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Roman > Chap 4 : Cyril

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Le jeune patron s'appelait Cyril. (Jésus m'avait expliqué que tout le monde l'appelait par son prénom, même ses employés.) De retour chez moi, je l'avais appelé. Il était très occupé mais comme je lui dis qu'il m'avait été vivement recommandé par Jésus de l'appeler pour trouver du travail, il me donna rendez-vous le lendemain, à l'heure du déjeuner.
Je m'habillais avec des vêtements qui me donnaient une allure très présentable. Pour l'occasion, je m'étais repassé une chemise, ce qui, après coup, ne me semblait pas absolument nécessaire pour un emploi de coursier. Au moment de partir, je croisais Akhim dans l'escalier. Nous décidâmes de faire le chemin ensemble. Il voulait voir comment ça se passe quand on cherche du boulot car, même pour faire plaisir à une conseillère d'orientation, il n'en avait jamais cherché un.
Dans le métro, entre Stalingrad et Barbès, il me demanda pourquoi je souhaitais être coursier. Il trouvait très bizarre que, ayant lu tant de livres, je rencontre des difficultés à trouver un bon travail. Il me voyait davantage dans un boulot d'intellectuel, sans m'expliquer ce qu'il entendait par-là. Sinon, au pire, si vraiment t'as quedal, me dit-il, tu devrais faire prof. Je ne savais que lui répondre. J'avais perdu l'envie de passer des examens et de courir après des diplômes dont je n'aurais, finalement, su que faire avec.
Sortis du métro, à la place Clichy, nous avons repéré, sur un plan, la petite rue où se trouvait l'entreprise de Cyril. Arrivé là-bas, Akhim a changé d'avis ; finalement il préférait attendre dehors plutôt qu'entrer avec moi chez l'ancien patron de Jésus. On sait jamais, dit-il, si ça se trouve y va vouloir m'embaucher à ta place. J'ai souri, T'as peur de travailler ?
En ouvrant la porte de l'entreprise de coursiers "Les fous du guidon", référence sans doute à un dessin-animé qui avait marqué ma génération (dont le patron de l'entreprise faisait également parti), je m’imaginais déjà tel Hermès, véritable messager ailé, parcourant Paris, en long, en large et en travers, pour porter des messages urgents et confidentiels dans des sociétés anonymes ou pas. J'étais donc motivé. Pour donner encore plus de charme à ce tableau, je me retrouvais devant une jeune fille blonde, jolie, dont la tâche était, entre des multiples autres, d'accueillir les visiteurs avec un grand sourire.
Elle me sourit gentiment puis décrocha son téléphone pour prévenir Cyril, son jeune patron, de mon arrivée.
Ce cérémonial, très "professionnel", cadrait mal avec le local dans lequel je me trouvais. Il y avait de l'espace, certes, mais c'était un véritable capharnaüm. Des documents, des bons de commandes, des plis, des colis partout sur le moindre espace de table ou d'étagères. Les murs étaient d'un jaune triste, recouverts des plannings des coursiers, d'un immense plan de paris et des affiches publicitaires ventant les produits des clients de la boîte. La secrétaire-hôtesse-d'accueil raccrocha et me demanda de bien vouloir patienter ; Cyril était occupé, mais il ne devrait plus tarder. Je fis quelques pas devant son bureau, puis je décidais de m'asseoir dans un fauteuil qui était là, sans doute à l'intention des clients importants tant il me paraissait confortable. En réalité, à peine assis, je commençais à m'y enfoncer si profondément que je m'y sentis de plus en plus empêtré. La porte d'entrée s'ouvrit brusquement. J'entendis un gling agressif, lequel avait sans doute auparavant alerté, avec plus de douceur cependant, la secrétaire de mon arrivée. Un coursier entra, jeta un œil rapide sur moi, puis dit à la jeune secrétaire blonde aux yeux bleus qu'il pouvait faire encore une course avant d'aller déjeuner. C'était un fayot qui faisait du zèle certainement. Quand il repartit, aussi vite qu'il était arrivé, je lui lançais malgré tout un "Au revoir" aimable, histoire de montrer que j'étais très sociable. Il maugréa quelque chose entre ses dents puis il disparut en claquant la porte et j'entendis à nouveau le gling qui me devenait déjà familier.
Cyril n'apparaissait toujours pas. Je pensais à Akhim. Il devait certainement s'impatienter, tout comme moi.
Je sentais, de temps en temps, le regard de la secrétaire se poser sur moi, mais je ne trouvais rien à lui dire. Du reste, elle faisait très bien semblant d'être absorbée par la lecture de certains documents qui jonchaient son bureau. Elle répondait également au téléphone. Je l'observais à l'œuvre, prendre des messages pour son patron et enregistrer une course urgente à faire dans l'après-midi.
Devinant peut-être que j'admirais autre chose que ses compétences professionnelles, elle me sourit. Je n'étais pas plus à mon aise dans l'horrible fauteuil. Au contraire, je le maudissais de plus ferme, car je m'y enfonçais toujours, le cul le premier, comme dans des sables mouvants. J'eus alors l'impression que seul le spectacle de ma lente chute vers le néant la faisait sourire.
Je cherchais le prétexte, mais surtout les moyens, de m'extirper de ce fauteuil-sable-mouvant lorsque le Boss apparu enfin. Dans ma classification de l'espèce humaine, il faisait parti des arrogants pourvus de ce délicat sens de l'humour qui n'autorise qu'à rire des autres, jamais de soi-même. Mais je ne le classais pas tout de suite, il me fallut d'abord entendre les premiers mots qu'il prononça. Il eut l'air de ne pas me voir et, pendant que je rassemblais toute l'énergie musculaire nécessaire pour me lever, il dit, fier ou content de lui, Bon, il est où ce p'tit branleur qui veut me voir ?
Cela ne correspondait pas à la description que Jésus m'en avait faite. Pour m'expliquer une telle distorsion entre l'image et le vécu, il m'aurait fallu savoir que, pour ce jeune patron dynamique et plein d'avenir, tous les jeunes qui ne sont pas, comme lui, à la tête d'une entreprise sont des branleurs. Ensuite, qu'à l'époque la plus difficile, lorsqu'il venait de créer sa société de coursiers, il avait largement exploité des hommes tel que mon ami Jésus, ce qui lui avait permis de prospérer ; il l'avait traité en ami sachant qu'il valait bien trois employés. Mais cette époque était révolue et, sa société ayant acquis une certaine assise, il traitait ses nouveaux employés bien différemment.
Jésus, évidemment, n'était pas au courant de ce changement et il croyait toujours à l'image idyllique du patron sympa qui va boire des coups avec ses salariés, pour les faire bosser davantage sans doute.
Sa secrétaire, au moment où il cherchait un branleur, m'a regardé de ses yeux bleus désolés réapparaître des fonds du fauteuil-sable-mouvants, grâce à un jaillissement qui me surpris moi-même. Le jeune patron suivi la direction de son regard et m'identifia. Il fit un Ah... Super ! Pour exprimer une satisfaction hypocrite mais très énergique et vint vers moi en me tendant sa main droite. Elle trouva la mienne et la garda prisonnière tandis qu'il me demandait des nouvelles de Jésus et comment je le connaissais. Je ne compris pas très bien ce "comment". Voulait-il signifier en quelles circonstances j'avais connu Jésus ou quelle était la profondeur de notre amitié ? Pris au dépourvus, je m'efforçais de lui donner une réponse cohérente. Mais, ayant libéré ma main, il ne m'écoutait plus et faisait une grimace. Sentant que quelque chose le dérangeait, je me tu pour essayer de comprendre et il me m'annonça d'un air dégoûté : J'ai horreur des gens qui transpirent des mains.
Malgré ma surprise, je trouvai en moi suffisamment de repartie pour lui répondre du tac au tac : Je ne suis pas venu ici pour discuter de vos mains.
Je faisais un gros effort pour garder mon calme et, dans le ton sec et tranchant de ma voix, on pouvait sans doute le percevoir. Il me jaugea puis il sourit, faussement, comme il devait en avoir l'habitude, et s'exclama : Un partout... ! Tu viens de marquer un point mon vieux ! Et ici, si on embauche du monde, c'est pour marquer des points pas pour se la couler douce. Là dessus il prit un ton faussement amical et confidentiel pour me demander : Tu sais quel âge j'ai ? Je ne savais pas.
- J'ai 27 ans ; ça fait 3 ans que je dirige cette boîte.
- ...
- Et toi, qu'est ce que tu fais, tu es quoi ?
- Moi... ? Je suis venu ici parce que je cherche du travail : j'aime pas trop discuter...
- T'aimes pas discuter ! (il prit un air très dédaigneux) Mais tu crois que je vais t'embaucher comment si t'aimes pas discuter ?
Au même moment, j'entendis un nouveau gling qui vint marquer la fin de sa phrase, comme un point d'interrogation qui répond à un autre point d'interrogation.


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Ce n'était pas un coursier mais Akhim qui venait discrètement aux nouvelles. Cyril, n'ayant pas les oreilles suffisamment alertes pour remarquer le défit que s'étaient lancés les deux points d'interrogations n'y prêta aucune attention ; il continuait à m'apprendre des choses importantes sur moi-même. En fait, t'es un glandeur, disait-il, Jésus, c'était un bosseur, tu sais, mais toi, t'en prends un peu trop à ton aise, tu veux jouer au grand monsieur alors que t'es rien du tout finalement. Tu traînes sans savoir quoi faire. Tu sais même pas ce que c'est de bosser. Jésus ne devrait pas m'envoyer des gars comme toi, tu comprends ? Il me fait perdre mon temps. Puis, tout à coup, une idée lumineuse lui vint, Mais… Pourquoi tu n'irais pas vendre des journaux dans le métro comme les SDF ? Il était content de lui et allait rire de sa plaisanterie, mais son plaisir a pris fin très brusquement.
La porte avait fini de faire gling depuis un certain temps déjà. Deux grosses poignes se sont abattu sur lui, l'ont retourné et l'ont plaqué contre la grande vitre opaque.
J'ai crains qu'il ne passe à travers les murs de sa société mais les vrais matériaux sont plus solides que les décors de cinéma ; la vitre ne céda pas à la pression de son corps violemment acculé par Akhim qui, tout en le maintenant à quelques centimètres au-dessus du sol, lui disait, Faut faire gaffe à qui tu causes ça comme, quoi, on n'est pas venu ici pour se faire traiter comme de la merde quoi, tu comprends ? Pour toute réponse Cyril tenta de se libéré en lui donnant un coup de poing au visage. Mais, dans sa position, il ne pouvait lui faire grand mal ; son geste manquait d'envergure. Akhim l'esquiva facilement et lui asséna un redoutable coup de tête. Il frappa avec précision ; son front vint parfaitement heurter le nez de Cyril. Mon ami allait tuer un jeune chef d'entreprise mais ce n'était pas, à ma connaissance, une espèce en voie de disparition. Bien au contraire, j'approuvais au fond de moi ce qui pouvait être fait en ce sens. La secrétaire (je l'avais presque oubliée), s'était levée. Elle devait faire un mètre soixante-dix et ouvrait des grands yeux surpris et paniqués mais toujours bleues et presque transparents. Je restais sans bouger. J'avais un œil sur elle et l'autre sur le téléphone, au cas où il lui serait venu à l'esprit d'appeler la police au secours de son patron ou quelque chose comme ça.
Elle préféra intervenir directement. Mais, au moment où elle s'élançait vers les deux hommes, Akhim balança violemment Cyril qui alla s'effondrer sur le bureau que, pleine de sollicitude, elle venait juste de quitter. Elle n'avait plus qu'à ramasser son patron, mais Akhim fut plus vif qu'elle. Il était à nouveau sur Cyril. La jolie secrétaire saisit alors mon ami aux épaules en l'implorant d'arrêter mais il ne voulait rien entendre. Il continuait à donner des coups comme on voit faire au cinéma. Voulant le forcer à épargner son patron, elle le ceintura au péril de son beau visage qui rougissait derrière des mèches blondes, également hors de tout contrôle. J'admirais son courage mais il ne servait pas à grand-chose.
Elle s'en rendis compte assez vite puisque, sans lâcher mon ami, elle se tourna vers moi, se plaignit de mon inertie, affirma que tout était de ma faute, et m'obligea à lui venir en aide.
Je rejoignis la joute. Nous formions une jolie mêlée à quatre. J'essayais de faire lâcher prise à Akhim mais il n'en démordait pas, J'vais te niquer ! Promettait-il à Cyril, J'vais te niquer ta race.
Finalement, à deux, nous avons réussi à le faire lâcher prise. Pendant que sa secrétaire et moi le retenions, le jeune patron tentait de stopper une hémorragie nasale. Il lui restait cependant suffisamment de verve pour nous dire, Vous ne vous en tirerez pas comme ça. Je vous jure que vous allez entendre parler de moi, je vais porter plainte contre vous ! Mais s'en était assez pour les menaces, nous avions suffisamment perdu notre temps à cause de lui, certainement qu'il avait eu la leçon qu'il méritait et il convenait de ne pas trop nous attarder dans ses locaux. J'ai poussé Akhim vers l'extérieur.
On eut droit à un gling d'adieu, celui-là ferme et définitif.
Nous nous frayâmes un passage à travers les curieux qui s'étaient agglutinés devant la vitre opaque pour tenter de voir le spectacle à l'intérieur. En passant, nous avons entendu, C'est encore une bande de jeunes voyous, Akhim s'est retourné. J'vous emmerde tas d'gros connards. Personne n'osa lui répondre.


Mangeur de cigogne