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Roman > Chap 6 : Nous nous sommes disputés


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La télé ne nous montre qu'une seule face des choses mais elle nous montre beaucoup. Des images qui sont le monde, le monde qui devient une image. Sandra et moi avions vus, presque en direct, des étudiants se faire massacrer sur la place Tienanmen, en Chine, la chute du mur de Berlin, l'exécution d'un dictateur et sa femme en Roumanie, puis une guerre contre l'Irak dans le Golfe. Nous avons suivi aussi le triste sort de quelques soldats français dans l'ex-Yougoslavie mais ce n'était pas en direct. Il se passait beaucoup de chose dans le monde que nous ne pouvions comprendre. Je laissais ma télévision allumée malgré tout. Sandra n'aimait pas les informations mais elle ne disait pas comme moi : quelles conneries ! Elle n'en pensait rien de mal. Simplement ça ne l'intéressait pas. Elle était la preuve que l'on peut vivre sans être informé mais je n'y croyais pas encore. Je voulais connaître l'actualité. Les petites hausses du SMIC et les baisses d'impôt, les dernières décisions des ministres et les petits commentaires de l'opposition, la dernière rencontre entre Israéliens et Palestiniens pour aboutir à un accord de paix ou le nouvel attentat sanglant, le dernier voyage du pape, la nouvelle dévaluation de la monnaie au Brésil, mais surtout les résultats du championnat de France de football et les matchs de l'OM. Lorsque Bernard Tapie sombra, le club sombra avec lui. Des nombreuses irrégularités dans les affaires de cet homme couvert de gloire européenne, furent mises à jour, en plus de la corruption du joueur d'un club adverse. Comme nous assistions à une sorte de grand nettoyage - excès de zèle de la part des juges ? Avaient-ils, eux aussi, envie d'être vu à la télévision ? - il n'était pas seul à qui le pouvoir judiciaire demandait de rendre des comptes. D'autres hommes d'affaires ou hommes politiques, beaucoup ne faisaient justement plus la distinction, l'ont suivi ou précédé en prison. Sitôt sortis, la télé nous les montrait à nouveau, comme s'ils pouvaient reprendre leurs activités en toutes quiétudes. Etions-nous satisfait ? Nous les regardions, les pauvres. Ils pleuraient dans nos écrans, alors que nous étions à table, tout en affirmant leur désir de retrouver les fonctions qu'ils occupaient avant de choir. Par certains côté, entre la soupe et le dessert, grâce à ces hommes malhonnêtes mais respectueux, la télé nous donnait le sentiment que la justice était d'une grande injustice. Du coup, Hakim, moi, ses amis, d'autres jeunes qui cherchaient encore ce qu'ils pourraient faire de leurs vies, comprenions que ce mot n'avait plus de sens.

Avec Sandra je regardais Canal +, en clair, lorsque je n'avais pas encore de décodeur pirate, puis à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Nous aimions Gildas et de Caunes. Nous regardions aussi, sur cette chaîne, toute une série de nouveaux animateurs et animatrices, des jeunes qui ressemblaient à d'autres jeunes, c'est à dire à elle, à moi. La télé nous disait que n'importe qui, avec une gueule un peu sympa, pouvait faire de la télé. C'est pourquoi, cette chaîne ne nous fit pas seulement fantasmer avec un film porno chaque mois mais, déjà, elle posait les bases du futur succès du Loft de M6.

Louise m'avoua qu'elle rêvait d'y être, derrière le petit écran. La célébrité et l'argent ce n'était pas son truc, mais elle était jolie et avait envie que tout le monde le sache. Le deuxième soir, lorsque nous nous étions fatigué de faire l'amour puis de faire connaissance, j'avais allumé la télé pour que nous puissions nous épanouir devant des pubs et des programmes stupides dans lesquels un jour, peut-être, si elle avait de la chance, elle figurerait. Hakim était passé à l'improviste voulant sans doute tenter une réconciliation après notre dispute au café. Après lui avoir ouvert la porte, j'avais retrouvé, sans rien dire, ma place près de Louise, sur le canapé. Elle et moi ne quittions plus l'écran des yeux. Nous ressemblions presque à un couple officiel. Notre attitude de dévotion amoureuse devant le petit écran, réclamait une quelconque sanctification. Sa conception de la femme étant fortement marquée par sa religion, Hakim était réellement outré et ne pouvait nous donner sa bénédiction. Il avait ouvert le Coran pour savoir ce qu'est une femme et aussi à quoi elle sert. Quand elle n'entrait pas dans la case mère ou épouse, c'était une pute en puissance. Lorsqu'elle couchait le premier soir, aucun doute n'était permis. Pour lui, la preuve était donc établie que Louise était une pute. Il aurait aimé ne jamais assister à une telle messe hérétique. Scandalisé, comme un croyant peut l'être, il faillit partir mais finalement il posa son cul sur un siège. Il ne disait rien. J'étais en train de faire une dégringolade terrible dans son estime. Je le savais. Pour remonter tous les paliers desquels j'avais chutés, il aurait fallu que j'humilie Louise devant lui mais cette idée ne m'effleurait pas l'esprit. Antoine de Caunes, déguisé en rocker, avec une banane, un œil au beurre noir et quelques dents en moins, faisait son numéro à la télé. Il jouait la provoc et l'invité américain ne savait trop s'il devait lui répondre ou l'écouter sans réagir. Louise fixait toujours l'écran en souriant quelques fois des pitreries de l'animateur. Hakim était en colère et dégoûté, mais incrédule aussi, et puis, finalement, un peu gêné car il avait honte pour moi.

Le seul moyen de détendre l'atmosphère était de fumer un joint. Je me chargeais de le rouler. Hakim, en bon professionnel, ne pu s'empêcher de se saisir du morceau de shit pour l'examiner. Il fut rassuré de voir qu'il provenait de chez lui et il le reposa sur la table en disant qu'il en avait un meilleur encore. Mais j'aimais bien celui-là. Une fois que nous l'aurions fumé, je savais que les images de la télé seraient plus sympas à regarder et que j'aurais à nouveau très envie de Louise. Nous avons fumé en nous passant le joint. Contrairement à son habitude, Hakim ne s'attarda pas dessus. Je réalisais ensuite que j'avais faim. Louise et moi n'avions rien mangé de la journée tellement nous nous étions occupés de baiser. J'allais faire une prospection dans la cuisine. Il y avait des pâtes et une boîte de sauce tomate mais je ne trouvais pas de fromage dans le frigo. Je faillis descendre chez l'Arabe qui me faisait crédit pour en acheter. J'y renonçais. Je vérifiais sur la boîte, à cause d'Hakim, qu'il n'y avait pas de morceau de porc dans la sauce. Lorsque je revins dans le salon, pour leur demander s'ils avaient également faim, je les trouvais occupés. Louise lui avait acheté quelques grammes de coke. Je vis des petites lignes blanches, sur la table, disparaître dans ses narines et il me fut impossible de retenir ma colère.

Qu'ai-je fais ? Qu'ai-je dis ? Je ne m'en souviens plus. J'entends encore sa voix, si haute, si tranchante, qui me déchirait le corps. Mais qu'est-ce qui t'arrive, ça ne va pas ou quoi ? Non ça n'allait pas du tout. Il était hors de question de faire ça chez moi. Mais ça quoi ? Hakim, comprenant qu'il était allé trop loin, voulait rendre à Louise son argent. Elle refusa, toujours en me regardant droit dans les yeux. Mais pour qui tu te prends ? C'est pas parce que tu m'as baisée que tu as tous les droits sur moi ! Salaud ! Elle pris ses affaires et claqua la porte derrière elle. Hakim parti également, après m'avoir dit, d'un air pitoyable : elle n'en vaut pas la peine. Quelques minutes plus tard, j'étais certain que si, elle en valait la peine. Je courus après elle mais il était déjà trop tard : elle avait disparue.

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