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Roman > Chap 2 : Akhim

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Akhim me rendait souvent visite. Lorsque j'étais au fond de mon trou, je le laissais sonner sans répondre, lui faisant croire que je n'étais pas là. Il repartait sans insister, reportant sa visite à un jour meilleur.
Nous nous étions rencontrés peu après le départ de Sandra, un soir où, pour tenter d'échapper aux souvenirs que je gardais d'elle, j'étais sorti pour marcher dans Belleville.
Des enseignes éclairaient en chinois les rues désertes tout en se reflétant sur les trottoirs humides. Avait-il plu ? Avait-on essayé de laver Belleville ? Peine perdue, m'étais-je dis. Le quartier est trop petit pour le monde qui y grouille durant la journée. Des gens venus de pays où jamais rien n'est mis au rebut. La notion de déchet, corollaire de celle de gaspillage, n'existe pas pour eux. Ici, on ne jette jamais, on se débarrasse comme on donne l'aumône, en pensant que d'autres seront heureux de ramasser. De trouver, devrais-je écrire. Salir devient comme une sorte de partage et Belleville, je l'espérais, fleurira toujours de ces déchets que les bourgeois trouvent suspects.
Malgré l'intérêt de cette réflexion, les mots tel que jeter ou se débarrasser me ramenaient à Sandra. Il en était ainsi pour la moindre de mes pensées qui, d'apparence, n'aurait eu aucun rapport avec elle.
Je venais de rentrer de l'hôtel et je m’étais couché à côté d'elle tout en tentant de l’enlacer. Elle ne voulait pas. Je m’étais ravisé et lui avais tourné le dos pour marquer ma mauvaise humeur. D’abord, j’ai pensé ignorer mon désir et m’endormir comme d'habitude. Mais le simple geste que j'avais fait pour l'enlacer et son refus, tel le goût du sang pour le prédateur, m'avait donné envie de la posséder. Doucement, par derrière, j'ai glissé ma main entre ses cuisses. Trouvant que son sexe n’était pas humide mais sec, refusant de s'ouvrir à mon passage, je décidais de le mouiller en y fourrant ma langue. D'habitude, elle aimait que j'honore ainsi cette petite partie de son intimité. Ce matin-là, elle se mit brusquement sur son séant, et me dit, Non. Je fis la tête ahurie de celui que l’on vient de surprendre et qui ne comprend rien. Pourquoi ? Elle n'avait pas envie.
Nous étions à nouveau dos à dos. Je lui ai laissé quelques minutes de répit, puis, me retournant, je plaquai mon sexe contre ses fesses. Très bien, me dit-elle excédée, puisque t’as décidé de m’emmerder, vas-y prends-moi !
Je l’ai prise. J’ai étreins son corps nu, quasi inerte et, comme elle s'était couchée sur le ventre, je me suis mis sur elle et je l’ai pénétrée par derrière. Très vite, j’avais fini mon affaire. Je regrettais. Ce que j’avais eu n’était rien. Un grand Rien, vide de tous sens. Un Rien imparable et frustrant, triste aboutissement de ma concupiscence. Sandra avait disparue dans la salle de bain avant de revenir dans la chambre. Elle pleurait. J’ai voulu m’excuser mais elle a tourné vers moi un regard chargé de reproche. Voyant ses yeux, je me suis énervé. J’en avais assez d’elle. Je lui ai dit. Pauvre victime ! Jamais satisfaite ! Toujours à te plaindre et pleurnicher !
Cette histoire, très vite oublié à l'époque, me revenait en mémoire tandis que je marchais.
Pris de nouveaux remords, je souffrais un peu plus. Je me laissais porter par mes pas et m'engageais dans des ruelles au gré du hasard ou parce que je les trouvais suffisamment sombres et désertes pour me ramener à mon triste souvenir.
Après quelques minutes, je tombai sur un groupe de jeunes qui, visiblement, avaient fait le tour de tous les sujets de conversation et cherchaient une autre occupation. J'étais passé devant eux sans provoquer la moindre réaction mais, au moment où j'avais cru pouvoir enfin respirer, l'un d'eux m'avait interpellé. Je m'étais retourné.
Me voyant, face à lui, il plissa horriblement les yeux et fit une moue terrible avec sa bouche, ce qui signifiait, je l'appris plus tard, qu'il cherchait un moyen de me provoquer, de manière à voir si, vraiment, j'avais des couilles. Il n'eut pas l'occasion de satisfaire sa curiosité imbécile car l'un de ses acolytes eut une sorte de révélation et s'exclama, Hé mais j'te connais wouat ! On s'est déjà vu kekpart, pas vrai ? Je souriais bêtement, tout en m'efforçant de prendre un air détendu. Il devait certainement faire erreur. Son visage ne me disait rien. Il paraissait pourtant convaincu de me connaître. Et ta meuf, me demanda-t-il, kesk'elle devient ? Ça fait un bail j'la vois plus, quoi. Voyant que j'étais connu d'un des leurs, les autres membres de la bande ne s'intéressaient plus à moi ; l'imbécile ne cherchait plus à me provoquer et la tension était retombée. J'abandonnai le sourire idiot sur mon visage. Il connaissait Sandra. En tout cas, il savait qu'elle et moi étions ensemble. J'étais surpris et intrigué. Je lui dis qu'il n'y avait plus de Sandra, que désormais j'étais seul. Elle s'est barrée quoi, elle t'a largué ? L'un des gars de la bande s'éveilla tout à coup, Ouais les keums, c'est keske j'vous disais t'à l'heure, c'est toutes des putes les meufs ! Hein, franchement ? J'avais pas raison t'à l'heure quand j'disais k'c'est des lopesa ? Ta gueule, t'es puceau, lui répondirent ses collègues. Et alors ? fit-il en crachant par terre. Essayant d'adopter une attitude très cool, en dépit de ma tristesse, je les remerciais pour tant de sollicitude et leur fis comprendre que je devais les quitter. Le jeune qui disait me connaître me prit alors par le bras, laissant les autres entamer un nouveau débat, il me dit, Ziva ! Part pas comme ça mon pote. J't'accompagne un bout. J'sais où t'habites, figure toi. Je crus voir un malicieux sourire sur ses lèvres. C'était Akhim.
Nous marchâmes quelques minutes en silence. Lorsque nous arrivâmes dans la rue de l'Orillon, à quelques mètres de chez moi, il s'arrêta et me donna une barrette de shit, Cadeau de la maison, fit-il, puis il disparut sans me laisser le temps de le remercier.

De retour chez moi, j'avais roulé un joint puis un deuxième.
Je les avais fumés l'un à la suite de l'autre.
Couché sur mon lit, je regardais le plafond.
J'avais atteint un état de conscience étrange dans lequel la douleur que me faisait éprouver Sandra ne m'appartenait plus. Elle était en dehors de moi. Je pouvais en prendre pleinement conscience avec un recul extraordinaire et la lire presque comme dans un livre. Je découvrais au plus profond de mon être, pour chacun de mes actes, pour tous mes tourments, des mobiles pertinents. Je me disais que j'étais bien bête et que, en définitive, je n'avais jamais été amoureux d'elle ; c'était autre chose que je voyais et que j'aimais en elle. Elle était une sorte de confort et de suffisance dans ma vie. J'allais jusqu'à découvrir qu'elle n'avait été pour moi qu'un moyen de me séparer de ma mère et de me venger d'elle.
J'avais trouvé un cahier et je m'étais mis à écrire. Je sentais en moi un flot de pensées, extrêmement lumineuses, qui ne demandait qu'à se répandre sur une feuille de papier et, à l'instar d'une matière compact, qui attend des mains du sculpteur qu'elles la broient et la modèlent, à être travailler par l'esprit. J'étais pris d'une sorte de frénésie et, tout en écrivant, je faisais une course folle derrière des mots qui menaçaient de sombrer à jamais dans l'oubli car ma main ne pouvait aller aussi vite que mes réflexions. A peine en avais-je couché quelques-unes sur le papier que d'autres apparaissaient, me poussant à aller encore plus vite, encore plus loin. Ne voulant rien perdre de ces idées, je n'en notais que les prémices.
La drogue me permettait de me sentir si léger que je flottais au-dessus d'affections qui, en tant normal, m'écrasaient de tout leur poids. Après quelques heures d'écritures, je m'étais endormi dans une quiétude presque oubliée.

Le lendemain, je m'étais mis à la recherche de Akhim. Je m'étais adressé aux bonnes personnes, dans les bons endroits, si bien qu'il m'accueillit, deux jours plus tard, dans un bar de Belleville, avec un grand sourire.
Il voulut savoir si j'avais apprécié son petit cadeau. Evidemment, et il ne m'en restait plus. Ce n'était pas ce qu'il avait de mieux à me proposer, dit-il et, si je voulais vraiment fumer quelque chose de valable, il fallait que je vienne le voir lui personnellement. Cette offre marquait le début de notre amitié. Par la suite, il me fournit régulièrement un shit de qualité, grâce auquel j'arrivais à mieux supporter l'absence de Sandra, qu'il avait réellement connu, tout comme il connaissait la plupart des jeunes du quartier d'ailleurs, à qui il fournissait du shit. Mais Sandra, son truc à elle, c'était plutôt la coke ou l'ecstasy, m'avait-il précisé. Je faisais semblant d'être au courant. En tout cas, je n'étais pas surpris de l'apprendre étant donné la fréquence et la nature de ses sorties avant notre rupture. Akhim lui avait vendu ce qu'il fallait pour s'éclater jusqu'au matin et même pendant deux jours si elle l'avait voulu. C'était une bonne cliente et, grâce à elle, il s'était trouvé des nouveaux marchés.

Akhim me surprenait. Je me mis à l'apprécier davantage pour ce qu'il était que pour le personnage qu'il avait appris à être devant ses camarades. Sous l'apparence d'un petit dealer de quartier, se cachait, en effet, un garçon sensible et intelligent, en possession d'un véritable don pour les affaires. Ainsi, il aurait pu vendre n'importe quoi s'il n'avait choisi de vendre ce qui lui rapportait le plus d'argent. Il se foutait que son commerce soit illégal, considérant qu'il n'y avait aucun autre moyen, pour lui, de devenir riche. Mais bien qu'il nourrisse une véritable passion pour l'argent, il est arrivé qu'il refuse celui que je lui donnais pour quelques grammes de shit. Plus tard, il est arrivé également qu'il m'explique que, dans son business, il avait des clients et des amis et que moi je faisais parti de la deuxième catégorie. Il est arrivé, enfin, que je l'invite chez moi pour fumer du shit, boire un coup mais il ne buvait pas, et puis discuter. Il s'intéressait à tout.

 


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Il venait donc lorsque j'étais en mesure de le recevoir. Pas trop déprimé ni au fond de mon trou, comme je le disais tout à l'heure. Il venait seul, délaissant ses fréquentations habituelles. C'est tous des galériens, y'a rien à faire avec eux, m'expliquait-il. Et il se plantait devant ma bibliothèque, me laissant le soin de finir le joint qu'il avait roulé. T'as lu tous ces bouquins ? Pour la plupart, je les avais lus la nuit, lorsque je travaillais à l'hôtel. C'est vraiment un truc de ouf ça, franchement, tu préfères pas faire aut'chose ? Non, rien ne m'intéressait autant que les livres si ce n'était Sandra. Ouais mais bon, c'est quoi tout ça ? C'est pas la vie ! Je n'étais pas d'accord. Je lui expliquais que, d'après moi, la lecture est une grande écoute d'une personne qui nous parle, à travers des siècles parfois, de choses qui nous touchent, nous éveillent et nous permettent de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons ou nous-même tout simplement. Le livre qui correspondait magnifiquement aux douleurs que j'éprouvais, dont le départ de Sandra était la cause, je le lui présentais, il s'agissait de Du côté de chez Swann. Proust est un véritable génie, lui dis-je. En ouvrant le livre, Akhim n'en douta pas. Il le trouvait très impressionnant en raison, j'imagine, de la petite taille et de la densité des caractères imprimés sur toutes les pages. Je tentais de l'inciter à la lecture, car les livres, contrairement à l'opinion qu'il s'en faisait, ne sont pas réservés à une élite. Je lui proposais des livres très abordables et qui, selon moi, lui auraient plu, mais il refusait toujours. Pourtant, je voyais parfois ses yeux noirs briller de tout leur éclat. Il était heureux de toucher un livre, de l'ouvrir, d'en tourner les pages et même d'en sentir le parfum mais, après l'avoir gardé en main pendant quelques minutes, il me le rendait en me disant, Non, non, garde le, j'vais pas te le prendre. Puis, par curiosité, il demandait, ça parle de quoi exactement ? Je tentais alors de recréer avec des mots qui m'appartenaient la magie du livre en question. Lorsque je lui avais tout raconté, il disait, Ouais ! C'est pas mal quoi... c'est intéressant... puis il hésitait encore un court instant avant de répéter en secouant la tête, Mais j'peux pas lire ça quoi, c'est trop balaise pour un mec comme moi quoi.
Il ne me vint jamais à l'esprit qu'il ne savait qu'à peine lire. C'est pourquoi, j'étais surpris que même les classiques, que nous étudions tous, un jour ou l'autre, au collège ou au lycée, il ne les connût pas. Le rouge et le noir, tel que je le lui avais raconté, lui plaisait beaucoup et nous avions beaucoup discuté de l'ambition et des amours de Julien Sorel. Madame Bovary (c'est une histoire de meuf, avait-il si bien résumé) l'intéressait beaucoup mais je n'avais moi-même que très peu apprécié ce livre et je lui en avais parlé sans grand enthousiasme. Voyant, d'après mes dires, où Flaubert voulait en venir, il avait intelligemment conclu, C'est clair quoi, y'a vraiment des meufs qui s'emmerdent.
J'avais beau insister mais, quoi que je fasse, Akhim n'acceptait jamais le livre que je lui proposais d'emmener chez lui et de lire. Très souvent, il mettait un terme à notre discussion en proposant de rouler un joint. On s'fume un p'tit stick quoi, après on voit, disait-il d'un ton sentencieux. Et nous fumions. Nous nous mettions alors à parler de choses extraordinairement futiles telle que la forme ou la couleur de ses nouvelles Nike et à rire de n'importe quoi.

:: Commentaire [ Le 22.12.2002]
Après le narrateur, l'autre personnage important est Akhim, un ami qu'il rencontre dans les circonstances évoquées ci-contre. Etant donnée l'importance de ce personnage et de ce chapitre, il me demande également beaucoup de travail. Et je pense devoir encore le retravailler pour atteindre mon but mais celui-ci est proche, il me semble.

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Mangeur de cigogne