Quelques semaines
après nos retrouvailles, Louise m'emmena à la campagne,
chez une amie qui venait de rentrer d'un long séjour aux
Etats-Unis. Elle avait suivi des cours à Washington et à
New -York. Je ne me souviens plus de quoi exactement. L'important
c'est qu'elle avait été aux Etats-Unis. A son retour,
elle invitait ses vieux amis d'enfance dans la maison de campagne
de ses parents, pour un barbecue. Les Américains adorent.
Des saucisses, des ailes de poulet et des travers de porc dans des
assiettes en carton. Le tout arrosés de rosé tiède
et de vin rouge. Il y avait des chips également. Nous léchions
nos doigts avant de nous resservir. Qui ne voulait pas du pas assez
cuit avait du brûlé. C'était un vrai barbecue
dont plus personne ne s'occupait, une fois que l'ambiance s'était
détendue et que les filles laissaient échapper leur
rire. Nous étions en majorité des couples parmi lesquels
Louise et moi, qui ne voulions pas forcément en paraître
un. Sophie nous racontait son voyage. Les Américains sont
vraiment supers sympathiques. Les gens que j'ai rencontrés
là-bas étaient hyper intéressants. Gary, mon
boyfriend, vivait avec sa mère dans un super appart, à
Manhattan. On s'est fait des soirées supers cools chez lui.
Aux Etats-Unis les gens gagnent vraiment mieux leur vie qu'en France.
Je pris un air étonné pour lui dire : Ah bon ? Bien
sûr, le moindre diplôme te rapporte vachement plus qu'ici.
Je n'avais jamais vu les choses de cette manière. Je m'imaginais
achetant des diplômes en France pour les revendre aux Etats-Unis.
Combien de temps aurais-je mis pour faire fortune ? C'était
assurément ce qu'il fallait faire, d'autant plus que l'on
peut avoir des bons diplômes en France pour pas très
cher. Pas plus que moi Louise n'était sous le charme du nouveau
monde. Sophie parlait et elle l'écoutait à peine,
préférant renouer avec Séverine, qu'elle n'avait
plus vu depuis des années alors qu'elles étaient très
bonnes amies en classe, et qui était venue avec Olivier,
son tout nouveau copain. A l'époque elle sortait avec Romain.
Cela avait duré plusieurs années ; elle venait juste
de rompre avec lui. Alors vous êtes restés au moins
6 ans ensemble. C'était exactement ça. Une rupture
après 6 ans. C'était tout aussi impressionnant que
deux ans aux Etats-unis. Louise voulait absolument connaître
les détails de l'affaire. Cela lui paraissait incroyable.
Allons parler dans le salon, dit-elle à son amie, me laissant
ainsi seul, en compagnie de gens que je ne connaissais pas. J'avais
un choix difficile à faire entre continuer à subir
de la propagande pro-américaine, me resservir une énième
fois des saucisses, des ailes de poulets ou des travers des porcs
qui avaient marinés dans une sauce au miel et aux épices,
ou tenter d'engager une conversation avec Olivier, qui, tout comme
moi, en tant que pièce rapportée à ce festin
offert par les amis de l'Amérique, ne connaissait pas grand
monde. Je choisis la troisième possibilité. Lui n'avait
rien contre les Américains mais trouvait scandaleux leur
manière d'envahir le monde avec leurs fast-foods et leurs
boissons gazeuses. De plus, ils les trouvait très arrogants
dans leur manière de traiter les dossiers de politique internationale.
Finalement, je me rendis compte qu'il était absolument anti-américain
(bien plus que moi, en tout cas) et que je lui avais donné
l'occasion qu'il attendait, depuis que Sophie avait ouvert la bouche,
d'exprimer son sentiment. Afin d'éviter l'incident diplomatique,
je m'efforçais d'amener d'autres sujets dans la conversation.
Mais Olivier ne parlait pas avec moi, il répondait indirectement
à la maîtresse de maison qui nous avait invités
et, je dois le dire, d'une manière très virulente.
Du coup, nous allions droit au clash. Nous n'aurions pu l'éviter
si le petit frère de Sophie et ses amis n'avaient trouvé
amusant de nous balancer des bombes à eau par surprise. Il
s'ensuivit une bataille extraordinaire au cours de laquelle les
pro et les Anti-américains se retrouvèrent dans le
même camp, à laver l'affront qui leur était
tombé du ciel.
Le soir, Olivier et Séverine nous ramenèrent à
Paris. Ils nous laissèrent au rond-point de l'étoile
et nous décidâmes de descendre à pied l'avenue
des Champs Elysées. Il faisait beau. Notre marche était
agréable. Nous avons poursuivi après la Concorde,
longé les Tuileries, avant de prendre en direction du Châtelet.
Louise commençait à être fatiguée mais
nous ne trouvions pas de Taxi. Au détour d'une rue, j'avais
fait un 100 mètres pour tenter d'en rattraper un, mais, après
avoir déposé sa passagère, le chauffeur était
reparti sans prêter attention à ma course folle derrière
lui. Louise m'avait ensuite rejoint en riant. J'étais essoufflé
et, pour me récompenser de mes efforts, elle me couvrait
de baisers et de paroles tendres afin, disait-elle, que je ne perde
jamais espoir dans ma vie. Ce soir-là, nous n'avions pas
idée de nous plaindre. Nous avons poursuivi notre marche
tout en discutant de plus belle. Nous parlions des chansons de notre
enfance. Nous nous mettions à chanter à tour de rôle
ou ensemble lorsque la chanson était connue de nous deux.
Arrivés dans la rue de Turbigo, nous avons remarqué
une fête au 6eme étage d'un immeuble. Une femme en
sortait seule, juste au moment où nous passions devant. Il
était aisé de deviner d'où elle venait mais
elle semblait s'être ennuyer. C'est pourquoi je lui ai demandé
si la fête n'était pas à son goût. A ma
grande surprise, elle m'a affirmé que non, la fête
était vraiment super. Vous voulez monter ? Nous avons poliment
refusé son invitation mais elle a insisté. Mais si,
monter, vous allez voir, les gens sont vraiment géniaux,
ils sont tous très beaux. C'était amusant d'entendre
dire que les gens étaient tous très beaux. Nous commencions
à être intrigués. Elle a encore insisté.
Allez, c'est moi qui vous invite, vous pouvez monter ; vous dites
que vous êtes des amis de Fanfan. Du coup, nous avons voulu
voir ce qu'il en était là-haut. Elle nous a menés
jusqu'au 5eme étage. Après avoir sonné et crié
que nous étions avec elle, devant la porte d'un appartement,
elle est redescendue. A l'intérieur, personne, en réalité,
ne se préoccupait de savoir qui voulait entrer ni par qui
il était recommandé. La porte s'était ouverte
et nous nous sommes incrustés, non sans quelques difficultés
malgré tout, puisqu'il y avait un groupe de gens qui discutaient
dans l'entrée tandis que d'autres essayaient de sortir, ce
qui faisait beaucoup de monde coincés devant la porte. Nous
avons vite abandonné cet endroit pour nous retrouver dans
une pièce faisant office de piste de danse. Nous l'avons
traversé, tout en sentant monter, autour de nous, des grosses
bouffées de chaleur. Les autres pièces se succédaient
directement les unes aux autres. Elles étaient toutes très
grandes. Nous les avons découvertes, occupées par
des petits groupes de gens en grande conversation. Ils ne nous paraissaient
pas particulièrement beaux, ni ceux qui parlaient, ni ceux
qui ne disaient rien mais bougeaient leurs corps en essayant de
suivre le rythme, ni ceux qui roulaient, ni ceux qui fumaient, encore
moins ceux qui allaient avoir une crampe au bras à cause
du verre de champagne qu'ils ne voulaient ni finir ni abandonner
sur le rebord d'une cheminée. Il est vrai que cela donnait
un certain standing, non seulement à eux, mais à la
soirée également. Louise n'a pas tardé à
se faire draguer. Un type, assez petit, looké d'enfer, est
venu lui faire son cinéma. Je les ai laissés.

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Dans la première pièce,
il y avait une asiatique, au teint foncé, que je trouvais
particulièrement jolie. Elle semblait ne pas me voir. J'ai
dansé un peu à côté d'elle puis je suis
reparti. Louise n'avait pas bougée ; elle parlait toujours
avec la même personne. Que faire ? J'aurais eu l'air d'un
con en me montrant suspicieux. Il valait mieux lui faire confiance,
au moins pour quelques minutes encore. Dans la cuisine, je me suis
servi un grand verre de gin. J'avais perdu un peu de ma bonne humeur,
j'ai bu sans porter de la moindre attention à une espèce
de gringalet qui tenta d'engager la conversation avec moi. A nouveau
dans l'autre pièce. La belle asiatique ne dansait plus. Elle
était assise sur le rebord de la porte-fenêtre qui
permettait d'accéder au balcon. C'était le moment
idéal pour engager la conversation avec elle ; je lui dis
bonsoir. Elle leva les yeux vers moi. Bonsoir. J'appris qu'elle
était originaire des Philippines et qu'elle s'appelait Marie.
Ce prénom catholique me surpris tant je voyais en elle un
parfait exotisme. Elle me demanda si je connaissais ce pays, je
dû avouer que non. J'aimais beaucoup son sourire, à
cause de ses magnifiques dents blanches. J'aimais aussi ses yeux
et sa longue chevelure très noire. Elle ne parlait pas un
excellent français et, de temps à autre, elle me disait
les mots qu'elle ignorait en anglais. Alors, je traduisais à
haute voix pour qu'elle répète et ensuite elle riait.
Sans doute était-elle heureuse de connaître des mots
nouveaux. Je commençais à lui apprendre le vocabulaire
courant pour exprimer la beauté d'une fille comme elle. Elle
semblait encore apprécier. Elle me lançait des regards
coquins. Au bout d'un moment, elle en avait certainement suffisamment
appris, si bien qu'elle me dit : tu sais, j'aime bien faire l'amour
avec quelqu'un comme toi. Je ne savais plus que dire. Je tentais
de relever les fautes de grammaire dans sa phrase. L'ignorance du
conditionnel ne pouvait pas tout expliquer cependant. D'autant plus
qu'elle a poursuivi : c'est un problème parce que j'habite
ici avec mon fiancé... Si je lui demande, tu es d'accord
? Je me suis senti mal. Je lui ai répondu, en me levant :
attend, tu veux bien m'excuser quelques minutes avant d'en parler
à ton fiancé. Je reviens tout de suite. Je suis parti
presque en courant. Je devais dire à Louise que ferions mieux
de nous en aller.
L'individu qui s'appelait Thibault ne l'avait toujours pas lâché.
Cette fois-ci, je suis arrivé en panique jusqu'à eux.
Ecoute, Louise, il faut qu'on s'en aille maintenant, je n'en peux
plus, je suis crevé. Mais Louise n'était pas vraiment
d'accord.
- Et la fille avec qui tu parlais alors ?
- Et bien, on s'est tout dit, maintenant je suis fatigué,
je veux rentrer. Tu viens avec moi ou tu restes ici ?
L'individu qui s'appelait Thibault suivait la scène en souriant.
Il ne manquait aucune de nos paroles. Il en a profité pour
marquer un point.
- Louise, si tu veux rester, il n'y a aucun problème. Je
te raccompagnerai tout à l'heure.
- Ah non, me suis-je écrié, Louise rentre avec moi
maintenant !
Le salaud a continué :
- Mais je te comprends pas mon vieux, tout à l'heure je te
voyais parler avec ma copine : Vous aviez l'air de très bien
vous entendre.
- Comment ça ta copine ?
- Oui, tu parlais avec Marie, non ?
- Tu es son fiancé ! ! ?
- Oui.
- C'est toi qui organise cette soirée ?
- Oui.
- Bon, Louise, qu'est ce que tu fais ? Tu veux rester ici, je crois
que c'est des partouzeurs ?
Louise a éclaté de rire. J'ai cru qu'elle allait se
pisser dessus. Et Thibault était très content. J'étais
sur que, pendant tout ce temps, il n'avait pas réussi à
la faire rire comme ça. Quand elle a retrouvé ses
esprits elle m'a répondu :
- Moi, je ne suis pas fatiguée du tout. Je commence à
bien m'amuser au contraire.
Ensuite, elle s'est tournée vers Thibault :
- C'est vrai que t'es un partouzeur ?
Et elle a encore éclaté de rire. Je me demandais ce
qu'ils avaient pu se dire auparavant. Ce coup-là, il semblait
trouver Louise un peu moins drôle. Et c'est moi qui ai marqué
le point :
- Bon, je crois qu'elle est bourrée, on ferait mieux de rentrer.
Vraiment, je te remercie, heu... Thibault, pour cette soirée.
Je lui tendais ma main et Louise riait toujours.
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