Je gardais à
portée de main le petit bout de papier sur lequel j’avais
noté le numéro de téléphone de Louise
toute une journée sans oser l'appeler. Grande appréhension.
Je cherchais ce que j'allais lui dire. Je ne trouvais rien. J'avais
écris plusieurs petits discours pour avoir les mots justes
sous les yeux. Savoir quels étaient ces mots a très
peu d'importance puisqu'ils ont tous trouver le chemin de la poubelle.
Lorsque je me décidais enfin à composer le numéro
que j'avais tant voulu avoir, je n'avais aucune fiche ; j'étais
décidé à improviser ou à mourir.
Mais comment avais-je fait pour avoir son numéro ? Pour
Louise, la surprise ne paraissait ni feinte ni désagréable
et j'en remerciais le ciel ; l'incident qui avait eu lieu chez moi
était apparemment oublié.
Je lui racontais ma rencontre avec son frère. Le monde est
petit, n’est-ce pas ? C’est incroyable cette histoire.
Elle pensait que son frère et moi nous étions connus
par un heureux hasard. Je ne cherchais pas à l'en détromper.
Et ton pote Akhim, qu’est-ce qu’il devient ? Je lui
répondis qu’il n’avait, jusqu'alors, tué
personne. C'était évidemment une plaisanterie destinée
à détendre l'atmosphère, mais Louise ne sembla
pas le prendre sur ce ton, après une pause un peu gênante,
elle me demanda, d'un air très sérieux, Est-ce que
tu oserais lui demander de me buter si je te faisais une chose horrible
?
En l'entendant prononcer ses mots, je me sentis mal. Le son de sa
voix avait été fort étrange ; un peu mélancolique,
un peu triste et désabusée, en tout cas, chargé
de remords. Je me souvins des mises en garde d'Akhim et de sa méfiance
à son égard. Il me sembla qu'elle voulait se faire
pardonner une faute à venir, qui allaient confirmer les soupçons
de mon ami. Je m'attendais à quelques aveux troublants de
sa part car, je ne sais pourquoi, j'avais soudainement pris ses
paroles au premier degré. Ma voix en fut légèrement
troublée lorsque je lui demandais, Quoi par exemple ? Pour
commencer, je pourrais, par exemple, te raccrocher au nez, me répondit-elle
avec un grand accent de triomphe.
Je m'étais fait prendre à son jeu. J'étais
comme un enfant à qui l'on a fait croire qu'une catastrophe
terrible s'est produite et qui découvre qu'il s'agissait
d'une simple farce. J'éprouvais un gros soulagement. Je lui
répondis en simulant un plaisir sadique, Si tu fais ça
je n'envoie pas Akhim, je viens moi-même te faire la peau.
Elle rit de nouveau, très contente d'elle.
Elle venait d'instaurer, à travers notre dialogue, un petit
jeu qui, entre nous, ne cesserait qu'avec la fin de notre liaison.
Ce jeu s'apparentait à une sorte joute de comédien.
Nous improvisions chacun notre rôle ; nous jouions des personnages,
inspirés de nos propres caractères, qui souvent disaient
le contraire de ce que nous pensions.
Quelquefois, il nous fut difficile de distinguer la limite entre
ce jeu et nos véritables pensées.
Bon, dis-moi franchement pourquoi tu m'appelles. Je répondis,
J'aimerais te revoir. Ces mots sortirent de ma bouche sans que je
n'aie besoin de réfléchir. Ils lui firent plaisir.
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Louise habitait un petit studio, sous les toits, à quelques
pas de la place de la Bastille.
Pour arriver chez elle, l’ascension des six étages
ne fut jamais aisée mais je montais au paradis.
En entrant, elle me dit de me mettre à mon aise. Je m’affalais
sur son canapé convertible. Pendant ce temps, elle sortait
d’un tiroir un petit sachet d’herbe et des feuilles
à rouler
Elle s’était assise à côté de moi.
Je la regardais faire. Quelques secondes plus tard, elle allumait
un joint de cannabis. Elle trouvait que l'herbe était meilleure
que le shit et elle la fumait toujours sans tabac. J’avais,
pour ma part, l’habitude de la mélanger avec la moitié
d'une cigarette. Elle me dit c'est une hérésie et,
après m'avoir tendu le joint, elle se leva pour mettre de
la musique.
C’était Portishead. Durant un moment, dont je ne saurais
définir la durée, je me laissais emporter par cette
musique si envoûtante. Les sons des guitares et la voix que
j’entendais me semblaient extraordinaires. Nous ne parlions
plus. Quelques regards vers elle, vers les différentes parties
de son corps.
Quand elle portait le joint à sa bouche, j’admirais
le mouvement de sa main qui avançait vers son visage, comme
portée par la musique. Après avoir tiré une
longue bouffée, elle pencha sa tête en arrière,
tout en fermant les yeux. Elle resta quelques secondes sans bouger,
dans cette position, semblant évoquer l'abandon total de
son corps et de son esprit.
Je la trouvais alors terriblement sensuelle, et j'éprouvais
une irrésistible envie de lui baiser le cou, à laquelle
je résistais cependant. Elle fit un geste pour se lever et
je l’entendis dire : on va se mettre à l’aise.
Le canapé devint un lit. Quand cette métamorphose
se fut accomplie, nous nous embrassâmes. Impossible de dire
qui en avait pris l’initiative.
Nous nous embrassions comme des fous, sans plus savoir comment nous
arrêter. Nos vêtements devinrent superflus. Pire encore
: ils nous nous gênaient. Nous devions nous battre pour les
retirer, sans que nos lèvres ne se désenlacent et
sans que nos caresses ne cessent.
Sa peau était fine, très douce et agréable
à caresser. Entre ses cuisses, je sentais un parfum de vie.
Il me ramenait à des choses de mon enfance. Les bois, je
pense. De la terre, très noire, dont les saveurs s’élèvent
en automne, après la pluie.
Nous avons fait l’amour toute la nuit durant. Il faisait très
chaud et nous suions abondamment. Nos corps moites semblaient vouloir
se fondre l’un dans l’autre. Nous nous arrêtions
pour aller chercher un verre d’eau ou fumer un pétard.
Je changeais de préservatif et nous reprenions. A force,
il y avait une odeur de caoutchouc dans la pièce. Je la trouvais
très désagréable car elle venait troubler les
essences de nos corps. |