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2eme version du roman > Chap1 : Sandra

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Je venais à peine de naître et ma sœur avait 16 mois lorsque mon père a disparu de la circulation laissant ma mère seule avec deux enfants à charge. Un matin, sans donner la moindre explication, il était parti pour ne jamais revenir. Plus tard, nous avons appris qu'il était retourné dans son pays. Personne n'a jamais su pourquoi il nous avait quittés de cette manière. D'après maman, il aurait eu une autre femme là-bas, avec laquelle il se serait marié avant de venir en France. Elle avait vécu avec lui pendant trois ans sans rien connaître de sa vie antérieure à leur rencontre. Ce ne fut pas facile pour elle. Chaque jour, elle se demandait en pleurant si elle parviendrait à nous élever. Finalement, elle y était parvenue, sans l'aide d'un homme. Elle en était fière. Elle avait surmonté des nombreuses épreuves dont la plus dure fut d'être longtemps amoureuse de l'homme qui l'avait abandonnée. Cet amour semble le seul de sa vie ; jamais, à ma connaissance, une telle chose ne se renouvela. Elle avait, du reste, trop à faire pour s'occuper des hommes. La pharmacie que maintenant elle possède, tout en accaparant son temps, lui a donné les moyens de largement subvenir à nos besoins. Cette pharmacie, sa réussite sociale et ses deux enfants métis ont toujours été ses seules raisons de vivre. Nous portons son nom et c'était un peu étrange, surtout en classe, avec les autres enfants, car tous portaient les noms des hommes qui avaient engrossé leurs mères ; leurs géniteurs, comme on peut dire également, ou leurs pères, mais ce mot était tabou à la maison.

A l'approche de notre majorité, ma sœur et moi avions besoin de prendre un peu de distance par rapport à cette mère extraordinaire, qui, à force de trop vouloir nous soigner, avait fini par nous étouffer. Moi davantage que ma sœur sans doute. Ma sœur, plus que tout, avait besoin d'un père. A 20 ans elle s'en trouva un en la personne de Simon, un homme d'une quinzaine d'années son aîné, avec lequel elle se maria pour le meilleur et pour le pire. Moi, juste après mon bac, voulant absolument conquérir mon autonomie, j'étais parti, comme mon père, dira ma mère, réussissant ainsi à me blesser profondément.

J'avais rencontré Sandra en fac. C'était en début d'année, l'une des rares fois où j'y mettais les pieds. Nos regards se croisèrent à maintes reprises durant un cours d'histoire, alors qu'un professeur, sans doute émérite, tentait de nous démontrer qu'il avait acquis des connaissances intellectuelles auxquelles très peu d'entre nous pouvaient raisonnablement prétendre. Quelques heures plus tard, nous nous retrouvâmes, elle et moi, par hasard, à un arrêt de bus. Nous avons fait connaissance en étudiant les horaires de passage des bus qui desservaient la faculté, ainsi que leurs parcours à travers la ville. Au dernier moment, je n'étais pas monté dans celui qui devait me prendre bien qu'il se soit arrêté quasiment à mes pieds, les portes grandes ouvertes ; j'avais décidé de prendre le même bus que Sandra ( le 168 ) pour passer plus de temps avec elle. Cela me faisait faire un immense détour et elle en était à la fois consciente, surprise et touchée. Elle m'affirma que ce n'était pas la peine, qu'elle avait l'habitude de rentrer seule chez elle. Mais je ne pouvais la lâcher. Je réussis à me faire dédommager de mes peines, qui n'en étaient pas, en lui faisant accepter de prendre un café avec moi.

Nous sortions souvent ensemble. Nous allions au cinéma ou dans des fêtes organisées par des étudiants. Nous nous téléphonions tous les soirs, et, lorsque nous avons commencé à nous étreindre, nous ploter, et nous embrasser devant les copains, il fut évident que nous devions vivre sous le même toit.

Grâce à un boulot de réceptionniste de nuit, que j'avais pu trouver dans un petit hôtel proche de l'Odéon, nous avons pu nous installer. Il était hors de question que je fisse appel à ma mère pour nous aider, c'est pourquoi ce travail était une véritable aubaine, non seulement pour moi, mais, je le pensais très fort à l'époque, pour Sandra également. Il consistait à rester éveillé toute la nuit ; d'abord sortir des rapports sur l'activité de la journée, puis récolter les commandes de petits-déjeuners au lit accrochées aux poignets des portes des clients qui sollicitaient ce service, enfin à réveiller ceux qui commençaient tôt leur journée, souvent à cause d'un avion à prendre. J'accomplissais ces tâches à différents moments de la nuit et le total des heures que j'y consacrais était en général inférieur à 3. J'avais donc beaucoup de temps "libre", dont, n'ayant personne sur le dos pour m'ennuyer ou me dire ce qu'il fallait faire, je pouvais disposer à ma guise.

Plutôt que réviser des cours, je préférai ouvrir un livre et j’y restais souvent plongé jusqu’au petit matin, à l'heure des premiers réveils.
Je lisais des romans, essentiellement, mais aussi de la poésie, et, plus rarement, des essais et des biographies d'écrivains ou d'hommes d'état, tel que Nicolas II, dernier tsar de Russie, qui m'a toujours semblé très romantique car, étant un homme très ordinaire, il a hérité d'un pouvoir extraordinaire à une époque ou la folie des hommes atteignit presque son zénith. Lui et sa famille, bien que d'ascendance divine, furent les tragiques victimes du progrès inexorable de l'humanité, porteur, ne l'oublions pas, comme toujours, d'un grand espoir. Le destin des hommes simples confrontés à des grands bouleversements historiques malgré eux m'a toujours semblé une illustration parfaite du caractère aléatoire de notre existence, c'est pourquoi je m'y intéressais un peu. Tous, d'après moi, à notre niveau (qui est rarement celui d'un monarque sur lequel l'histoire porte son regard), sommes confrontés à ces forces par lesquelles il est parfois écrit que nous devons périr. Nous sommes, pour certains d'entre nous, les héros de belles tragédies que jamais personne ne lira et dont seuls quelques-uns, parmi nos proches, auront connaissance.

En y repensant, je me rends compte, finalement, que les biographies que je lisais (les vies de ces hommes, que l'on qualifierait, dans le langage moderne, de loosers ) n'étaient pas très éloignées des romans que j'appréciais.
Les auteurs qui m'ont marqué à cette époque sont américains. Il s'agissait de John Irving, dont j'ai lu tous les romans, l'un après l'autre, (sept ou huit avaient été traduit en français) et Paul Auster, que j'ai découvert un peu plus tard, avec moins de voracité, certes, mais dont le style m'avait fortement touché. Quelques lignes de cet auteur faisaient naître en moi un sentiment étrange et contradictoire, à la fois de manque et de plénitude, tant je trouvais son texte épuré mais aussi très dense. Une drôle de chose en réalité, que je tente ici d'expliquer, tout en sachant que je ne serais jamais très juste ni assez précis dans mes propos. La tournure simple et directe de sa phrase donne l'impression d'une économie de mots, laissant, en quelque sorte, un vide en son sein. Mais ces vides sont des silences que l'on entend car, si Paul Auster laisse des espaces dans son texte, le lecteur les remplit lui-même au fil sa lecture.

Irving représente l'Amérique triomphante, celle des ados gâtés et des collèges sympathiques où l'apprentissage de la vie se réalise en même temps que celui de la lutte, Auster, lui, représente l'Amérique du hasard, de la solitude et du malaise, celle qui n'accorde pas ses chances à tout le monde : celle des déshérités, comme on dit, de ces loosers dont j'étais si intéressé à connaître la vie. Ces deux mondes sont si éloignés l'un de l'autre qu'il est parfois difficile d'imaginer que ces auteurs vivent et parlent du même pays. Il est aussi intéressant de remarquer que, si Irving a toujours eu une vie assez confortable, passant naturellement d'un statut : celui de l'étudiant sportif américain, à celui d'écrivain, Auster a connu la faim et le doute quant à sa capacité de gagner sa vie en écrivant.
Outre ces américains, parmi lesquels je ne peux omettre de citer Hemingway (mais, est-il américain ?), mes inconditionnelles ont toujours été Proust (un monde à lui seul), et Balzac, vers qui je revenais sans cesse et dont j'avais découvert, pour certains de ses livres, qu'en sautant quelques passages, on arrive à lire des palpitants romans d'aventure, tout à fait modernes.

Au petit matin, je rentrais chez moi en ayant atteint un quota extraordinaire de pages lus et d'aventures vécues sans quitter une chaise. M'entendant rentrer, Sandra se réveillait après une nuit de solitude et nous faisions l’amour avant que je ne m’endorme. Mon travail me rapportait bien plus d'argent que les ordinaires jobs d'étudiants et, n'attendant pas grand chose de la vie, je pourrais écrire que, à cette époque, nous étions presque heureux, sans soucis et indépendants.

Les choses changèrent plus tard, lorsque Sandra se mit à éprouver un grand sentiment de manque et commença à se plaindre de rester seule toutes les nuits. Elle me reprochait également de dormir durant la journée et, d'après elle, nous ne faisions plus rien ensemble.
J’ai toujours pensé qu’il s’agissait d’un caprice de sa part, car, sans mon travail et l’argent qu’il nous rapportait, comment aurions-nous fait pour vivre ? Les petits boulots qu'elle faisait à mi-temps lui permettaient à peine de payer la moitié du loyer. De plus, elle en avait testé plusieurs et aucun ne lui avait suffisamment plu pour qu’elle y reste plus de 3 mois. Elle ne se rendait pas compte. J’aurais aimé lui faire plaisir mais ce n’était pas possible. J’avais des dizaines d’arguments logiques, raisonnables, irréfutables à lui servir à la pelle, et je ne m’en privais pas. Finalement, elle compris qu'il valait mieux laisser tomber. Elle choisit de faire comme si je n'existais pas et elle se mit à sortir avec des amies pour ne plus être seule.

En fait d'amies, il s'agissait surtout d'une fille qu'elle avait également connue à la fac, une sorte de reine des nuits technos, grande et mince, adepte du percing, des tatouages et des cheveux colorés, qui se faisait appeler Helena Strange. Cette fille avait tout pour être célèbre, ce qui fut le cas, d'abord grâce à l'industrie du film X, puis à celle de la musique. Elle était étrange, si elle le voulait, mais surtout bien foutue et très jolie. Pour mon grand malheur, la première fois que je l'ai rencontrée, j'ai tenté de la séduire bien que je sortais déjà avec Sandra. Je ne pouvais imaginer qu'elles seraient un jour amies toutes les deux. Helena, la fille branchée, connaissait du monde un peu partout parmi les peuples de noctambules. A l'époque, elle devait avoir déjà commencé sa carrière de modèle photo ; elle évoluait du côté soft avant de basculer du côté hard où je devais la rencontrer une seconde fois, quelques années plus tard, en photo dans un magazine que les mineurs ne peuvent acheter. A la troisième page, elle apparaissait nue, à quatre pattes, son cul au premier plan, se servant du majeur et de l'annulaire pour ouvrir son sexe tout en déclarant, s'il fallait en croire la légende, J'aime que les hommes me prennent comme une chienne par derrière. Sandra a du apprendre comment sa copine m'avait jeté. Plusieurs soirs par semaine, elles allaient ensemble aux Bains ou au Queen et finissaient souvent dans des afters où il arrivait à Helena de faire la bise à des comédiens homos, connus du tout Paris. Avec elle, sans devenir la reine des nuits parisiennes ou la coqueluche d'une quelconque discothèque, Sandra avait l'occasion de côtoyer un petit milieu qui, pour faire la fête, était prêt à tout. Un milieu superficiel mais un milieu quand même, c'est-à-dire des gens qui se connaissent, se donnent des rendez-vous, font la fête et boivent ensemble. Une vraie bande avec ce que ça implique d'emmerdeurs mais des vraies soirées et des vraies personnalités que tu rencontres. Je n'ai jamais apprécié les personnalités, ces personnes dont, pour la plupart, je me suis souvent demandé ce qu'elles avaient de plus que le commun des mortels, si ce n'est de passer de temps à autres à la télévision, de faire des films stupides ou de chanter des chansons idiotes. Pour moi, le vrai talent a toujours été celui de l'écrivain et toutes les bouffonneries dont on dit vulgairement qu'elles "marchent" parce qu'un grand nombre d'imbéciles les achètent, ne m'inspirent qu'un profond mépris.

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Bien que les soirées de Sandra n'eurent rien pour m'impressionner, elle s'y amusait apparemment comme une folle et rentrait au petit matin, souvent après moi, pour se coucher sans prononcer le moindre mot, même lorsque je l'avais attendue sans trop savoir pourquoi. Nous étions devenus des étrangers l'un pour l'autre.

Un soir, nous sommes sortis ensemble de l'appartement, sans oser nous regarder. Je m'en allais travailler tandis que Sandra emportait une petite valise avec elle. Pour moi, ce n’était pas une véritable rupture mais l’occasion de prendre un peu de recul. C'est pourquoi, les jours suivants, je fus un peu troublé en voyant disparaître d'autres témoignages de notre vie commune. Sandra revenait chercher des affaires le soir, lorsque j'étais au travail. En rentrant le matin, je trouvais parfois un petit mot sur la table. Elle me signalait son passage en mon absence et me prévenait qu'elle avait pris certains objets de notre patrimoine commun et m'en avait laissé d'autres. Elle organisait seule ce partage et, quelques fois, ses choix me surprenaient, lorsqu'il s'agissait, par exemple, de CD que je ne l'avais jamais vu écouter ou de certaines photos de nos vacances. Je m'énervais pour ces choses futiles et je tentais de la joindre pour une explication. J'appelais toutes ses amies mais, bizarrement, aucune ne savait où elle était. A toutes, je laissais des messages à lui transmettre au plus vite. Quand tu la verras, dis-lui que... Je réalisais alors que la distance qui, peu à peu, m'avait séparé de Sandra était maintenant beaucoup trop grande. Mes messages étaient destinés à une personne qui n'existait sans doute plus. Je voulus la ressusciter.

Pour lui parler, je décidais de rester chez moi afin de la surprendre un soir, lorsqu'elle reviendrait récupérer ses dernières affaires. Je l'attendis trois nuits dans un appartement silencieux. Le moindre bruit à l'extérieur, l'ascenseur ou la mise en route d'une minuterie, me rendait anxieux. La quatrième nuit, lorsqu'elle revint, j'étais si fébrile que je n'ai pu respecter le plan que je m'étais fixé. J'ai sursauté dans la cuisine en entendant le bruit d'une clé dans la serrure et les couverts ainsi que l'assiette que j'avais en main sont tombés sur un sol dur et froid, si bien qu'il y eut un grand fracas au lieu du silence attendu. La porte d'entrée s'était aussitôt refermée ; Sandra s'était enfuie dans les escaliers pour ne pas se retrouver en ma présence.

J'étais stupéfait. Impossible de la rattraper. Je suis resté paralysé sur le pallier ; je ne pouvais aller plus loin. Bien sûr, tout en dévalant les marches quatre à quatre, elle m'entendait lui crier mon amour (qui ne pouvait m'entendre ? Même les voisins sont sortis pour voir ce qui se passait) mais mes cris ne l'ont pas arrêtée. Alors, je me suis écroulé sur le palier en espérant qu'elle viendrait me relever. Les lumières se sont éteintes puis se sont rallumées. J'ai entendu du bruit. Des pas. Quelqu'un montait les escaliers. Mon cœur s'est remis à battre. Au troisième étage, une voix féminine s'est fait entendre. Ce n'était pas la sienne. Les lumières se sont encore éteintes. J'étais toujours sur le palier. Je ne sais pas combien de temps j'y suis resté, combien de fois j'ai espéré, ni combien de fois la lumière s'est éteinte sur mes sanglots. J'ai finalement regagné mon appartement. En refermant la porte derrière moi, je me sentais vide et las. Comment a-t-elle pu changer à ce point ? Me suis-je demandé. Et j'ai compris qu'elle me méprisait.

Le lendemain, une de ses amies est venue chercher les affaires qu'elle n'avait pu récupérer la veille au soir. Elle m'a expliqué que Sandra ne voulait plus me revoir, que c'était trop dur pour elle parce qu'elle souhaitait passer à autre chose. Je n'ai pas bien compris ce que ce autre chose voulait dire ; j’étais encore sous le choc, complètement anéantis. Il m’a semblé, en l’écoutant, que personne n'accorderait de l'importance à la souffrance, pourtant réelle, que je sentais naître au plus profond de moi, avec une vivacité féroce. Sans Sandra, la vie devenait soudainement impossible. Son amie était bien trop maladroite pour le comprendre et réconforter mon âme en peine. Et ce n'était manifestement pas la mission qui lui avait été confiée. Elle me donna l'impression, au contraire, que le bonheur de Sandra était désormais une valeur suprême et fragile, pour laquelle mon existence pouvait être sacrifiée. De sa part, c'était surtout de la provocation, une petite illustration de l'horrible solidarité féminine, qui se veut toujours celle des victimes. J'ai aidé Natacha, car c'est ainsi qu'elle s'appelait, - et elle était beaucoup moins méchante qu'elle en avait l'air - à rassembler tous ce que Sandra voulait m’enlever (c’était à moi, c’était à elle, quelle importance ?) sans émettre la moindre objection. Je crois que cela l'a surprise - elle s'attendait à une confrontation avec l’homme égoïste et matérialiste que j’étais censé représenter. Je l'ai aussi accompagnée jusqu'à sa voiture. Elle est repartie confuse ou fâchée. Elle a dû rouler jusqu'à rejoindre Sandra et lui a sans doute jeté ses affaires en pleine figure en lui disant que je n'étais pas un salaud mais quelqu'un de bien. C'est en tout cas ce qu'il me fallut imaginer pour me trouver un peu de réconfort.

Ces jours tragiques m'ont porté vers l'une des périodes les plus sombres de mon existence. Je ne pensais plus à travailler ni à faire quoi que ce soit. Je voulais disparaître. Je voulais qu'on me fiche la paix. Je voulais que Sandra me revienne. Je voulais être seul mais seul, je ne me supportais plus.

N’ayant plus aucune nouvelle de moi, le directeur de l’hôtel m’avait envoyé une lettre recommandée dans laquelle il m'informait, dans un style d'une grande probité et sans la moindre compassion, que j'allais être licencié en raison de mon absence prolongée et surtout injustifiée. Il me donnait rendez-vous pour un entretien préalable à mon licenciement, en me précisant que j'avais la possibilité de me faire assister par un délégué syndical. Ce dernier réussit à faire changer le motif de mon licenciement, la faute lourdes ou grave, que le directeur souhaitait m'imputer, devint un motif réel et sérieux, lequel me permit de bénéficier de l'indemnité que verse les Assedic aux chômeurs. Je tenais à le préciser, afin que, tout à l'heure, lorsque je dirai du mal des syndicats, vous sachiez qu'ils peuvent parfois défendre les intérêts des travailleurs. Dans mon état, ce travail ne constituait pas une grande perte et cet arrangement me convenait parfaitement bien.

Je pleurais souvent seul le soir mais je disais à ma mère que tout allait bien. Avertie par ma sœur du départ de Sandra, elle n’en était pas mécontente car elle estimait que "cette fille", comme elle l'appelait, m'avait encouragé à délaisser mes études au profit d'un travail qui ne m'apporterait rien. Mais, si j’avais sacrifié mes études pour gagner ma vie, ce ne pouvait être de la faute de Sandra mais plutôt de la sienne, car c'est d'elle dont je cherchais par tous les moyens à m'affranchir. Sandra, en vérité, aurait préféré que je passe mes soirées avec elle à la maison. Je voulais absolument gagner ma vie. C'est pourquoi tout s'est dégradé entre nous.

Je me souviens d'une époque où, pour me punir ou par lassitude, elle s’était mise à me refuser de plus en plus souvent. Le matin, ce n’était plus son heure ; elle voulait faire l’amour le soir puis s’endormir dans mes bras pour toute la nuit. Du coup, nous ne faisions plus l’amour. Et, lorsqu’elle m’a quitté, il m'était impossible de me souvenir de la dernière fois où nous avions couché ensemble bien que j'essayai très souvent. Ce souvenir m’est revenu deux ans plus tard, presque par hasard, alors que je m’étais délivré de Sandra et je sortais avec une autre fille. Dans ma seconde vie, il m’arrivait d’avoir des flashs de la première. C’est ainsi que je la revis, elle, Sandra, dans le lit, un matin, quelques semaines avant qu’elle ne décide de s'en aller.

Il devait être 7 ou 8 heures, je venais de rentrer de l'hôtel et je m’étais couché en tentant de l’enlacer. Elle ne voulait pas. Je m’étais ravisé : je lui avais tourné le dos de mauvaise humeur. D’abord, j’ai pensé ignorer mon désir et m’endormir. Mais ce n’était pas possible. Au bout de vingt minutes, j’ai tenté à nouveau avec elle, comme nous en avions l’habitude, le procédé, la méthode, qui finissait en général par l’exciter suffisamment pour qu’elle ait envie de moi. Les couples, lorsqu’ils sont habitués l’un à l’autre, font en général preuve d’un grand manque d’imagination, souvent les mêmes caresses, les mêmes baisers, les mêmes positions, les mêmes gémissements et, peut-être, les mêmes orgasmes. C’était notre cas. Elle faisait semblant de dormir pendant que, doucement, par derrière, je glissais ma main entre ses cuisses. Son sexe n’était pas humide et je décidais de lui faire un cunnilingus. Elle l’aimait bien, celui là, en général. Mais, soudain, tout en se redressant brusquement sur son séant, elle me dit, Non. Je fis la tête ahurie de celui que l’on vient de surprendre et qui ne comprend rien. Pourquoi ? lui demandais-je. J’ai pas envie.

Nous nous sommes recouchés dos à dos mais j’avais toujours très envie d’elle. Je lui ai laissé quelques minutes de répit, puis, je me suis retourné et, à nouveau, mes doigts ont cherché le chemin de son sexe. J’ai plaqué ma belle érection contre ses fesses. Je ne sais pas quelle sensation désagréable cela a pu lui procurer ; elle m’a dit, excédée, Très bien, puisque t’as décidé de m’emmerder, tu peux y aller. Vas-y prends moi ! Sans hésiter, je l’ai prise. J’ai étreins son corps quasi inerte. Puis, comme elle s’était couchée sur le ventre, je l’ai pénétrée par derrière.

Très vite, j’avais fini mon affaire. Je n’étais pas satisfait. Bien au contraire, je regrettais. Ce que j’avais eu n’était rien. Un grand Rien, vide de tous sens. Un Rien imparable et frustrant, triste aboutissement de ma concupiscence. Sandra s’était levée et avait disparue dans la salle de bain avant de revenir dans la chambre. J'ai cru qu'elle pleurait. J’ai voulu lui parler mais elle ne répondait rien. J’essayais de m’excuser. Elle a tourné vers moi un regard humide chargé de reproche. Je me suis énervé. J’en avais assez d’elle. Je lui ai dit. Pauvre victime ! Jamais satisfaite ! Toujours à se plaindre et pleurnicher ! Oui tu pleurniches ! Après, je me suis tu.

Nous ne nous sommes jamais vraiment réconcilier. Lorsqu’elle m’a quitté, elle devait encore se souvenir de ce triste épisode de notre histoire. Moi, je l’avais oublié. Ma mémoire l’avait complètement occulté. A l’époque où je pleurais la perte de Sandra, que je croyais aimer plus que tout au monde, je ne parvenais pas à me souvenir de la dernière fois où je lui avais fait l’amour. Tout ça est vrai. Il ne s'agissait pas de mauvaise volonté de ma part mais d'un caprice de ma conscience qui me soufflait tout bas, lorsque j'étais de trop bonne volonté justement, Oublions ce qui nous gêne.

:: Commentaire [ Le 19.09.2002]
J'arrive enfin à une version satisfaisante du premier chapitre.
Ce chapitre m'a donné beaucoup de soucis et, jusqu'à présent, il a été le plus dur à écrire.En lisant la version précedente, vous découvrirez comment certains détails peuvent rendre un texte plus vivant. C'est en tout cas mon sentiment. En dehors du soucis de faire vivre ce texte, la volonté d'améliorer le style et de construire un bon début m'ont également amené à réecrire ce chapitre.
Je suis assez satisfait du résultat que je mets en ligne aujourd'hui. J'espère que vous apprécierez cette lecture.


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