Je venais à peine de naître
et ma sœur avait 16 mois lorsque mon père a disparu
de la circulation laissant ma mère seule avec deux enfants
à charge. Un matin, sans donner la moindre explication, il
était parti pour ne jamais revenir. Plus tard, nous avons
appris qu'il était retourné dans son pays. Personne
n'a jamais su pourquoi il nous avait quittés de cette manière.
D'après maman, il aurait eu une autre femme là-bas,
avec laquelle il se serait marié avant de venir en France.
Elle avait vécu avec lui pendant trois ans sans rien connaître
de sa vie antérieure à leur rencontre. Ce ne fut pas
facile pour elle. Chaque jour, elle se demandait en pleurant si
elle parviendrait à nous élever. Finalement, elle
y était parvenue, sans l'aide d'un homme. Elle en était
fière. Elle avait surmonté des nombreuses épreuves
dont la plus dure fut d'être longtemps amoureuse de l'homme
qui l'avait abandonnée. Cet amour semble le seul de sa vie
; jamais, à ma connaissance, une telle chose ne se renouvela.
Elle avait, du reste, trop à faire pour s'occuper des hommes.
La pharmacie que maintenant elle possède, tout en accaparant
son temps, lui a donné les moyens de largement subvenir à
nos besoins. Cette pharmacie, sa réussite sociale et ses
deux enfants métis ont toujours été ses seules
raisons de vivre. Nous portons son nom et c'était un peu
étrange, surtout en classe, avec les autres enfants, car
tous portaient les noms des hommes qui avaient engrossé leurs
mères ; leurs géniteurs, comme on peut dire également,
ou leurs pères, mais ce mot était tabou à la
maison.
A l'approche de notre majorité, ma sœur et moi avions
besoin de prendre un peu de distance par rapport à cette
mère extraordinaire, qui, à force de trop vouloir
nous soigner, avait fini par nous étouffer. Moi davantage
que ma sœur sans doute. Ma sœur, plus que tout, avait
besoin d'un père. A 20 ans elle s'en trouva un en la personne
de Simon, un homme d'une quinzaine d'années son aîné,
avec lequel elle se maria pour le meilleur et pour le pire. Moi,
juste après mon bac, voulant absolument conquérir
mon autonomie, j'étais parti, comme mon père, dira
ma mère, réussissant ainsi à me blesser profondément.
J'avais rencontré Sandra en fac. C'était en début
d'année, l'une des rares fois où j'y mettais les pieds.
Nos regards se croisèrent à maintes reprises durant
un cours d'histoire, alors qu'un professeur, sans doute émérite,
tentait de nous démontrer qu'il avait acquis des connaissances
intellectuelles auxquelles très peu d'entre nous pouvaient
raisonnablement prétendre. Quelques heures plus tard, nous
nous retrouvâmes, elle et moi, par hasard, à un arrêt
de bus. Nous avons fait connaissance en étudiant les horaires
de passage des bus qui desservaient la faculté, ainsi que
leurs parcours à travers la ville. Au dernier moment, je
n'étais pas monté dans celui qui devait me prendre
bien qu'il se soit arrêté quasiment à mes pieds,
les portes grandes ouvertes ; j'avais décidé de prendre
le même bus que Sandra ( le 168 ) pour passer plus de temps
avec elle. Cela me faisait faire un immense détour et elle
en était à la fois consciente, surprise et touchée.
Elle m'affirma que ce n'était pas la peine, qu'elle avait
l'habitude de rentrer seule chez elle. Mais je ne pouvais la lâcher.
Je réussis à me faire dédommager de mes peines,
qui n'en étaient pas, en lui faisant accepter de prendre
un café avec moi.
Nous sortions souvent ensemble. Nous allions au cinéma ou
dans des fêtes organisées par des étudiants.
Nous nous téléphonions tous les soirs, et, lorsque
nous avons commencé à nous étreindre, nous
ploter, et nous embrasser devant les copains, il fut évident
que nous devions vivre sous le même toit.
Grâce à un boulot de réceptionniste de nuit,
que j'avais pu trouver dans un petit hôtel proche de l'Odéon,
nous avons pu nous installer. Il était hors de question que
je fisse appel à ma mère pour nous aider, c'est pourquoi
ce travail était une véritable aubaine, non seulement
pour moi, mais, je le pensais très fort à l'époque,
pour Sandra également. Il consistait à rester éveillé
toute la nuit ; d'abord sortir des rapports sur l'activité
de la journée, puis récolter les commandes de petits-déjeuners
au lit accrochées aux poignets des portes des clients qui
sollicitaient ce service, enfin à réveiller ceux qui
commençaient tôt leur journée, souvent à
cause d'un avion à prendre. J'accomplissais ces tâches
à différents moments de la nuit et le total des heures
que j'y consacrais était en général inférieur
à 3. J'avais donc beaucoup de temps "libre", dont,
n'ayant personne sur le dos pour m'ennuyer ou me dire ce qu'il fallait
faire, je pouvais disposer à ma guise.
Plutôt que réviser des cours, je préférai
ouvrir un livre et j’y restais souvent plongé jusqu’au
petit matin, à l'heure des premiers réveils.
Je lisais des romans, essentiellement, mais aussi de la poésie,
et, plus rarement, des essais et des biographies d'écrivains
ou d'hommes d'état, tel que Nicolas II, dernier tsar de Russie,
qui m'a toujours semblé très romantique car, étant
un homme très ordinaire, il a hérité d'un pouvoir
extraordinaire à une époque ou la folie des hommes
atteignit presque son zénith. Lui et sa famille, bien que
d'ascendance divine, furent les tragiques victimes du progrès
inexorable de l'humanité, porteur, ne l'oublions pas, comme
toujours, d'un grand espoir. Le destin des hommes simples confrontés
à des grands bouleversements historiques malgré eux
m'a toujours semblé une illustration parfaite du caractère
aléatoire de notre existence, c'est pourquoi je m'y intéressais
un peu. Tous, d'après moi, à notre niveau (qui est
rarement celui d'un monarque sur lequel l'histoire porte son regard),
sommes confrontés à ces forces par lesquelles il est
parfois écrit que nous devons périr. Nous sommes,
pour certains d'entre nous, les héros de belles tragédies
que jamais personne ne lira et dont seuls quelques-uns, parmi nos
proches, auront connaissance.
En y repensant, je me rends compte, finalement, que les biographies
que je lisais (les vies de ces hommes, que l'on qualifierait, dans
le langage moderne, de loosers ) n'étaient pas très
éloignées des romans que j'appréciais.
Les auteurs qui m'ont marqué à cette époque
sont américains. Il s'agissait de John Irving, dont j'ai
lu tous les romans, l'un après l'autre, (sept ou huit avaient
été traduit en français) et Paul Auster, que
j'ai découvert un peu plus tard, avec moins de voracité,
certes, mais dont le style m'avait fortement touché. Quelques
lignes de cet auteur faisaient naître en moi un sentiment
étrange et contradictoire, à la fois de manque et
de plénitude, tant je trouvais son texte épuré
mais aussi très dense. Une drôle de chose en réalité,
que je tente ici d'expliquer, tout en sachant que je ne serais jamais
très juste ni assez précis dans mes propos. La tournure
simple et directe de sa phrase donne l'impression d'une économie
de mots, laissant, en quelque sorte, un vide en son sein. Mais ces
vides sont des silences que l'on entend car, si Paul Auster laisse
des espaces dans son texte, le lecteur les remplit lui-même
au fil sa lecture.
Irving représente l'Amérique triomphante, celle des
ados gâtés et des collèges sympathiques où
l'apprentissage de la vie se réalise en même temps
que celui de la lutte, Auster, lui, représente l'Amérique
du hasard, de la solitude et du malaise, celle qui n'accorde pas
ses chances à tout le monde : celle des déshérités,
comme on dit, de ces loosers dont j'étais si intéressé
à connaître la vie. Ces deux mondes sont si éloignés
l'un de l'autre qu'il est parfois difficile d'imaginer que ces auteurs
vivent et parlent du même pays. Il est aussi intéressant
de remarquer que, si Irving a toujours eu une vie assez confortable,
passant naturellement d'un statut : celui de l'étudiant sportif
américain, à celui d'écrivain, Auster a connu
la faim et le doute quant à sa capacité de gagner
sa vie en écrivant.
Outre ces américains, parmi lesquels je ne peux omettre de
citer Hemingway (mais, est-il américain ?), mes inconditionnelles
ont toujours été Proust (un monde à lui seul),
et Balzac, vers qui je revenais sans cesse et dont j'avais découvert,
pour certains de ses livres, qu'en sautant quelques passages, on
arrive à lire des palpitants romans d'aventure, tout à
fait modernes.
Au petit matin, je rentrais chez moi en ayant atteint un quota
extraordinaire de pages lus et d'aventures vécues sans quitter
une chaise. M'entendant rentrer, Sandra se réveillait après
une nuit de solitude et nous faisions l’amour avant que je
ne m’endorme. Mon travail me rapportait bien plus d'argent
que les ordinaires jobs d'étudiants et, n'attendant pas grand
chose de la vie, je pourrais écrire que, à cette époque,
nous étions presque heureux, sans soucis et indépendants.
Les choses changèrent plus tard, lorsque Sandra se mit à
éprouver un grand sentiment de manque et commença
à se plaindre de rester seule toutes les nuits. Elle me reprochait
également de dormir durant la journée et, d'après
elle, nous ne faisions plus rien ensemble.
J’ai toujours pensé qu’il s’agissait d’un
caprice de sa part, car, sans mon travail et l’argent qu’il
nous rapportait, comment aurions-nous fait pour vivre ? Les petits
boulots qu'elle faisait à mi-temps lui permettaient à
peine de payer la moitié du loyer. De plus, elle en avait
testé plusieurs et aucun ne lui avait suffisamment plu pour
qu’elle y reste plus de 3 mois. Elle ne se rendait pas compte.
J’aurais aimé lui faire plaisir mais ce n’était
pas possible. J’avais des dizaines d’arguments logiques,
raisonnables, irréfutables à lui servir à la
pelle, et je ne m’en privais pas. Finalement, elle compris
qu'il valait mieux laisser tomber. Elle choisit de faire comme si
je n'existais pas et elle se mit à sortir avec des amies
pour ne plus être seule.
En fait d'amies, il s'agissait surtout d'une fille qu'elle avait
également connue à la fac, une sorte de reine des
nuits technos, grande et mince, adepte du percing, des tatouages
et des cheveux colorés, qui se faisait appeler Helena Strange.
Cette fille avait tout pour être célèbre, ce
qui fut le cas, d'abord grâce à l'industrie du film
X, puis à celle de la musique. Elle était étrange,
si elle le voulait, mais surtout bien foutue et très jolie.
Pour mon grand malheur, la première fois que je l'ai rencontrée,
j'ai tenté de la séduire bien que je sortais déjà
avec Sandra. Je ne pouvais imaginer qu'elles seraient un jour amies
toutes les deux. Helena, la fille branchée, connaissait du
monde un peu partout parmi les peuples de noctambules. A l'époque,
elle devait avoir déjà commencé sa carrière
de modèle photo ; elle évoluait du côté
soft avant de basculer du côté hard où je devais
la rencontrer une seconde fois, quelques années plus tard,
en photo dans un magazine que les mineurs ne peuvent acheter. A
la troisième page, elle apparaissait nue, à quatre
pattes, son cul au premier plan, se servant du majeur et de l'annulaire
pour ouvrir son sexe tout en déclarant, s'il fallait en croire
la légende, J'aime que les hommes me prennent comme une chienne
par derrière. Sandra a du apprendre comment sa copine m'avait
jeté. Plusieurs soirs par semaine, elles allaient ensemble
aux Bains ou au Queen et finissaient souvent dans des afters où
il arrivait à Helena de faire la bise à des comédiens
homos, connus du tout Paris. Avec elle, sans devenir la reine des
nuits parisiennes ou la coqueluche d'une quelconque discothèque,
Sandra avait l'occasion de côtoyer un petit milieu qui, pour
faire la fête, était prêt à tout. Un milieu
superficiel mais un milieu quand même, c'est-à-dire
des gens qui se connaissent, se donnent des rendez-vous, font la
fête et boivent ensemble. Une vraie bande avec ce que ça
implique d'emmerdeurs mais des vraies soirées et des vraies
personnalités que tu rencontres. Je n'ai jamais apprécié
les personnalités, ces personnes dont, pour la plupart, je
me suis souvent demandé ce qu'elles avaient de plus que le
commun des mortels, si ce n'est de passer de temps à autres
à la télévision, de faire des films stupides
ou de chanter des chansons idiotes. Pour moi, le vrai talent a toujours
été celui de l'écrivain et toutes les bouffonneries
dont on dit vulgairement qu'elles "marchent" parce qu'un
grand nombre d'imbéciles les achètent, ne m'inspirent
qu'un profond mépris.
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Bien que les soirées de Sandra n'eurent
rien pour m'impressionner, elle s'y amusait apparemment comme une
folle et rentrait au petit matin, souvent après moi, pour
se coucher sans prononcer le moindre mot, même lorsque je
l'avais attendue sans trop savoir pourquoi. Nous étions devenus
des étrangers l'un pour l'autre.
Un soir, nous sommes sortis ensemble de l'appartement, sans oser
nous regarder. Je m'en allais travailler tandis que Sandra emportait
une petite valise avec elle. Pour moi, ce n’était pas
une véritable rupture mais l’occasion de prendre un
peu de recul. C'est pourquoi, les jours suivants, je fus un peu
troublé en voyant disparaître d'autres témoignages
de notre vie commune. Sandra revenait chercher des affaires le soir,
lorsque j'étais au travail. En rentrant le matin, je trouvais
parfois un petit mot sur la table. Elle me signalait son passage
en mon absence et me prévenait qu'elle avait pris certains
objets de notre patrimoine commun et m'en avait laissé d'autres.
Elle organisait seule ce partage et, quelques fois, ses choix me
surprenaient, lorsqu'il s'agissait, par exemple, de CD que je ne
l'avais jamais vu écouter ou de certaines photos de nos vacances.
Je m'énervais pour ces choses futiles et je tentais de la
joindre pour une explication. J'appelais toutes ses amies mais,
bizarrement, aucune ne savait où elle était. A toutes,
je laissais des messages à lui transmettre au plus vite.
Quand tu la verras, dis-lui que... Je réalisais alors que
la distance qui, peu à peu, m'avait séparé
de Sandra était maintenant beaucoup trop grande. Mes messages
étaient destinés à une personne qui n'existait
sans doute plus. Je voulus la ressusciter.
Pour lui parler, je décidais de rester chez moi afin de
la surprendre un soir, lorsqu'elle reviendrait récupérer
ses dernières affaires. Je l'attendis trois nuits dans un
appartement silencieux. Le moindre bruit à l'extérieur,
l'ascenseur ou la mise en route d'une minuterie, me rendait anxieux.
La quatrième nuit, lorsqu'elle revint, j'étais si
fébrile que je n'ai pu respecter le plan que je m'étais
fixé. J'ai sursauté dans la cuisine en entendant le
bruit d'une clé dans la serrure et les couverts ainsi que
l'assiette que j'avais en main sont tombés sur un sol dur
et froid, si bien qu'il y eut un grand fracas au lieu du silence
attendu. La porte d'entrée s'était aussitôt
refermée ; Sandra s'était enfuie dans les escaliers
pour ne pas se retrouver en ma présence.
J'étais stupéfait. Impossible de la rattraper. Je
suis resté paralysé sur le pallier ; je ne pouvais
aller plus loin. Bien sûr, tout en dévalant les marches
quatre à quatre, elle m'entendait lui crier mon amour (qui
ne pouvait m'entendre ? Même les voisins sont sortis pour
voir ce qui se passait) mais mes cris ne l'ont pas arrêtée.
Alors, je me suis écroulé sur le palier en espérant
qu'elle viendrait me relever. Les lumières se sont éteintes
puis se sont rallumées. J'ai entendu du bruit. Des pas. Quelqu'un
montait les escaliers. Mon cœur s'est remis à battre.
Au troisième étage, une voix féminine s'est
fait entendre. Ce n'était pas la sienne. Les lumières
se sont encore éteintes. J'étais toujours sur le palier.
Je ne sais pas combien de temps j'y suis resté, combien de
fois j'ai espéré, ni combien de fois la lumière
s'est éteinte sur mes sanglots. J'ai finalement regagné
mon appartement. En refermant la porte derrière moi, je me
sentais vide et las. Comment a-t-elle pu changer à ce point
? Me suis-je demandé. Et j'ai compris qu'elle me méprisait.
Le lendemain, une de ses amies est venue chercher les affaires
qu'elle n'avait pu récupérer la veille au soir. Elle
m'a expliqué que Sandra ne voulait plus me revoir, que c'était
trop dur pour elle parce qu'elle souhaitait passer à autre
chose. Je n'ai pas bien compris ce que ce autre chose voulait dire
; j’étais encore sous le choc, complètement
anéantis. Il m’a semblé, en l’écoutant,
que personne n'accorderait de l'importance à la souffrance,
pourtant réelle, que je sentais naître au plus profond
de moi, avec une vivacité féroce. Sans Sandra, la
vie devenait soudainement impossible. Son amie était bien
trop maladroite pour le comprendre et réconforter mon âme
en peine. Et ce n'était manifestement pas la mission qui
lui avait été confiée. Elle me donna l'impression,
au contraire, que le bonheur de Sandra était désormais
une valeur suprême et fragile, pour laquelle mon existence
pouvait être sacrifiée. De sa part, c'était
surtout de la provocation, une petite illustration de l'horrible
solidarité féminine, qui se veut toujours celle des
victimes. J'ai aidé Natacha, car c'est ainsi qu'elle s'appelait,
- et elle était beaucoup moins méchante qu'elle en
avait l'air - à rassembler tous ce que Sandra voulait m’enlever
(c’était à moi, c’était à
elle, quelle importance ?) sans émettre la moindre objection.
Je crois que cela l'a surprise - elle s'attendait à une confrontation
avec l’homme égoïste et matérialiste que
j’étais censé représenter. Je l'ai aussi
accompagnée jusqu'à sa voiture. Elle est repartie
confuse ou fâchée. Elle a dû rouler jusqu'à
rejoindre Sandra et lui a sans doute jeté ses affaires en
pleine figure en lui disant que je n'étais pas un salaud
mais quelqu'un de bien. C'est en tout cas ce qu'il me fallut imaginer
pour me trouver un peu de réconfort.
Ces jours tragiques m'ont porté vers l'une des périodes
les plus sombres de mon existence. Je ne pensais plus à travailler
ni à faire quoi que ce soit. Je voulais disparaître.
Je voulais qu'on me fiche la paix. Je voulais que Sandra me revienne.
Je voulais être seul mais seul, je ne me supportais plus.
N’ayant plus aucune nouvelle de moi, le directeur de l’hôtel
m’avait envoyé une lettre recommandée dans laquelle
il m'informait, dans un style d'une grande probité et sans
la moindre compassion, que j'allais être licencié en
raison de mon absence prolongée et surtout injustifiée.
Il me donnait rendez-vous pour un entretien préalable à
mon licenciement, en me précisant que j'avais la possibilité
de me faire assister par un délégué syndical.
Ce dernier réussit à faire changer le motif de mon
licenciement, la faute lourdes ou grave, que le directeur souhaitait
m'imputer, devint un motif réel et sérieux, lequel
me permit de bénéficier de l'indemnité que
verse les Assedic aux chômeurs. Je tenais à le préciser,
afin que, tout à l'heure, lorsque je dirai du mal des syndicats,
vous sachiez qu'ils peuvent parfois défendre les intérêts
des travailleurs. Dans mon état, ce travail ne constituait
pas une grande perte et cet arrangement me convenait parfaitement
bien.
Je pleurais souvent seul le soir mais je disais à ma mère
que tout allait bien. Avertie par ma sœur du départ
de Sandra, elle n’en était pas mécontente car
elle estimait que "cette fille", comme elle l'appelait,
m'avait encouragé à délaisser mes études
au profit d'un travail qui ne m'apporterait rien. Mais, si j’avais
sacrifié mes études pour gagner ma vie, ce ne pouvait
être de la faute de Sandra mais plutôt de la sienne,
car c'est d'elle dont je cherchais par tous les moyens à
m'affranchir. Sandra, en vérité, aurait préféré
que je passe mes soirées avec elle à la maison. Je
voulais absolument gagner ma vie. C'est pourquoi tout s'est dégradé
entre nous.
Je me souviens d'une époque où, pour me punir ou
par lassitude, elle s’était mise à me refuser
de plus en plus souvent. Le matin, ce n’était plus
son heure ; elle voulait faire l’amour le soir puis s’endormir
dans mes bras pour toute la nuit. Du coup, nous ne faisions plus
l’amour. Et, lorsqu’elle m’a quitté, il
m'était impossible de me souvenir de la dernière fois
où nous avions couché ensemble bien que j'essayai
très souvent. Ce souvenir m’est revenu deux ans plus
tard, presque par hasard, alors que je m’étais délivré
de Sandra et je sortais avec une autre fille. Dans ma seconde vie,
il m’arrivait d’avoir des flashs de la première.
C’est ainsi que je la revis, elle, Sandra, dans le lit, un
matin, quelques semaines avant qu’elle ne décide de
s'en aller.
Il devait être 7 ou 8 heures, je venais de rentrer de l'hôtel
et je m’étais couché en tentant de l’enlacer.
Elle ne voulait pas. Je m’étais ravisé : je
lui avais tourné le dos de mauvaise humeur. D’abord,
j’ai pensé ignorer mon désir et m’endormir.
Mais ce n’était pas possible. Au bout de vingt minutes,
j’ai tenté à nouveau avec elle, comme nous en
avions l’habitude, le procédé, la méthode,
qui finissait en général par l’exciter suffisamment
pour qu’elle ait envie de moi. Les couples, lorsqu’ils
sont habitués l’un à l’autre, font en
général preuve d’un grand manque d’imagination,
souvent les mêmes caresses, les mêmes baisers, les mêmes
positions, les mêmes gémissements et, peut-être,
les mêmes orgasmes. C’était notre cas. Elle faisait
semblant de dormir pendant que, doucement, par derrière,
je glissais ma main entre ses cuisses. Son sexe n’était
pas humide et je décidais de lui faire un cunnilingus. Elle
l’aimait bien, celui là, en général.
Mais, soudain, tout en se redressant brusquement sur son séant,
elle me dit, Non. Je fis la tête ahurie de celui que l’on
vient de surprendre et qui ne comprend rien. Pourquoi ? lui demandais-je.
J’ai pas envie.
Nous nous sommes recouchés dos à dos mais j’avais
toujours très envie d’elle. Je lui ai laissé
quelques minutes de répit, puis, je me suis retourné
et, à nouveau, mes doigts ont cherché le chemin de
son sexe. J’ai plaqué ma belle érection contre
ses fesses. Je ne sais pas quelle sensation désagréable
cela a pu lui procurer ; elle m’a dit, excédée,
Très bien, puisque t’as décidé de m’emmerder,
tu peux y aller. Vas-y prends moi ! Sans hésiter, je l’ai
prise. J’ai étreins son corps quasi inerte. Puis, comme
elle s’était couchée sur le ventre, je l’ai
pénétrée par derrière.
Très vite, j’avais fini mon affaire. Je n’étais
pas satisfait. Bien au contraire, je regrettais. Ce que j’avais
eu n’était rien. Un grand Rien, vide de tous sens.
Un Rien imparable et frustrant, triste aboutissement de ma concupiscence.
Sandra s’était levée et avait disparue dans
la salle de bain avant de revenir dans la chambre. J'ai cru qu'elle
pleurait. J’ai voulu lui parler mais elle ne répondait
rien. J’essayais de m’excuser. Elle a tourné
vers moi un regard humide chargé de reproche. Je me suis
énervé. J’en avais assez d’elle. Je lui
ai dit. Pauvre victime ! Jamais satisfaite ! Toujours à se
plaindre et pleurnicher ! Oui tu pleurniches ! Après, je
me suis tu.
Nous ne nous sommes jamais vraiment réconcilier. Lorsqu’elle
m’a quitté, elle devait encore se souvenir de ce triste
épisode de notre histoire. Moi, je l’avais oublié.
Ma mémoire l’avait complètement occulté.
A l’époque où je pleurais la perte de Sandra,
que je croyais aimer plus que tout au monde, je ne parvenais pas
à me souvenir de la dernière fois où je lui
avais fait l’amour. Tout ça est vrai. Il ne s'agissait
pas de mauvaise volonté de ma part mais d'un caprice de ma
conscience qui me soufflait tout bas, lorsque j'étais de
trop bonne volonté justement, Oublions ce qui nous gêne.
:: Commentaire [ Le 19.09.2002]
J'arrive enfin à une version satisfaisante du premier
chapitre.
Ce chapitre m'a donné beaucoup de soucis et, jusqu'à
présent, il a été le plus dur à
écrire.En lisant la version précedente, vous
découvrirez comment certains détails peuvent
rendre un texte plus vivant. C'est en tout cas mon sentiment.
En dehors du soucis de faire vivre ce texte, la volonté
d'améliorer le style et de construire un bon début
m'ont également amené à réecrire
ce chapitre.
Je suis assez satisfait du résultat que je mets en
ligne aujourd'hui. J'espère que vous apprécierez
cette lecture.
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