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Roman > Chap14 : Un nouveau boulot

 

J'étais toujours au chômage. Mais, grâce à Louise, il ne restait aucune trace du découragement profond qui avait suivi mon premier entretien avec Cyril. Je me sentais en mesure de prendre ma vie en main. Je me remis donc à chercher avec espoir l'emploi le plus tranquille et le mieux payé que je pouvais trouver. Une offre attira mon attention. Il s'agissait de vendre des appartements en copropriété dans des fabuleuses résidences en bord de mer. Un travail très mal payé mais avec la promesse de commissions extraordinaires. Il fallait vendre à des pigeons et, avec un peu flair, il était aisé de les repérer. Des couples de jeunes, en général, qui travaillent tous les deux et sont mariés ou vivent ensemble depuis plus de 3 ans.
La femme au téléphone ne m’avait pas dit exactement cela, mais c’était bien ce qu’il fallait comprendre. Elle me vendit le poste en me racontant que j’allais être riche. Comme elle avait un vrai talent pour la vente, je me retrouvais, deux jours plus tard, en compagnie d’une dizaine de personnes, toutes prêtes à se lancer dans une carrière commerciale florissante.
Nous attendions sagement dans une pièce atypique. Une fine couche de poussière commençait à nous recouvrir, particulièrement visible sur les épaules d’un homme au costume sombre. Des ouvriers en étaient la cause ; ils abattaient des cloisons et jouaient de leurs perceuses ; ils bâtissaient, devant nos yeux, les bureaux où nous devions certainement être reçus.
L’annonce aurait dû attirer davantage de monde mais la moitié, au moins, des candidats avait dû se perdre en cherchant l’adresse en question. La rue, en plein milieu de la Goutte-d’or, était difficile à repérer et, dans l’immeuble, l'escalier C, situé dans une arrière cour, n’était pas indiqué. Je ne l’aurais jamais trouvé si je n’avais croisé, par chance, une vieille dame, qui habitait là depuis fort longtemps, qui eut la gentille de me guider. Quand nous traversâmes la cour, avant de pénétrer dans la cage d’escalier C, je fis un rapide voyage dans le temps, à l’époque des romans de Zola, et j’imaginais Gervaise traînant sa misère au travers de ces bâtiments presque insalubres. Je m’étais dis quel dommage qu’Akhim ne soit pas là pour apprécier ce décor de l’Assomoir, un livre qui l’aurait intéressé s’il avait pu le lire. Ensuite, la vieille dame m’avait laissé seul en bas de l’escalier C, en me disant, avant que je ne monte, Faites attention où vous mettez les pieds. Je fus donc extrêmement prudent tout au long de mon ascension jusqu’au troisième étage.
J’arrivais sans incident dans la pièce où les autres candidats attendaient déjà. Mais, à part eux, et les ouvriers, nul employé de la société pour nous accueillir. Les candidats esseulés trouvaient, à juste titre, cette séance de recrutement un peu bizarre. Louche même. L’un d’entre nous,- un homme âgé ( 50 ans peut-être, bien plus que la moyenne des candidats), petit, râblé, portant un vieux costume et une cravate à pois violets sur fond bleu - était particulièrement inquiet et ne cessait de questionner son voisin pour se rassurer. T’as vu l’annonce où, toi ? Y t’ont dit si y donnaient des tickets restaurants ? C’est pour commencer quand ? On travaille où ? Pas ici j’espère, parce que moi, la poussière, ça me rend malade… J'suis allergique à plein de truc en fait… Dis donc, c’est un C. D. I au moins qu'y propose ? Personne n’avait de renseignement et les plus optimistes s’autorisèrent d’abord à supposer que tout était peut-être normal, l'annonce, les travaux, cette attente, ce boulot et la fortune annoncée qui allait avec. Mais l’homme au costume sombre recouvert de poussière émit quelques doutes quant au sérieux de l’entreprise pour laquelle nous allions peut-être travailler.
Il y eut aussitôt une forte effervescence dans la salle. Tous commencèrent à dire qu’effectivement certaines choses n’étaient pas très normal dans la manière dont se déroulait ce recrutement. Deux personnes, particulièrement virulentes, se mirent à parler d’arnaque, et ne voyaient que des raisons de se plaindre. L’homme allergique à la poussière, quant à lui, s’était fait un commencement d’opinion, et, disait à qui voulait l'entendre, A mon avis ce sera pas un C. D. I.
L’idée de partir ne les effleura jamais l'esprit. Ils disaient, Franchement c’est inadmissible, ils se foutent vraiment de nous, mais aucun n'osait rebroussait chemin. Et, paradoxalement, les personnes les plus virulentes, celles qui échauffaient le plus les esprits avec leurs plaintes, semblaient les plus motivées pour obtenir n'importe quoi qui leur assure un salaire chaque mois.
Tous ces candidats étaient comme des moutons que l'on mène à l'abattoir. Bien que flairant le danger et s'en inquiétant, ils ne pouvaient se sauver, car une force supérieure leur interdisait de s’échapper. Cette force ce n’était pas seulement l’appât du gain qu’on leur avait promis, mais essentiellement un principe moral qui, dès lors, me parut fort nocif. C’était la sacralisation du travail.
J’eus envie de faire un peu de provocation pour tester les réactions des candidats inquiets. Ouais, mais c'est une boîte qui se monte, leur dis-je d'un air très convaincu, s'ils font des travaux, c'est que ça va être un gros truc.
Je ne pensais pas un mot de ce que je venais de dire, le contraire me semblait même flagrant, mais mes paroles eurent pour effet de rassurer tout le monde. Je vis alors ce qu’était le comportement stupide et grégaire de l’espèce humaine. Il fallait vraiment être idiot pour croire au sérieux de cette société immobilière mais tout le monde fut rassuré, comme s’ils avaient attendu que ma voix s’élève au-dessus des autres pour leur dire que tout allait bien.
Ils donneraient sans doute le meilleur d’eux-mêmes lors de cet entretien, s’il y en avait un. Je crus même discerner une petite concurrence entre ceux qui se plaignaient le plus. Bien que l’on senti encore une petite inquiétude, ils se racontaient leurs précédentes expériences professionnelles, certainement pour voir qui avait le plus de chance d’être pris. Ce n’était plus alors seulement la poussière qui m’incommodait mais leurs conversations également. Je me sentais comme un étranger au milieu de ces gens pour qui le travail était une véritable religion. Je décidais de m’en aller. Je n’étais pas fait pour vendre des appartements en copropriété ni quoi que ce soit d’autre. Mes homologues candidats à n’importe-quoi-mais-un-travail furent très surpris de me voir partir. Ils devaient s'attendre à ce que ce soit moi qui les engage.

Cette aventure, lorsque le la racontais le soir à Louise, l'amusa beaucoup, cependant, en guise de conclusion, elle laissa échapper un étrange on voit que t'as pas eu souvent à travailler réellement. Il n'y avait là rien de méchant de sa part mais je fus très choqué par cette remarque. Je lui demandai ce qu'elle entendait exactement par travailler réellement ? J'avais été presque pendant 2 ans réceptionniste de nuit, puis j'avais également travaillé dans un restaurant. Ce n'était pas rien tout de même. Bien sûr, me dit-elle, mais tu savais qu'il y avait ta mère derrière, si jamais le boulot ne te plaisait pas, tu pouvais toujours partir. Quand t'as des factures à payer et que personne ne peut les payer à ta place si tu te retrouves dans la merde, tu réagis comme tous ces gens que tu critiques, tu t'accroches à ton boulot même s'il te fait chier. Et lorsque tu le perds, tu es prêt à faire n'importe quel autre boulot à la con pour gagner du fric. Je ne savais pas où elle avait été chercher que ma mère payait mes factures mais ce n'était pas du tout exact. Depuis que j'ai arrêté mes études, je n'ai jamais rien demandé à ma mère, je me suis toujours débrouillé tout seul, d'ailleurs en ce moment je commence à être financièrement dans une grosse merde mais ce n'est pas pour autant que je lui demande quoi que ce soit. Si tu étais vraiment dans la merde, me dit-elle, tu ne serais pas parti, tu serais restais dans ce local merdique et tu aurais attendu, comme les autres, que quelqu'un vienne vous chercher, tu aurais fait le bon larbin comme tout le monde. Je comprenais ce qu'elle voulait dire et j'étais obligé d'admettre, au fond de moi, qu'elle avait peut-être raison, mais ce n'était pas certain. J'aime à croire que, même si je n'avais pas eu une mère financièrement aisée pour faire office de filet de protection ou de gilet de sauvetage, j'aurais jugé le monde de la même manière et réagi comme je l'avais fait. On peut difficilement faire des hypothèses sur ce que j'aurais été ou comment j'aurai réagis si ceci ou si cela. Ce qui compte, dis-je à Louise, ce sont mes actes et mes pensées, pas ce que j'aurais fait ou pensé si les conditions avaient été différentes. Elle me dit non, tu dois également être en mesure de te mettre à la place des gens que tu juges. Ce genre de discussion, qu'il nous arrivait d'avoir de temps à autres, était évidemment sans fin et sans réponse.

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