Finalement, je suis rentré seul. Je n'ai plus entendu
parlé de Louise pendant 2 semaines. Je n'ai jamais su ce
qu'elle était devenue durant tout ce temps. Elle avait peut-être
vécu avec Yves et Marie, ils ont peut-être fait ménage
à trois avant que Louise ne me revienne. Cette période
de sa vie demeure un mystère pour moi car elle n'a jamais
voulu répondre à mes questions.
Lorsque je lui ai demandé pourquoi elle avait fini par reprendre
contact avec moi, elle m'a dit que je lui avais manqué. C'est
comme ça, m'a-t-elle affirmé, lorsque je suis avec
toi j'ai parfois envie de disparaître et lorsque je suis sans
toi, je pense que tu me manques. Je n'arrivais pas à y croire.
Tu penses que je te manque ou je te manque vraiment, ce n'est pas
la même chose tu sais. Non, tu me manques vraiment, m'a-t-elle
répondu.
- Ah bon ! Il vaudrait mieux en être sûre parce que,
moi, je n'ai pas que ça à faire : courir après
toi ou bien t'attendre.
Pour toute réponse, elle s'est contentée de baisser
les yeux et de reprendre son air songeur.
Ce jour-là, je lui ai fait l'amour avec toute la force de
la jalousie et le besoin fou de la posséder qui en résultait.
Louise me fit don de son corps libre, tumultueux, dont les courbes
étaient autant de chemins vers la jouissance que nous procurent
des toutes petites morts, fruit de notre désir assouvi, véritables
explosions nourris de violence et de douceur.
Au lieu de s'éteindre, la flamme s'était rallumée
avec davantage de vigueur. Je sentais son corps contre le mien.
La douceur de sa peau chaude. N'avons-nous pas vibré à
l'unisson ? J'avais entendu son chant si profond, comme un souffle
jailli de ses entrailles. Et il me semblait avoir également
crié. Je n'étais sûr de rien. Etait-ce moi ?
Maintenant nous avions fini. Son corps, sous le mien, ne faisait
aucun mouvement. Je sentais mon sexe se réduire et, petit
à petit, s'extraire du tombeau où il avait trouvé
sa place. Si la vie s'arrêtait à cet instant précis,
me disais-je, nous n'aurions pas à nous plaindre.
La vie ne s'est pas arrêtée. Et il fallut que nous
redevenions des êtres normaux dans un monde imparfait. Des
gens qui vivent dans la société. Des gens qui s'éloignent
du bonheur lorsqu'ils s'en approchent de trop près. Louise
s'est levée puis s'est habillée. La nuit était
tombée. Elle devait partir. Elle m'a parlé d'une amie
qu'elle devait voir et puis ses parents qui l'attendaient pour dîner.
C'était la première fois que je l'entendais parler
de ses parents et je me promis, lorsque l'occasion se présenterait,
d'essayer d'en savoir davantage. Avait-elle, contrairement à
moi, une famille normale ?
A peine avais-je pensé cela que le téléphona
sonna. C'était ma mère. Je craignis qu'elle ne me
dise, Voyons pourquoi dis-tu que nous ne sommes pas une famille
normale ? Démontrant ainsi qu'elle était en mesure
de lire à distance dans mes pensées. Heureusement,
loin de se douter que je pensais d'une certaine manière à
elle au moment où elle composait mon numéro, elle
dit autre chose.
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Pendant que je lui parlais, Louise s'est éclipsé
en me faisant signe de la main qu'elle m'envoyait un millier de
baisers. Ma mère s'inquiétait de savoir si je comptais
reprendre mes études, je lui dis que non. Comprenant que
nous nous avancions à nouveau vers une impasse, elle changea
de sujet et voulu prendre de mes nouvelles. Je remarquais que sa
voix avait une intonation étrange. Elle semblait troublée.
Pour la première fois, j'entrevis une faiblesse en elle.
Au fond de moi, je me sentis coupable de ne m'en être rendu
compte qu'à cet instant. Je me trouvai dur avec cette femme
qui, jusqu'alors, m'avait fait l'effet d'un monstre tant elle m'était
apparue sans faiblesse et d'une force à toutes épreuves.
Sa tristesse me la faisait apparaître enfin comme un être
normal. Au fond, je pouvais me demander si nos rapports si tendus
ne s'expliquaient par une sorte d'admiration pour elle. Mais je
ne le croyais pas. Cependant, pour beaucoup de gens, sa vie était
un exemple à suivre. J'essayais de me figurer que j'avais
une mère dont la vie correspond à l'idéal du
commun des mortels. Ce qui était assez extraordinaire finalement.
Puis j'essayais de comprendre pourquoi les gens pouvaient tant tenir
à être comme elle.
Une vie comme la sienne met-elle à l'abri du malheur ? Evidemment
que non, mais ce que l'on veut, c'est une forme de puissance, de
carapace qui nous donne l'illusion de tout pouvoir affronter ou
de tout maîtriser. Je lui demandais ce qui était arrivée.
Sonia a décidé de quitter son mari et de partir en
Afrique, m'annonça-t-elle. Je faillis répondre que
ça, c'était une bonne nouvelle, mais je m'en abstins,
compatissant à son chagrin, pour une fois que je la voyais
en éprouver un.
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