Certains artistes se veulent inabordables, voguant
dans des sphères de la création ou la plupart des
gens ne peuvent les suivre. C'est là, selon eux, que l'on
rencontre le génie. Tout le monde veut être génial.
C'est pourquoi l'imbécile veut suivre l'artiste dans son
retranchement. En arrivant à le suivre, il pense faire preuve
d'une grande intelligence. Suivre un artiste dans sa pensée
muette, permet d'expliquer ce qu'il a voulu dire lorsque ce dernier
n'avait rien à dire. On regarde l'œuvre mais on ne voit
pas, on ne ressent rien. Pourtant le critique affirme que c'est
beau, que c'est fort, que c'est éblouissant et qu'il y a,
là dans le coin du tableau, cette tâche, cette lumière,
qui nous éclaire sur l'univers de l'artiste, peut-être
voyons-nous un viol, celui de sa conscience par la tyrannie de l'information.
L'artiste aurait certainement apprécié de dire tout
cela à travers une tâche de peinture mais c'est le
critique qui le dit à sa place. Il trouve le tableau extraordinaire.
Et nous sommes obligés d'admettre que cet homme, si intelligent,
qui semble s'y connaître, a raison et, ne voulant pas paraître
complètement demeuré devant lui ou par politesse,
car il a daigné se mettre à notre niveau pour nous
expliquer de quoi il s'agissait, nous disons génial puisqu'il
a dit génial. Qui ne dit pas génial est bête
et, pire que tout, n'essaie même pas de faire semblant de
ne pas l'être. L'œuvre d'art est devenue moins importante
que l'artiste d'abord puis les critiques qui l'accompagnent. Et
si l'art contemporain est celui qui demeure le plus obscur pour
le public, il est aussi celui qu'apprécient le plus les critiques
éclairés, car ils rêvent de faire l'artiste
de demain en interprétant, autant dire éclairant,
son travail pour le public. Je persiste, quant à moi, à
trouver inutile d'expliquer la beauté si elle ne touche pas
réellement un auditeur.
Tu fais quoi dans la vie ? La question était tombée
comme un couperet. J'ai répondu, Rien. Elle a fait, Okay
et elle s'en est allée. Elle était d'une grande beauté.
Louise est venue ensuite vers moi et m'a demandait. Qu'est-ce qu'elle
te voulait ? Savoir ce que je fais dans la vie. Pfff, quelle grosse
pouffiasse, a-t-elle dit d'un air navré, elle a décidé
de rester vierge jusqu'au mariage et elle veut absolument se marier
avec un homme qui a une bonne situation. J'étais assez impressionné.
Je pense que ça commence à la travailler vraiment,
rajouta Louise, il faut absolument qu'elle se fasse sauter. Nous
étions dans une galerie. François exposait ses oeuvres.
Louise avait absolument tenu à ce que nous allions à
ce vernissage car il marquait le début de la consécration
de son frère. Il était question qu'il aille ensuite
exposer à New York dans un resto français. François
avait, à mon avis, un grand talent pour le dessin mais il
n'était pas peintre. Ceci dit, moi mis à part, tout
le monde semblait trouver ses toiles extraordinaires. Quelques personnes,
croisées par-ci ou par-là, que j'écoutais d'une
oreille indiscrète, ne tarissaient pas d'éloges à
l'égard de son travail. La jeune pucelle, que je remarquais
à nouveau essentiellement à cause de son cul, cette-fois-ci,
avait posé son verre de vin sur une petite table, à
côté d'une pile de prospectus, et buvait les paroles
d'un trentenaire un peu chauve. Il devait avoir un emploi merveilleux,
dis-je, dans le commerce ou la finance. Et je me mis à l'envier,
un petit peu. Toutes les paroles bues la faisaient mouiller et j'imaginais
qu'elle irait se toucher dans les toilettes pour ne pas céder
à la tentation si l'homme proposait de la raccompagner quelque
part et de la prendre sans demande officielle de mariage. François
était assaillis par ses nouveaux admirateurs. Certains, outre
des gâteaux apéritifs, avaient des compliments plein
la bouche qu'il m'aurait fait honte de prononcer. Je ne pensais
pas qu'ils fussent sincères ni qu'ils eussent la moindre
idée de ce qu'est une œuvre d'art. Lui non plus ne devait
pas être dupe, cependant un compliment, aussi invraisemblable
soit-il, fait toujours plaisir à entendre. C'est pourquoi,
lorsque nous fûmes assez proche de lui pour que sa sœur
l'embrasse, je pus lui dire que ses tableaux étaient réellement
extraordinaires. Il me remercia par un petit sourire. Il semblait,
en fait, assez déçu de lui. J'ai pas eu le temps de
préparer cette expo comme j'aurai voulu, nous dit-il. Louise
n'était pas d'accord. Son frère était le plus
grand. Il exposait des choses magnifiques. Elle ne le laissa pas
contester ses propres mérites ni relativiser son talent.
Une sorte de consensus c'était très vite établi
dans lequel François apparaissait comme un grand artiste,
certains disaient même un futur génie de la peinture
et j'entendis, car, dans ce genre d'occasion, aucun mot n'est trop
fort, ni trop con, une femme instruite déclarer, C'est un
nouveau Francis Bacon… à la française. Personne
n'y trouva rien à redire. Tout le monde trouvait l'artiste
génial. Comme François semblait avoir un avenir devant
lui, on déboucha quelques bouteilles de champagne, offertes
par le propriétaire de la galerie, un découvreur,
mais il préférait que l'on dise metteur en valeur,
d'artistes. Tout le monde bu davantage car il est toujours plus
agréable de se saouler avec du champagne offert que du mauvais
vin, devant des œuvres impénétrables. On commençait
à oublier les considérations sur l'art. Chacun, apparemment,
avait pu placer son petit commentaire. Cela suffisait. Il ne restait
plus rien à dire sur ce sujet. Une fois que son frère
avait été porté aux nues, il convenait pour
Louise d'apprécier la chance de côtoyer un si grand
artiste. Elle était aux anges. Elle souriait à tous,
embrassait et remerciait d'être venue. Je découvrais,
pour la première fois, un trait particulier de son caractère
qui me déplût. Elle prenait des poses, elle frimait.
En tant que sœur de l'artiste, elle goûtait au gâteau
que constituait le succès de son frère et tentait
de s'en octroyer une part importante. Tout cela n'était évidemment
pas flagrant. Il s'agissait de gestes simples, d'expressions, de
manières de dire les choses, très fière de
soit, par lesquels je remarquais que, dans de telles circonstances,
elle était différente. Un grand agent artistique s'était
déplacé pour voir les tableaux de son frère
et, à en croire Louise, il avait été très
impressionné par ce qu'il avait vu. Elle ne parlait plus
que de ça. C'était plus fort qu'elle. Je me surpris
à trouver détestable la manière dont le succès
de son frère éclaboussait sur elle. La petite pucelle
que je n'avais pu draguer puis l'attitude de Louise m'avaient dégoûté.
J'ai voulu partir. Elle m'a demandé pourquoi. Je ne savais
pas. L'ambiance, l'atmosphère, ce monde, cette fumée,
j'allais bientôt étouffer si je ne sortais pas. Elle
m'a trouvé bizarre. J'ai promis de l'appeler le lendemain
et je suis sorti.
|
Dehors, il faisait bon. J'ai senti une fraîcheur
vivifiante sur mon visage. Je n'avais plus envie de rentrer chez
moi. J'ai décidé de marcher. J'appréciais de
plus en plus ces longues promenades que je faisais en solitaire
dans Paris. La nuit, plus particulièrement, il me semblait
que la ville s'offrait à moi sans retenue. Je traversais
le quartier du marais. Dans la rue vieille du temple, je passe devant
l'immeuble où habitait Mathilde, une amie de Louise chez
qui nous étions quelques jours auparavant. Elle vivait sous
des poutres apparentes, dans 50 m2. Un super appartement dont ses
parents, petits bourgeois en province, payaient encore le loyer,
bien qu'elle se soit trouver un travail intéressant dans
une boîte de com. Elle disait gagner bien sa vie. Louise et
moi étions invité à dîner pour faire
la connaissance d'un garçon qui lui avait plu, le week-end
précédent, dans une fête d'anniversaire. Elle
en avait parlé à Louise à maintes reprises
au téléphone. Mon amie connaissait tous les détails
de l'histoire, la fête ringarde, les droguées qui n'ont
pas cessé de se défoncer, la jeune fille malade qui
s'était écroulée dans les chiottes et avait
vomi par terre avant d'atteindre la cuvette, puis ce garçon
charmant, que Mathilde ne s'attendait pas à rencontrer dans
une telle fête. Heureusement qu'il était là.
Un véritable gentleman, comme on n'en fait plus, avec un
humour extraordinaire. Ils avaient beaucoup rit ensemble et, contre
toute attente, elle s'était amusé dans cette soirée
pourtant si glauque. Elle lui trouvait toutes les qualités
du monde. Le contraste avec les autres invités, apparemment
des toxicos incapable d'autre chose que de fumer, snifer et se piquer,
ne devait que renforcer ce sentiment. Louise était donc très
curieuse de connaître ce garçon. Nous devinions que
Mathilde voulait en faire son nouveau petit copain (le dernier en
date l'ayant déplu car il n'avait absolument rien à
dire et n'était absolument pas drôle.) Les choses auraient
normalement dû se passer comme prévus ; j'étais
prêt à parier gros que le garçon (je crois qu'il
s'appelait David) resterait passer la nuit avec elle. Mathilde était
une jolie fille, il est vrai, avec une certaine classe. Le profil
type de la lectrice de Elle, dirais-je. Une sorte de consommatrice
moderne, d'un niveau social supérieur à celui de la
fameuse ménagère de moins de 50 ans, suffisamment
cultivée pour apprécier un ballet ou lire un prix
Goncourt mais également friande des potins de la presse à
scandale ; une femme très soucieuse de son bien-être,
qui prend soin de son corps, son visage, son look mais aussi de
son esprit, un peu. Mais, à 21h00, le supposé prétendant
n'était toujours pas arrivé. Nous avions décidé
de commencer le repas sans lui. A 22h00, nous avions fini de manger
et il n'était toujours pas là, alors que Mathilde
lui avait dit de venir vers 20 heures. A 22h30, nous pensions qu'il
ne viendrait plus. A 23h00, Mathilde, un peu inquiète, a
répondu à l'interphone. C'était lui. Il fit
irruption quelques minutes plus tard dans l'appartement avec une
femme à son bras et une bouteille de champagne dans l'autre,
ils étaient suivis d'un vieil alcoolique qui avait eu davantage
de mal à monter les escaliers jusqu'au 4eme étage.
David était soûl et vraiment désolé de
son retard mais il avait ramené le champagne et ses copains
pour se faire pardonner. Tout ce beau monde avait était ramassé
dans un bar. La femme ne cessait de rire bêtement dés
qu'il ouvrait la bouche. Son maquillage était une tentative
vaine pour effacer les années et, en plus de la mini-jupe
qu'elle portait, il la rendait très vulgaire. Mathilde ne
savait comment réagir face à cette surprise. Elle
connaissait trop David pour lui refuser l'entrée de son appartement
mais pas assez pour lui dire vertement sa manière de voir
les choses et lui faire une scène. Dans une telle situation,
son éducation l'obligeait à accueillir son invité
sans faire un scandale qui serait la preuve d'un attachement certain
au moment où elle devait montrer, au contraire, que ce garçon
lui était indifférent. Du coup, elle joua son rôle
de maîtresse de maison en lui offrant, ainsi qu'à ses
amis, de prendre place à la table où nous demeurions
toujours. Elle restait impassible malgré le coup terrible
qu'elle venait de prendre. Louise et moi n'en revenions pas. Nous
assistions à un étrange suicide de la part de ce David.
Je ne pouvais m'expliquer autrement le culot dont il faisait preuve
pour compromettre toutes ses chances avec Mathilde. Elle s'était
montrée agréable et gentille avec lui. Il semblait
vouloir anéantir cette estime qui, rapidement ce serait devenu
de l'amour. Peut-être avait-il résolu de ne faire qu'une
bouchée de ce sentiment, de le détruire de la manière
la plus terrible qui soit. Il m'impressionnait beaucoup.Lors de
leur première rencontre, il avait été attiré
par Mathilde puisqu'il ne l'avait pas quittée de la soirée,
la draguant avec succès. Elle lui avait donné son
numéro de téléphone et, au premier rendez-vous
(qui avait lieu chez elle), il arrivait avec trois heures de retard,
complètement ivre, accompagné d'une pétasse
qu'il ne se gênait pas de peloter devant nous. Pourquoi faisait-il
cela ? Avait-il peur d'une liaison avec Mathilde ? La trouvait-il
trop bien pour lui ? Etait-il équilibré ? Nous pouvions
croire que non. Mathilde ne disait rien. De toute manière
qu'aurait-elle pu dire ? David se livrait à une véritable
action Kamikaze que personne ne pouvait arrêter. Il nous était
impossible d'en connaître le sens. Nous ne pouvions que constater
les dégâts, compatir au malheur de Mathilde et, en
ce qui me concerne, se demander si ce n'était pas, après
tout, de l'amour également. Je voyais David comme un grand
romantique et j'aurais aimé en savoir davantage sur lui.
Mais, pour l'heure, il était absolument ivre et, il faut
le dire, d'un humour assez caustique que Louise n'appréciait
pas particulièrement. Elle se demandait comment son amie
avait pu lui trouver du charme. Pour ma part, je commençais
à comprendre Mathilde et, le voyant sous ce très mauvais
jour, je dois admettre avoir été, au final, plutôt
séduit par l'attitude et le comportement suicidaire de David,
si ce n'est pas lui-même. En tout cas, ces trois nouveaux
venus mirent de l'ambiance. La femme était chanteuse, d'après
ses dires, et le vieil alcoolique était capitaine. Il naviguait
sur la seine dans un bateau-mouche. David le fit promettre de tous
nous inviter pour une ballade sur le fleuve. Il ne s'était
pas fait prier pour nous le proposer. Nous avions dit oui par politesse.
Qu'était devenu ce fameux David ? J'aurais aimé le
revoir pour qu'il m'explique ce qu'il lui était passé
par la tête et ce qu'il pensait réellement de Mathilde.
A mon avis, il avait cédé à la pression d'un
amour naissant. Ou alors il était suffisamment sage pour
savoir qu'entre lui et une fille comme elle, une liaison aurait
abouti à une grande frustration ou une grave déchirure.
Un peu plus tard, je me retrouvais devant l'affreux centre Pompidou
où je me joignis à un groupe de jeunes qui écoutait
un rasta chanter. Il s'accompagnait à la guitare acoustique.
C'était de la bonne musique. J'avais reconnu des chansons
de Bob Marley et d'Alpha Blondy. L'ambiance était plutôt
fraternelle. Un homme un peu éméché, faisait
la quête pour le chanteur. Il arriva à ma hauteur et
me présenta un chapeau au fond duquel briller quelques pièces,
tout en me parlant créole.
Nous avions la même couleur de peau mais je ne le comprenais
pas. Il me demanda, Tu n'es pas antillais ? Je dis non. Alors tu
es quoi ? Je répondis, comme s'il s'agissait d'une évidence,
Français.
Pour lui, ce n'était pas une bonne réponse. Il eut
un air affligé et continua à faire sa quête,
dédaignant la pièce que je me préparais à
jeter dans son chapeau.
|