamais la réponse à cette question.
Tous ces souvenirs me semblaient très loin maintenant, je n'y accordais plus la moindre importance alors qu'à l'époque, de savoir Sandra en train de jouer à broute minou avec une femme m'avait paru une excellente raison de me taillader les veines. J'attendais Jésus à une table située au fond des Couleurs, qui m'avait semblée la meilleure car elle n'était pas bancale. Sans le savoir, en me donnant rendez-vous dans ce bar, il illustrait terriblement l'ironie du sort : j'avais pleuré ici la perte d'une femme et je revenais pour en retrouver une autre.
Jésus arriva, tout sourire, 5 minutes avant 21 heures. Je voulais être fixé tout de suite :
- Alors ? T'as pu avoir son numéro de téléphone ?
- Oh la ! Doucement, laisse-moi d'abord le temps de dire bonjour, de m'asseoir et de commander quelque chose à boire.
Il connaissait du monde dans ce bar. Sa tournée de bonjour fut fort longue. Un type l'accapara pendant plusieurs minutes. Ensuite il discuta avec le patron, qui lui servi un demi, puis il revint à la table où je me trouvais.
- Bon, quelle heure est-il ? me demanda-t-il
- 21 heures 12
- Il ne devrait pas tarder à arriver.
- Qui ça ?
- Ton numéro de téléphone.
Je ne comprenais plus rien. Dans quelle histoire m'avait-il embarqué ? En tout cas, il ne plaisantait pas. Il attendait comme moi le numéro de Louise. J'eus beau essayer de comprendre, il ne m'en dit pas plus. Il buvait tranquillement sa bière et restait calme tandis que je m'agitais sur mon siège et lui posais des multiples questions. Pour toute réponse, je n'avais droit qu'à son sourire et son irritante satisfaction, lorsqu'il reposait son verre de bière, après en avoir bu une grande gorgée. Et je ne saurais dire quel plaisir il goûtait le plus : celui de me voir si agité ou de déguster sa bière.
Cependant, Jésus est un homme qui a le culte du mystère, de la surprise et du service à rendre. A 21 H 25, un grand type blond, très mince, est entré dans le bar. Il avait l'air complètement dans les vapes, et semblait avoir un peu de mal à atterrir. Il avait un sourire timide au coin des lèvres. Il s'est mis à saluer tout le monde, comme Jésus lors de son arrivée, et, au fur et à mesure qu'il serrait des mains et échangeait quelques mots avec les habitués, il paraissait revenir à la vie ou plutôt au monde réel. Je n'arrêtais pas de suivre ses gestes. Je le dévisageais également. Il me faisait penser à quelqu'un mais je ne trouvais qui. Il marchait vers nous. Lorsqu'il ne fut plus qu'à quelques pas, Jésus se leva et lui proposa de s'asseoir à notre table.
François s'assit et nous fûmes présenté. C'était le frère jumeau de Louise. La ressemblance n'était pas évidente mais elle existait et je l'avais perçue. Jésus se mit à lui faire le récit de ma rencontre avec sa sœur. Je me sentais très gêné mais François avait l'air de trouver cette histoire tout à fait banale. Il devait sans doute se demander pourquoi Jésus lui racontait tout cela. Quand, enfin, mon ami lui dit que je n'avais aucun moyen de revoir Louise, il fut étonné.
- Ah bon ! Fit-il, tu ne lui as pas demandé son numéro ? Attends, je dois l'avoir quelque part.
Et il se mit à fouiller dans toutes ses poches. Il ne cessait d'en sortir des petits morceaux de papier recouverts de croquis, qu'il posait sur la table en disant : Non c'est pas ça. Puis, comme sa recherche durait un certain temps, au cours duquel mon cœur avait cessé de battre, il rajouta : Putain, mince, où je l'ai foutu ce carnet… J'espère que je ne l'ai pas perdu… Alors je failli mourir mais il le retrouva juste à temps. C'était un petit carnet vert dont la moitié des pages s'étaient détachées. Sur certaines je voyais, entre des numéros, écrits dans tous les sens, des belles arabesques. Un véritable travail de miniaturiste. Louise devait me dire plus tard quel grand artiste est son frère ; ce que je voyais me permettait déjà de me le figurer. Il trouva son numéro et me le dicta. Ensuite nous bûmes et nous parlâmes de ses différents travaux. Il préparait une petite expo dans une galerie du Marais. Je promis de la visiter. Malgré sa modestie apparente, je sentais en lui une très grande fierté. Il avait, aux "Couleurs", une petite cour d'admirateurs et il lui était impossible d'en faire abstraction. Jésus en faisait parti mais pour n'importe quel artiste il était difficile de ne pas impressionner Jésus. Sitôt qu'il était en présence d 'une personne qui lui disait avoir une activité artistique il était fasciné, même s'il ne voyait jamais l'art en question. Avec de l'argent, il aurait fait un excellent mécène, philanthrope à souhait.

Je gardais à portée de main le petit bout de papier sur lequel j'avais noté le numéro de téléphone de Louise toute une journée sans oser l'appeler. Grande appréhension. Je cherchais ce que j'allais lui dire. Je ne trouvais rien. J'avais écris plusieurs petits discours pour avoir les mots justes sous les yeux. Savoir quels étaient ces mots a très peu d'importance puisqu'ils ont tous trouver le chemin de la poubelle. Le soir, lorsque je me décidais enfin à composer le numéro que j'avais tant voulu avoir, je n'avais aucune fiche ; j'étais décidé à improviser ou à mourir.
Mais comment avais-je fait pour avoir son numéro ? Pour Louise, la surprise ne paraissait ni feinte ni désagréable et j'en remerciais le ciel. L'incident qui avait eu lieu chez moi était apparemment oublié. Je lui racontais ma rencontre avec son frère. Le monde est petit, n'est-ce pas ? C'est incroyable cette histoire. Elle pensait que son frère et moi nous étions connus par un heureux hasard. Je ne cherchais pas à l'en détromper. Et ton pote Hakim, qu'est-ce qu'il devient ? Je lui répondis qu'il n'avait, jusqu'alors, tué personne. C'était évidemment une plaisanterie destinée à détendre l'atmosphère, mais Louise ne sembla pas le prendre sur ce ton, elle me demanda, d'un air très sérieux, Est-ce que tu pourrais lui demander de me buter si je te faisais une chose horrible ? En l'entendant prononcer ses mots, je me sentis mal. Le son de sa voix avait été fort étrange ; un peu mélancolique, un peu triste et désabusée, en tout cas, chargé de remords. Je me souvins des mises en garde d'Hakim et de sa méfiance à son égard. Il me sembla qu'elle voulait se faire pardonner une faute à venir, qui allaient confirmer les soupçons de mon ami. Je m'attendais à quelques aveux troublants de sa part car, je ne sais pourquoi, j'avais soudainement pris ses paroles au premier degré. Ma voix en fut légèrement troublée lorsque je lui demandais, Quoi par exemple ? Pour commencer, je pourrais, par exemple, te raccrocher au nez, me répondit-elle avec un grand accent de triomphe. Je m'étais fait prendre à son jeu. J'étais comme un enfant à qui l'on a fait croire qu'une catastrophe terrible s'est produite et qui découvre qu'il s'agissait d'une simple farce. J'éprouvais un gros soulagement. Je lui répondis en simulant un plaisir sadique, Si tu fais ça je n'envoie pas Hakim, je viens moi-même te faire la peau. Elle rit de nouveau, très contente d'elle. Elle venait d'instaurer, à travers notre dialogue, un petit jeu qui, entre nous, ne cesserait qu'avec la fin de notre liaison. Ce jeu s'apparentait à une sorte joute de comédien. Nous improvisions chacun notre rôle ; nous jouions des personnages, inspirés de nos propres caractères, qui souvent disaient le contraire de ce que nous pensions. Quelques fois, il nous fut difficile de distinguer la limite entre ce jeu et nos véritables pensées. Bon, dis-moi franchement pourquoi tu m'appelles. Je répondis, J'aimerais te revoir. Ces mots sortirent de ma bouche sans que je n'aie besoin de réfléchir. Ils lui firent plaisir. Tout devenait très facile tout à coup. Elle m'avait ouvert une voie vers elle et je m'y engageais de tout mon cœur, avec une grande facilité et un plaisir aveugle.



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