Elle habitait un petit studio, sous les toits, à quelques
pas de la Bastille. Lorsqu'elle m'ouvrit sa porte, je me retrouvais
en face d'un petit coin cuisine ou d'une kitchenette, selon le vocabulaire
en vigueur dans les agences immobilières, qui, à l'origine,
devait être un placard. Ce coin, tout petit, donnait refuge
à un désordre digne d'une cuisine de restaurant, mais
heureusement, le monticule de casseroles et d'assiettes qui débordait
de l'évier n'envahissait pas l'unique pièce qui, relativement
bien rangé, paraissait prête à accueillir un
visiteur. Tu ne fais jamais la vaisselle ? lui demandais-je, après
avoir franchit son seuil. Sans prêter d'attention particulière
à cette question, elle me répondit simplement, Je
n'aime pas ça (plus tard, j'eus l'occasion de constater que
Louise était une personne binaire : la vie, pour elle, se
résumait à deux catégories : les choses qu'elle
aimait et celle qu'elle n'aimait pas. Sa règle essentielle
étant : Je n'aime pas me prendre la tête.)
Me voyant mal à l'aise au milieu de son séjour-chambre-à-coucher,
elle m'indiqua son canapé convertible et me dit de m'installer
à mon aise. Pendant ce temps, elle sortait d’un tiroir
un petit sachet d’herbe et des feuilles à rouler. Ensuite,
elle vint s'asseoir à côté de moi et installa
devant elle un petit meuble qui lui servit de table basse. Quelques
secondes plus tard, elle allumait un joint de cannabis. J'appris
qu'elle trouvait l'herbe bien meilleure que le shit et qu'elle la
fumait toujours sans tabac. J’avais, pour ma part, l’habitude
de la mélanger avec la moitié d'une cigarette. C'est
une hérésie, me dit-elle en souriant et, après
m'avoir tendu le joint, elle se leva pour mettre de la musique.
Je reconnus Portishead. Je tirais quelques bouffés du joint
puis, durant un moment, dont je ne saurais définir la durée,
je me laissais emporter par les sons des guitares et la voix de
la chanteuse que je trouvais si envoûtante. Nous ne parlions
plus.
Quelques regards vers elle, vers les différentes parties
de son corps et ses yeux pour voir qu'elle me regardait également.
Nous échangions un sourire. Lorsqu'elle portait le joint
à sa bouche, j’admirais le mouvement de sa main qui
avançait doucement vers son visage, comme portée par
la musique. Après avoir tiré une longue bouffée,
elle penchait sa tête en arrière, tout en fermant les
yeux et restait quelques secondes sans bouger, dans cette position,
semblant évoquer l'abandon total de son corps et de son esprit.
Je la trouvai alors terriblement sensuelle. J'éprouvais une
irrésistible envie de lui baiser le cou, à laquelle
je résistais cependant. Elle fit un geste pour se lever et
je l’entendis dire dans un souffle : on va se mettre à
l’aise. Son canapé devint un lit. Quand cette métamorphose
se fut accomplie, nous nous embrassâmes. Impossible de dire
qui en avait pris l’initiative. Nous nous embrassions comme
des fous, sans plus savoir comment nous arrêter. Nos vêtements
devinrent superflus et, très vite, nous nous mîmes
à nous battre pour les retirer, sans que nos lèvres
ne se désenlacent et sans que nos caresses ne cessent.
Nous avons fait l’amour toute la nuit durant. Il faisait très
chaud et nous suions abondamment. Nos corps moites semblaient vouloir
se fondre l’un dans l’autre. Nous nous arrêtions
pour aller chercher un verre d’eau ou fumer un pétard.
Je changeais de préservatif et nous reprenions. A force,
il y avait une odeur de caoutchouc dans la pièce. Je la trouvais
très désagréable, car elle venait troubler
les essences de nos corps.
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Le lendemain, je rentrais chez moi plein d'une énergie nouvelle
; je me sentais un surhomme capable de réussir n'importe
quoi. Quel contraste, me dis-je, avec l'état dans lequel
Sandra m'avait laissé. Je me mis à espérer
revoir mon ex, non pour la supplier de revenir vivre avec moi, mais
lui montrer le changement qui s'était opéré.
Je voulais qu'elle constate qu'il y avait une vie après elle
et que je m'étais libéré en rencontrant une
fille exceptionnelle, en tout point supérieure à elle.
La manière dont Louise et moi faisions l'amour, par exemple,
j'aurais voulu lui en parler. Elle n'avait rien de comparable aux
ersatz dont nous nous contentions, pensant connaître un véritable
plaisir érotique.
Je n'imaginais pas, je dois l'admettre, que ce plaisir put avoir
des multiples degrés. Il est vrai que, lorsqu'elle couchait
avec un homme, Louise ne pensait qu'à prendre son pied. Pour
y parvenir, elle avait une sorte d'exigence vis à vis de
son partenaire pour le pousser à s'investir à fond
dans l'acte sexuel. J'étais muet comme une carpe, elle m'obligea
à lui parler. Les saloperies que je lui disais dans ma tête,
je les lui dis à haute voix. Je la traitais de chienne ou
de salope. Elle aimait m'entendre dire cela et d'autres choses toujours
plus crus. Je ne manquais pas d'imagination pour le faire. Nous
nous excitions mutuellement de cette façon et nous atteignions
des sommets du plaisir qu'avec Sandra je n'aurais jamais connu,
à moins d'un événement exceptionnel.
Louise m'apprenait à ne pas craindre la petite dose de perversité
que j'avais en moi ; elle m'incitait, au contraire, à en
faire usage pour la faire jouir. Je la frappais, à sa demande,
quelquefois très durement, sur ses jolies fesses rondes.
Cette dose de violence et la douleur étaient des ingrédients
importants dans nos rapports dont, avant elle, je n'aurais osé
goûter ou faire usage. Elle m'avait offert de la sodomiser
mais, bien qu'extrêmement excité par cette idée
(car je croyais cela possible que dans les films pornos, avec des
professionnelles), je n'y parvins pas. Nous gardions la sodomie
pour plus tard et il me suffisait d'y penser pour que mon sexe se
dresse à nouveau en une belle érection.
C'était, pour moi qui n'avait que peu d'expérience
sexuel (une seule fille avant Sandra), une grande période
de découvertes. J'appris qu'avec mon partenaire je devais,
dans l'intimité, savoir me libérer, rejeter certains
tabous, et oser montrer une partie de moi qui me faisait d'abord
honte, tellement elle était en opposition avec l'idée
noble que je me faisais de l'amour. Je comprenais aussi qu'avec
Sandra je m'étais beaucoup ennuyé.
Elle baise bien mieux que toi, m'imaginais-je en train de lui dire.
Mais cette pensée me parut finalement bien futile et idiote.
Si j'avais revu Sandra je n'aurais eu, en réalité,
absolument aucune envie de lui dire ces choses-là ni de lui
faire du mal. C'est ainsi que je sus que je n'étais plus
du tout amoureux d'elle.
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