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Roman > Chap 9


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Grâce à Jésus, j'avais retrouvé Louise. La difficulté était à présent de convaincre Hakim de présenter des excuses à Cyril. J'en avais fait la promesse. C'était perdu d'avance. Irréalisable. Depuis l'incident qui s'était produit chez moi, je ne l'avais pas revu. Sans doute devait-il croire que je lui en voulais d'avoir perverti Louise. Mais je savais qu'il n'était pas à l'origine de son goût pour la coke, bien qu'il lui en ait vendu. Comme à son habitude, il n'avait fait que rendre service, dans son propre intérêt. Je m'étais mis à sa recherche dans Belleville. Il n'était pas dans le petit troquet de la rue Piat. Je redescendis rue des Tourtilles, espérant le trouver dans un autre bar, qu'il fréquentait également assez régulièrement. S'il ne s'y trouvait pas, j'avais encore une chance de le trouver sur la petite place, au bas du parc de Belleville et, au pire, ses copains, qui y passent leurs journées, me renseigneraient.
C'est effectivement ce qui se produisit. Il est tipar, me fit un jeune au crâne rasé portant chaîne en or et survêtement Nike sur chaussures Adidas. En général, ces jeunes font économie de parole lorsqu'ils s'adressent à des personnes étrangères à leur bande, mais, grâce à Hakim, j'étais suffisamment connu d'eux pour qu'ils daignent m'en dire un peu plus. Mon ami était allé voir un gars, à Saint Denis, et il allait revenir peut-être dans la soirée. Ne me restait plus qu'à les remercier, au moins pour leur montrer que cela était encore d'usage.
Voulant profiter plus longtemps de cette petite ballade improvisée, je fis un détour pour rentrer chez moi. Tout en marchant, j'essayais de trouver un plan. Il me fallait de très bons arguments pour convaincre Hakim de s'excuser. Quels genres d'arguments ? Le fait que Cyril ne porterait pas plainte contre lui en était un. En traversant le boulevard de Belleville, cet argument me parut assez mince et il ne fut plus du moindre poids dans la rue du faubourg du temple, à moins, me dis-je, qu'Hakim ait peur de la police. C'est alors que me vient l'idée de ce rêve idiot que j'allais lui raconter. Je me demandais ensuite s'il ne valait pas mieux ne rien faire. Qu'est-ce qu'une promesse, me dis-je, après tout. J'avais obtenu le numéro de Louise et rien ne m'obligeait à faire quoi que se soit en échange. Je pensais à Jésus et à Cyril. Je me demandais si j'étais moi-même un homme d'honneur et de parole. Finalement je décidai de mettre tout en oeuvre afin d'obtenir d'Hakim qu'il s'excusa auprès de Cyril, comme me l'avait demandé Jésus.

Hakim. Nous ne nous étions pas vus depuis un bail. A peine arrivé chez moi, il se mit à rouler un joint. Du shit marocain. Il l'avait obtenu directement chez l'importateur. C'était un bon produit, garanti sans aucun additif.
La fumée du joint s'élevait jusqu'au plafond. Je l'appréciais également. Il était fort mais se laissait fumer tout en douceur. Ses effets étaient presque immédiats. Une grande torpeur m'envahit et je souris, fatigué de moi, de mes illusions et de mes efforts pour influer sur les événements de mon existence. Mais cette lassitude n'était pas désagréable. Putain, j'en connais qui vont kiffer grave avec ass. Je tentais de lui parler de Louise. Il n'avait pas changé d'avis à son sujet : c'était une pute. Je répondis qu'elle était vachement cool en réalité. Je voulais lui parler de Cyril aussi, lui expliquer ce que Jésus m'avait demandé et pourquoi je voulais qu'il le fasse, mais je n'y parvins pas. C'est lui qui se mit à me raconter une petite histoire.

Certains jeunes, avec lesquels il avait travaillé, où qu'il connaissait, ont gagné plein de thunes, me disait-il. Ils se sont acheté des belles voitures. Ils ont tourné dans le quartier au volant de bolides qu'ils avaient payés en espèces tout en ne sachant quoi faire. Quelquefois, ils faisaient monter des filles et les emmenaient faire un tour. Ils finissaient par les baiser sur un parking et revenaient, tout fier de s'être vider les couilles, s'en vanter auprès de leurs potes. Comme c'était toujours les mêmes filles, qu'ils connaissaient depuis fort longtemps, ça devenait trop monotone. Il leur en fallait des nouvelles. Ils sont partis les chercher ailleurs. A la fin, ils sont tombés sur des jeunes droguées, futures prostitués qu'ils ont aidé à mettre un pied dans l'étrier. Dés qu'une fille leur rapportait de l'argent, ils gonflaient encore plus leurs torses. L'une d'entre elle en a eut assez de donner tout son fric à un jeune frimeur, elle s'est embrouillée avec lui pour une histoire bizarre. Elle est allée voir un autre gars, un vrai pro celui-là, soi-disant pour lui acheter son indépendance. Le gars ne rigolait pas. Il a pris des flingues et quelques potes et ils sont venus faire une descente dans le quartier. Rien que pour faire peur et montrer qui ils étaient. Mais les potes d'Hakim ne se sont pas dégonflés. Celui qui était avec la fille, celle qui voulait être indépendante, a dit qu'il n'était pas question qu'il baisse son froc devant n'importe qui. Il a bastonné la fille à mort, puis il s'est trouvé un flingue et il se baladait toujours avec. Il l'a fait pendant 3 jours, le quatrième il s'est fait avoir. Ils l'ont buté. Le pire dans cette histoire, c'est qu'il aimait vraiment cette fille, le gars qu'est mort. Et elle, elle l'adorait. Après sa mort, elle s'est fait un dernier shoot. Le genre sans retour. On l'a retrouvée morte d'une overdose. Les autres, c'est pareil, ils font confiance à des meufs, veulent faire du fric avec elles et puis ça foire. Ils sont tous morts ou en taule. C'est comme ça que ça se passe. Hakim le sait très bien. Combien en a-t-il connu qui ont mal fini à cause d'une jolie fille ? Un nombre incroyable, paraît-il. Lui, il ne veut ni faire étalage de son fric ni se mettre avec une gonzesse. Son but n'est pas de frimer comme les autres imbéciles, ni de tomber raide dingue d'une meuf. Il en a vu trop de gars mal finir à cause de pouffiasses qui cherchent à se faire baiser par des mecs qu'ont de la thune, lui, il ne veut pas faire les mêmes erreurs.

Il avait raison d'être prudent, mais ce qui aurait été encore plus judicieux de sa part, c'est qu'il cessa complètement ses activités alors qu'il était encore temps et qu'il devienne honnête. Ce mot l'a fait rire. Mais qui est honnête ? M'a-t-il demandé, l'autre pédé de Cyril, tu crois qu'il est honnête ? On peut pas gagner du fric en étant honnête. Même les hommes politique, tu vois bien qu'ils magouillent. Effectivement, je n'avais peut-être pas employé le mot qu'il fallait. C'était trop bête. Quels exemples pouvais-je lui donner ? Quels arguments ? Je ne savais plus. Je pensais à Louise. Mais cette fille ne nous a pas racontés de conneries, lui dis-je, tu peux me faire confiance. De suite, je me rendis compte que je venais de prononcer un autre mot malheureux. Hakim a braqué sur moi son regard noir. Toi, tu me parles de confiance ? J'ai qu'un conseil à te donner quoi : méfies toi de cette nana quoi. Ensuite il a soufflé. La fumée, en sortant de sa bouche, a formé un petit nuage au-dessus de nos têtes. Il m'a passé le joint. J'ai hésité puis je l'ai repris. J'ai fumé. Je n'avais plus les idées très claires. Il s'est levé, moi, dans mon état, je n'aurais pu le faire ; le shit marocain m'avait cloué au canapé. Je l'ai entendu, dans la cuisine, se servir un verre d'eau. Il est revenu dans le salon. C'est alors que je lui ai demandé s'il croyait aux rêves prémonitoires. C'est quoi ce truc ? Je lui ai expliqué. Des rêves que l'on fait et qui se réalisent. Et j'ai menti. Je lui ai dit que j'en avais fait un qui le concernait. Comme prévus, il fut curieux de l'entendre.

J'avais rêvé qu'il avait quitté le quartier. L'arrivée de gens suspects - qui se sont avérés être des flics en civil - lui avait fait comprendre qu'il devait se mettre au vert. Il était parti sans laisser d'adresse, abandonnant tous ses clients, des pauvres camés, à leur pauvre sort. J'en croisais quelques-uns qui traînaient. Certains me demandaient si j'avais des nouvelles. Je leur répondais toujours de la même manière. Je ne savais pas où il était ni quand il reviendrait. Les plus optimistes se disaient qu'il était parti prendre livraison et étaient persuadés que leur dealer favori reviendrait avec une quantité incroyable de came. Une poudre vachement bonne et cool pour eux. Ils étaient comme des gosses : ils attendaient le Père Noël. Le temps passait et ils réussissaient à faire naître une vraie rumeur, si bien que les flics, déjà sur la piste de Hakim, avaient la conviction d'avoir ferrer un très gros poisson. On pensait qu'il allait inonder Belleville de stupéfiant. Tous les camés l'attendaient maintenant comme le Messie. Les flics devenaient de plus en plus nerveux à mesure que la rumeur de son retour s'amplifiait. D'autres dealers, doublement malhonnêtes, vendaient déjà la fameuse came qu'il était censé ramener. Ils faisaient monter les prix en disant que c'était elle, qu'elle était enfin arrivée. Des gars, après s'être shootés, l'avaient trouvée tellement bonne, qu'ils s'étaient persuadés de l'avoir acheté à Hakim lui-même. Ils l'avaient vu, ils y avaient goûté : c'était de la balle. Hakim était un Dieu. Toutes les polices de France étaient à ses trousses.

Le récit de mon rêve l'avait intrigué. Plusieurs fois, il me demanda de revenir sur certains détails. Il voulait surtout savoir comment, dans mon putain de rêve, les flics réussissaient à le choper. Il me disait, Réfléchis bien quoi, c'est très important quoi, ils ont fini par m'avoir ou pas ? Je devenais mystique. Je ne disais ni oui ni non, laissant planer suffisamment de mystère. Ce rêve avait à la fois un côté positif et un autre très négatif, lui dis-je. On comprenait bien qu'en le vénérant, les camés faisaient porter l'attention de la police sur lui. Tu penses qu'un de mes clients va me donner aux flics ? C'était surtout cela qu'il voulait savoir. Il le craignait réellement. Il y a ainsi des présages qui ne trompent pas, lui dis-je. Quand trop de signes conduisent à la même chose, je commence à y croire et à y faire attention. Je le sentais vraiment inquiet. J'avais réussi à lui faire peur avec mon rêve inventé de toutes pièces. C'était la première partie de mon plan. Je comptais ensuite le persuader de se tenir à carreau et, enfin, dans la dernière partie du plan, lui faire comprendre qu'il avait intérêt à éviter que Cyril ne porte plainte contre lui. C'est seulement alors que je comptais lui parler de la proposition de Jésus. Nous nous excusons et Cyril ne porte pas plainte. D'ici quelques jours, je pensais qu'il serait mûr pour accepter ce marché.
Hakim, qui, depuis quelques minutes, était silencieux, perdu, comme moi, dans ses réflexions, rompit tout à coup le silence. Si ça se trouve, je flippe pour rien, dit-il, les rêves ne se réalisent pas toujours quoi. Mais il se trompait. La police était réellement à ses trousses et rien n'était plus réel que mon rêve inventé de toutes pièces.
Il se leva. Y faut que je rentre. J'ai tendu la main, elle a claqué contre la sienne puis j'ai serré le poing et nos mains se sont à nouveau rencontrées, poing contre poing.


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