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Roman > Chap17 : Chasseur !

 

Grâce à un ami de ma mère (je dois en convenir pour Louise), avec lequel elle avait certainement une liaison secrète et sexuelle, si ce n'était amoureuse, J'ai été engagé dans un grand hôtel parisien. Je tiens à préciser : un grand hôtel, à Paris, est un établissement dont la taille, mais aussi le standing justifie l'adjectif qu'on lui appose.

Je renouais ainsi avec les pourboires copieux laissés par des riches clients habitués à tout acheter.
L'ami de ma mère, m'avait arrangé un rendez-vous avec le chef du personnel qui, de son côté, m'avait présenté au chef concierge. A ce moment-là, le responsable de la loge, M.Guibert, m'avait déjà accepté dans son équipe, puisque ma candidature lui était présentée par une personne de la direction. Il me fit néanmoins subir un court entretien, au cours duquel il me demanda si j'avais déjà travaillé. Je répondis oui et je lui fit part de mes antécédents professionnels, en valorisant, bien entendu, mon expérience de réceptionniste de nuit. Il répondit d'un air assez dédaigneux, c'est bien ce que je pensais, vous n'avez jamais travaillé. Je ne cherchais pas à le contredire et j'en fus très bien inspiré, car cet homme d'une cinquante d'année, habitué à subir l'autorité de ses supérieurs, ne concevait pas qu'un subalterne puisse s'opposer à la sienne ou le contredire. Il fut satisfait de ce qu'il prit comme une marque de soumission de ma part (et s'en était une), il inscrivit mon nom sur un planning accroché à un mur du cagibi qui lui tenait lieu de bureau et me fit savoir que je commencerais deux jours plus tard, à 6 heures du matin.

Deux jours plus tard, c'était un dimanche. Il faisait nuit. Nous étions au mois de mars et je tentais de m'extraire des bras de Louise, sans la réveiller, à l'heure où les fêtards rentrent se coucher. Je n'avais dormis que deux ou trois heures mais je m'éveillais sans trop de difficultés. Après avoir pris ma douche, je m'étonnais même de me sentir en grande forme.
A 5H30, je n'étais pas seul dans le métro. Je distinguais facilement deux types de voyageurs. Ceux qui, comme moi, commençaient une dure journée de labeur, des cernes autour des yeux, et ceux qui terminaient une nuit d'ivresse, une certaine tristesse dans le regard, car la fête était finie ou une grande satisfaction, car ils regagnaient enfin leurs lits. Et pour certains, le retour à la vie réelle ne devait se faire que bien plus tard, s'il se faisait. Ceux-là cherchaient à abolir le temps en continuant de s'amuser jusqu'à n'en plus pouvoir. Ils voyageaient ivres et allaient d'un lieu de réjouissance à un autre, de la boîte vers l'after, des Champs vers les Grands Boulevards. Assis sur un strapontin, j'en regardais qui faisaient à vive voix des commentaires idiots entraînant invariablement des éclats de rire. A force, ils devenaient drôles. Deux hommes et une femme. Elle, une robe à paillettes, dans le style des années 30, qui descendait mi-cuisse et un boa rose autour du cou. Eux, la panoplie du parfait night-clubber des années 70, pantalon à pattes d'éléphant, chemise aux couleurs vives avec un col immense, largement ouvertes sur la poitrine pour faire apparaître la grosse chaîne. Ils portaient aussi des grosses lunettes de soleil et des chaussures à talons compensés. Ce look ringard, remis au goût du jour, leur allait à merveille puisqu'ils étaient beaux jeunes hommes aux corps sveltes, l'un blond et l'autre roux, dont les culs, bien pris dans leurs pantalons, étaient de la sorte remarquablement mis en valeur. La jeune fille qui les accompagnait était tout aussi séduisante et me plaisait davantage. Elle vint s'asseoir ou plutôt s'écrouler à côté de moi. Elle sentait fort l'alcool. Je lui adressais la parole tout en l'aidant à se redresser. Ce qui la faisait le plus rire était de voir nos têtes, à nous gens du commun, si tristes en ce dimanche matin. Putain mais vous vous éclatez jamais, cria-t-elle à des voyageurs à moitié endormis, qui n'en avaient absolument rien à foutre. Et ses copains pouffèrent de rire. Je répondis pour les autres, Nous ne sommes pas obligés de toujours faire la fête tous au même moment. Elle me regarda dans les yeux, l'air de dire, t'es pas si con que ça toi, puis sa bouche se rapprocha de la mienne et s'y colla. Me prenant au dépourvus, sa langue cherchait avidement la mienne. Une autre langue que celle de Louise, plus fine et plus douce. Ce fut un long baiser au cours duquel je ressentis diverses impressions étranges et contradictoires. Mes mains parcoururent la moitié de son corps, remontèrent sur ses cuisses, à partir du genou, pour caresser son sexe à travers une petite culotte fine que j'imaginais être un string. Elle pris ce plaisir sans rougir. Le métro s'arrêta. C'était la station où je devais descendre. Je la quittais avec quelques regrets, mon sexe toujours en érection. Pour elle, la fête continuait sans moi mais cela n'avait aucune importance.

J'arrivai à l'hôtel, pour mon premier jour de travail, avec des pensées qui n'avaient rien à voir avec le travail. Je repensais à Louise que je venais de trahir. Pour pas grand chose finalement. Je me sentais légèrement étourdi.

Stéphane. Lui aussi était chasseur-bagagiste. Le chef concierge, que tout le monde appelait chef, tout simplement, l'avait chargé de m'apprendre le boulot. Il le faisait avec plaisir, me montrant tout ce que je devais faire, ne faisant, lui, jamais rien. Bon, là, il faut monter ces bagages à la chambre 432. Ensuite, tu descendras la 505 mais on a le temps, ils ne partent pas maintenant. Tu veux boire un café ? Bon, moi j'y vais, en attendant t'as qu'à monter la 114, c'est trois pièces de bagages, y doivent être dans la réserve. Ensuite je t'expliquerais ce qu'il faut faire, mais j'appelle Jean-Jacques d'abord, je vais aller boire un café avec lui. Pour mon premier jour, j'étais tout à fait docile et je montais-descendais les bagages, les colis, les messages, les fax, les fleurs, les chocolats ; n'importe qui pouvait me demander n'importe quoi, j'étais ravi de le faire. Et, à mesure que nous avancions dans la matinée, je sentais dans mes poches le poids des pièces que j'avais gagnées et ce n'était jamais gênant. J'avais commencé à 6h00, à 10h30 les choses s'intensifièrent et Stéphane refit une courte apparition pour me rassurer. A 11h00, Fernando, un troisième bagagiste, devait arriver pour nous prêter main forte, m'apprit-il. A ce moment, une stagiaire de la réception passa sa tête à dans l'embrasure de la porte et nous annonça que les bagages de M.Dubois devaient être descendus. A ma grande surprise, Stéphane me fit laisse, j'y vais. Comme il y avait beaucoup d'autres bagages à monter-descendre, je pensais qu'il s'était enfin décidé à bosser. Par la suite, j'appris que M.Dubois était un très vieil habitué et qu'il donnait toujours des très bons pourboires au personnel. Un client de la vieille école, comme disait le voiturier : la grande classe.
A 11h00, comme prévus, Fernando arriva et Stéphane invita le concierge à prendre un café. Il lui en devait un depuis fort longtemps.
Dés qu'il eut revêtu le costume gris à bandes vertes et dorées, que nous portions pour le prestige de l'établissement qui nous employait, Fernando se mit à étudier le tableau noir où nous marquions les numéros des chambres dans lesquelles nous avions monté-descendu des bagages, ainsi que le nombre de départs et d'arrivées prévues pour la journée. Il fit un commentaire montrant que cela lui semblait correct. Mais lorsque je le revis, après qu'il eut monté des bagages dans une chambre, il avait d'autres mots en bouche. Putain, quelle saloperie, ça va encore être une journée de merde, vu comment c'est parti. Cinq minutes après, il avait fait un départ. Mais c'est quoi ces clients de merde ? T'as vu ça ? J'lui prends tous ses bagages, y'en a au moins pour vingt kilos, et cet enfoiré, tu sais combien y me donne comme pourboire ? Comment aurais-je pu deviner ? Deux francs cinquante, tu te rends compte deux francs cinquante ! Dis-moi, c'est pas se foutre de la gueule du monde ça ? L'autre y m'a rien donné et lui y me laisse des clopinettes.
Je n'avais, pour ma part, aucune raison de me plaindre ni d'insulter la clientèle bourgeoise internationale ; mes poches étaient pleines de pièces de dix francs et de billets de vingt et de cinquante francs. Je n'avais pas encore fait mes comptes mais je savais que j'avais au minimum 300 francs sur moi.

Fernando se plaignit de ne rien gagner jusqu'à la fin de la matinée. Peu après midi, il ne disait plus rien. Stéphane m'avait envoyé manger et lorsque je revins, je retrouvais mon collègue mécontent en train de siffloter. Il allait beaucoup mieux. Il regrettait de ne pas avoir pu faire son tiercé. Il aurait pu, s'il avait eu le fric plus tôt, mais là, il était trop tard.
Il était joueur. Les courses étaient sa grande passion. Il jouait des grosses sommes d'argent sur des chevaux auxquels il arrivait quelquefois de gagner des courses mais de perdre de très peu le plus souvent. Heureusement sa femme avait l'œil sur les finances du couple et lui empêchait d'y laisser sa chemise. C'est pourquoi il comptait tant sur les pourboires de la journée pour assouvir son vice. C'était un homme de quarante ans auquel j'eus l'occasion de m'attacher et nous parlions beaucoup ensemble. De son expérience dans d'autres hôtels et de sa femme, grâce à qui il pouvait mener une vie normale, après avoir, plusieurs fois, couru à la catastrophe. Il avait travaillé à Deauville lorsqu'il était jeune. C'était sa grande époque. Dés qu'il avait suffisamment d'argent, il démissionnait pour passer son temps au casino. Quand il comparait les sommes qu'il avait gagnées aux jeux à son salaire, il faisait la grimace. Heureusement qu'il avait rencontré sa femme pour lui apprendre à être raisonnable, me disait-il. Mais il m'apprit qu'elle était si parfaite qu'elle ne lui sucait jamais la bite. Il était obligé d'aller voir des professionnelles pour cela. Il me dit que là aussi il dépensait beaucoup d'argent et nous en rîmes tous les deux
Lorsque Stéphane refit son apparition ce jour-là (et je raconte cette journée parce qu'elle ressemble à des nombreuses autres que j'ai passé à faire ce travail), il s'était changé et rentrait chez lui. Dans son costume civil, il avait la grande classe. C'est du sur-mesure, me dit-il fier de lui. C'était un homme heureux, il avait un travail tranquille, qui lui rapportait bien plus d'argent qu'avec son niveau d'instruction un autre ne n'aurait pu le faire. La vie était belle pour lui. Il était délégué du personnel. Il se dépêchait de rentrer pour ne pas rater le déjeuner avec sa femme et ses enfants dans le jardin.

A cause de la guerre du Golfe, il y avait eu une crise dont l'hôtellerie de luxe avait beaucoup de mal à se remettre. Didier, le voiturier, me le répétait souvent et se désespérait de la mauvaise rétribution de ses services. Lorsque, profitant de moments de répit, je restais sur le trottoir à discuter avec lui tout en regardant passer les jeunes filles, il me faisait un bilan économique des plus clair de l'évolution des pourboires. Ce n'était plus la même clientèle. Pour lui, le manque à gagner était flagrant. D'ailleurs, il n'y avait qu'à voir les voitures qu'il conduisait. Ce n'était plus des Porsches ou des Jaguars, comme avant. Cependant, lorsque le temps n'était pas aux plaintes mais aux projets d'avenir, il me racontait qu'avec ses pourboires, il s'était payé une maison de campagne dans laquelle il comptait passer ses vieux jours. Il était dans le métier depuis plus de 30 ans. Il avait compté les années, les mois, puis les jours qui le séparaient de sa retraite.
Le chef concierge, quant à lui, faisait beaucoup mieux : il avait commencé à travailler, dans ce même hôtel, en 1947, lorsqu'il avait 16 ans. Il était entré comme groom et avait gravi tous les échelons- à l'époque il y en avait beaucoup -, jusqu'à occuper le poste qui était le sien. Il était beaucoup moins pressé de partir à la retraite ; il désirait, au contraire, profiter le plus longtemps possible de sa position, acquise après des années de bons et loyaux services mais surtout de dévotion et, j'imagine, d'hypocrisie.
Il était de la vieille école et pensait que le monde s'arrêtait aux murs de l'hôtel où il avait passé sa vie et aux lieux de débauches qu'il fréquentait. Un bon concierge d'hôtel sait, en effet, les spectacles à voir, à ne pas voir, les théâtres, les cinémas, les musées, les monuments historiques, les endroits où manger, boire, danser, baiser, se faire baiser, les piscines, les saunas, les salles de sports, de jour comme de nuit, il est capable d'indiquer les lieux où il faut aller pour trouver ce que l'on recherche. On dit qu'il est capable de répondre à n'importe quel caprice d'un client fortuné, c'est sans doute vrai. La plupart des établissements que les concierges recommandent aux clients des grands hôtels se doivent de les inviter afin de les remercier ou, tout simplement, de leur faire connaître la qualité d'une nourriture ou d'un spectacle. C'est pourquoi, un chef concierge, s'il sait y faire, et même s'il ne sait pas, peut manger à l'œil aux meilleures tables d'une ville, voire même d'un pays.

M.Guibert aimait son métier et les jeunes femmes qu'il invitait dans des restaurants où jamais on ne lui présentait une addition. Un détail a son importance : sa voiture était plus grosse et plus belle que celle du directeur de l'hôtel. La vie était donc très belle pour lui aussi mais il arrivait à la fin de sa carrière et il allait beaucoup s'emmerder à la retraite, au point de se faire sauter la cervelle avec un magnifique pistolet de collection, offert par un riche client américain.

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