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Roman > Chap15 : L'exposition de François

 

Certains artistes se veulent inabordables, voguant dans des sphères de la création ou la plupart des gens ne peuvent les suivre. C'est là, selon eux, que l'on rencontre le génie. Tout le monde veut être génial. C'est pourquoi l'imbécile veut suivre l'artiste dans son retranchement. En arrivant à le suivre, il pense faire preuve d'une grande intelligence. Suivre un artiste dans sa pensée muette, permet d'expliquer ce qu'il a voulu dire lorsque ce dernier n'avait rien à dire. On regarde l'œuvre mais on ne voit pas, on ne ressent rien. Pourtant le critique affirme que c'est beau, que c'est fort, que c'est éblouissant et qu'il y a, là dans le coin du tableau, cette tâche, cette lumière, qui nous éclaire sur l'univers de l'artiste, peut-être voyons-nous un viol, celui de sa conscience par la tyrannie de l'information. L'artiste aurait certainement apprécié de dire tout cela à travers une tâche de peinture mais c'est le critique qui le dit à sa place. Il trouve le tableau extraordinaire. Et nous sommes obligés d'admettre que cet homme, si intelligent, qui semble s'y connaître, a raison et, ne voulant pas paraître complètement demeuré devant lui ou par politesse, car il a daigné se mettre à notre niveau pour nous expliquer de quoi il s'agissait, nous disons génial puisqu'il a dit génial. Qui ne dit pas génial est bête et, pire que tout, n'essaie même pas de faire semblant de ne pas l'être. L'œuvre d'art est devenue moins importante que l'artiste d'abord puis les critiques qui l'accompagnent. Et si l'art contemporain est celui qui demeure le plus obscur pour le public, il est aussi celui qu'apprécient le plus les critiques éclairés, car ils rêvent de faire l'artiste de demain en interprétant, autant dire éclairant, son travail pour le public. Je persiste, quant à moi, à trouver inutile d'expliquer la beauté si elle ne touche pas réellement un auditeur.

Tu fais quoi dans la vie ? La question était tombée comme un couperet. J'ai répondu, Rien. Elle a fait, Okay et elle s'en est allée. Elle était d'une grande beauté. Louise est venue ensuite vers moi et m'a demandait. Qu'est-ce qu'elle te voulait ? Savoir ce que je fais dans la vie. Pfff, quelle grosse pouffiasse, a-t-elle dit d'un air navré, elle a décidé de rester vierge jusqu'au mariage et elle veut absolument se marier avec un homme qui a une bonne situation. J'étais assez impressionné. Je pense que ça commence à la travailler vraiment, rajouta Louise, il faut absolument qu'elle se fasse sauter. Nous étions dans une galerie. François exposait ses oeuvres. Louise avait absolument tenu à ce que nous allions à ce vernissage car il marquait le début de la consécration de son frère. Il était question qu'il aille ensuite exposer à New York dans un resto français. François avait, à mon avis, un grand talent pour le dessin mais il n'était pas peintre. Ceci dit, moi mis à part, tout le monde semblait trouver ses toiles extraordinaires. Quelques personnes, croisées par-ci ou par-là, que j'écoutais d'une oreille indiscrète, ne tarissaient pas d'éloges à l'égard de son travail. La jeune pucelle, que je remarquais à nouveau essentiellement à cause de son cul, cette-fois-ci, avait posé son verre de vin sur une petite table, à côté d'une pile de prospectus, et buvait les paroles d'un trentenaire un peu chauve. Il devait avoir un emploi merveilleux, dis-je, dans le commerce ou la finance. Et je me mis à l'envier, un petit peu. Toutes les paroles bues la faisaient mouiller et j'imaginais qu'elle irait se toucher dans les toilettes pour ne pas céder à la tentation si l'homme proposait de la raccompagner quelque part et de la prendre sans demande officielle de mariage. François était assaillis par ses nouveaux admirateurs. Certains, outre des gâteaux apéritifs, avaient des compliments plein la bouche qu'il m'aurait fait honte de prononcer. Je ne pensais pas qu'ils fussent sincères ni qu'ils eussent la moindre idée de ce qu'est une œuvre d'art. Lui non plus ne devait pas être dupe, cependant un compliment, aussi invraisemblable soit-il, fait toujours plaisir à entendre. C'est pourquoi, lorsque nous fûmes assez proche de lui pour que sa sœur l'embrasse, je pus lui dire que ses tableaux étaient réellement extraordinaires. Il me remercia par un petit sourire. Il semblait, en fait, assez déçu de lui. J'ai pas eu le temps de préparer cette expo comme j'aurai voulu, nous dit-il. Louise n'était pas d'accord. Son frère était le plus grand. Il exposait des choses magnifiques. Elle ne le laissa pas contester ses propres mérites ni relativiser son talent. Une sorte de consensus c'était très vite établi dans lequel François apparaissait comme un grand artiste, certains disaient même un futur génie de la peinture et j'entendis, car, dans ce genre d'occasion, aucun mot n'est trop fort, ni trop con, une femme instruite déclarer, C'est un nouveau Francis Bacon… à la française. Personne n'y trouva rien à redire. Tout le monde trouvait l'artiste génial. Comme François semblait avoir un avenir devant lui, on déboucha quelques bouteilles de champagne, offertes par le propriétaire de la galerie, un découvreur, mais il préférait que l'on dise metteur en valeur, d'artistes. Tout le monde bu davantage car il est toujours plus agréable de se saouler avec du champagne offert que du mauvais vin, devant des œuvres impénétrables. On commençait à oublier les considérations sur l'art. Chacun, apparemment, avait pu placer son petit commentaire. Cela suffisait. Il ne restait plus rien à dire sur ce sujet. Une fois que son frère avait été porté aux nues, il convenait pour Louise d'apprécier la chance de côtoyer un si grand artiste. Elle était aux anges. Elle souriait à tous, embrassait et remerciait d'être venue. Je découvrais, pour la première fois, un trait particulier de son caractère qui me déplût. Elle prenait des poses, elle frimait. En tant que sœur de l'artiste, elle goûtait au gâteau que constituait le succès de son frère et tentait de s'en octroyer une part importante. Tout cela n'était évidemment pas flagrant. Il s'agissait de gestes simples, d'expressions, de manières de dire les choses, très fière de soit, par lesquels je remarquais que, dans de telles circonstances, elle était différente. Un grand agent artistique s'était déplacé pour voir les tableaux de son frère et, à en croire Louise, il avait été très impressionné par ce qu'il avait vu. Elle ne parlait plus que de ça. C'était plus fort qu'elle. Je me surpris à trouver détestable la manière dont le succès de son frère éclaboussait sur elle. La petite pucelle que je n'avais pu draguer puis l'attitude de Louise m'avaient dégoûté. J'ai voulu partir. Elle m'a demandé pourquoi. Je ne savais pas. L'ambiance, l'atmosphère, ce monde, cette fumée, j'allais bientôt étouffer si je ne sortais pas. Elle m'a trouvé bizarre. J'ai promis de l'appeler le lendemain et je suis sorti.

Dehors, il faisait bon. J'ai senti une fraîcheur vivifiante sur mon visage. Je n'avais plus envie de rentrer chez moi. J'ai décidé de marcher. J'appréciais de plus en plus ces longues promenades que je faisais en solitaire dans Paris. La nuit, plus particulièrement, il me semblait que la ville s'offrait à moi sans retenue. Je traversais le quartier du marais. Dans la rue vieille du temple, je passe devant l'immeuble où habitait Mathilde, une amie de Louise chez qui nous étions quelques jours auparavant. Elle vivait sous des poutres apparentes, dans 50 m2. Un super appartement dont ses parents, petits bourgeois en province, payaient encore le loyer, bien qu'elle se soit trouver un travail intéressant dans une boîte de com. Elle disait gagner bien sa vie. Louise et moi étions invité à dîner pour faire la connaissance d'un garçon qui lui avait plu, le week-end précédent, dans une fête d'anniversaire. Elle en avait parlé à Louise à maintes reprises au téléphone. Mon amie connaissait tous les détails de l'histoire, la fête ringarde, les droguées qui n'ont pas cessé de se défoncer, la jeune fille malade qui s'était écroulée dans les chiottes et avait vomi par terre avant d'atteindre la cuvette, puis ce garçon charmant, que Mathilde ne s'attendait pas à rencontrer dans une telle fête. Heureusement qu'il était là. Un véritable gentleman, comme on n'en fait plus, avec un humour extraordinaire. Ils avaient beaucoup rit ensemble et, contre toute attente, elle s'était amusé dans cette soirée pourtant si glauque. Elle lui trouvait toutes les qualités du monde. Le contraste avec les autres invités, apparemment des toxicos incapable d'autre chose que de fumer, snifer et se piquer, ne devait que renforcer ce sentiment. Louise était donc très curieuse de connaître ce garçon. Nous devinions que Mathilde voulait en faire son nouveau petit copain (le dernier en date l'ayant déplu car il n'avait absolument rien à dire et n'était absolument pas drôle.) Les choses auraient normalement dû se passer comme prévus ; j'étais prêt à parier gros que le garçon (je crois qu'il s'appelait David) resterait passer la nuit avec elle. Mathilde était une jolie fille, il est vrai, avec une certaine classe. Le profil type de la lectrice de Elle, dirais-je. Une sorte de consommatrice moderne, d'un niveau social supérieur à celui de la fameuse ménagère de moins de 50 ans, suffisamment cultivée pour apprécier un ballet ou lire un prix Goncourt mais également friande des potins de la presse à scandale ; une femme très soucieuse de son bien-être, qui prend soin de son corps, son visage, son look mais aussi de son esprit, un peu. Mais, à 21h00, le supposé prétendant n'était toujours pas arrivé. Nous avions décidé de commencer le repas sans lui. A 22h00, nous avions fini de manger et il n'était toujours pas là, alors que Mathilde lui avait dit de venir vers 20 heures. A 22h30, nous pensions qu'il ne viendrait plus. A 23h00, Mathilde, un peu inquiète, a répondu à l'interphone. C'était lui. Il fit irruption quelques minutes plus tard dans l'appartement avec une femme à son bras et une bouteille de champagne dans l'autre, ils étaient suivis d'un vieil alcoolique qui avait eu davantage de mal à monter les escaliers jusqu'au 4eme étage. David était soûl et vraiment désolé de son retard mais il avait ramené le champagne et ses copains pour se faire pardonner. Tout ce beau monde avait était ramassé dans un bar. La femme ne cessait de rire bêtement dés qu'il ouvrait la bouche. Son maquillage était une tentative vaine pour effacer les années et, en plus de la mini-jupe qu'elle portait, il la rendait très vulgaire. Mathilde ne savait comment réagir face à cette surprise. Elle connaissait trop David pour lui refuser l'entrée de son appartement mais pas assez pour lui dire vertement sa manière de voir les choses et lui faire une scène. Dans une telle situation, son éducation l'obligeait à accueillir son invité sans faire un scandale qui serait la preuve d'un attachement certain au moment où elle devait montrer, au contraire, que ce garçon lui était indifférent. Du coup, elle joua son rôle de maîtresse de maison en lui offrant, ainsi qu'à ses amis, de prendre place à la table où nous demeurions toujours. Elle restait impassible malgré le coup terrible qu'elle venait de prendre. Louise et moi n'en revenions pas. Nous assistions à un étrange suicide de la part de ce David. Je ne pouvais m'expliquer autrement le culot dont il faisait preuve pour compromettre toutes ses chances avec Mathilde. Elle s'était montrée agréable et gentille avec lui. Il semblait vouloir anéantir cette estime qui, rapidement ce serait devenu de l'amour. Peut-être avait-il résolu de ne faire qu'une bouchée de ce sentiment, de le détruire de la manière la plus terrible qui soit. Il m'impressionnait beaucoup.Lors de leur première rencontre, il avait été attiré par Mathilde puisqu'il ne l'avait pas quittée de la soirée, la draguant avec succès. Elle lui avait donné son numéro de téléphone et, au premier rendez-vous (qui avait lieu chez elle), il arrivait avec trois heures de retard, complètement ivre, accompagné d'une pétasse qu'il ne se gênait pas de peloter devant nous. Pourquoi faisait-il cela ? Avait-il peur d'une liaison avec Mathilde ? La trouvait-il trop bien pour lui ? Etait-il équilibré ? Nous pouvions croire que non. Mathilde ne disait rien. De toute manière qu'aurait-elle pu dire ? David se livrait à une véritable action Kamikaze que personne ne pouvait arrêter. Il nous était impossible d'en connaître le sens. Nous ne pouvions que constater les dégâts, compatir au malheur de Mathilde et, en ce qui me concerne, se demander si ce n'était pas, après tout, de l'amour également. Je voyais David comme un grand romantique et j'aurais aimé en savoir davantage sur lui. Mais, pour l'heure, il était absolument ivre et, il faut le dire, d'un humour assez caustique que Louise n'appréciait pas particulièrement. Elle se demandait comment son amie avait pu lui trouver du charme. Pour ma part, je commençais à comprendre Mathilde et, le voyant sous ce très mauvais jour, je dois admettre avoir été, au final, plutôt séduit par l'attitude et le comportement suicidaire de David, si ce n'est pas lui-même. En tout cas, ces trois nouveaux venus mirent de l'ambiance. La femme était chanteuse, d'après ses dires, et le vieil alcoolique était capitaine. Il naviguait sur la seine dans un bateau-mouche. David le fit promettre de tous nous inviter pour une ballade sur le fleuve. Il ne s'était pas fait prier pour nous le proposer. Nous avions dit oui par politesse. Qu'était devenu ce fameux David ? J'aurais aimé le revoir pour qu'il m'explique ce qu'il lui était passé par la tête et ce qu'il pensait réellement de Mathilde. A mon avis, il avait cédé à la pression d'un amour naissant. Ou alors il était suffisamment sage pour savoir qu'entre lui et une fille comme elle, une liaison aurait abouti à une grande frustration ou une grave déchirure.

Un peu plus tard, je me retrouvais devant l'affreux centre Pompidou où je me joignis à un groupe de jeunes qui écoutait un rasta chanter. Il s'accompagnait à la guitare acoustique. C'était de la bonne musique. J'avais reconnu des chansons de Bob Marley et d'Alpha Blondy. L'ambiance était plutôt fraternelle. Un homme un peu éméché, faisait la quête pour le chanteur. Il arriva à ma hauteur et me présenta un chapeau au fond duquel briller quelques pièces, tout en me parlant créole.

Nous avions la même couleur de peau mais je ne le comprenais pas. Il me demanda, Tu n'es pas antillais ? Je dis non. Alors tu es quoi ? Je répondis, comme s'il s'agissait d'une évidence, Français.
Pour lui, ce n'était pas une bonne réponse. Il eut un air affligé et continua à faire sa quête, dédaignant la pièce que je me préparais à jeter dans son chapeau.

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