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Roman > Chap6 : Louise

 


A mesure que nous nous éloignions de l'entreprise de Cyril, je me sentais de plus en plus dégoûté et profondément désespéré. J'étais au chômage depuis six mois et je n'avais plus aucune idée d'un travail que j'aurai pu trouver. Les chefs ou les petits patrons comme Cyril étaient à exclure de mon monde et je regrettais de ne pas avoir eu assez de cran pour le corriger comme l'avait fait Akhim. En fait, moi seul aurait dû régler son compte à ce jeune prétentieux. Mais je suis trop intégré à un système qui exclu ce genre de réaction. Je me laisse humilié par ceux qui peuvent me donner du travail. Ils ont le bon rôle parce qu'étant chômeur on n'a pas le choix. On se présente à eux avec l'espoir de sortir d'une situation qui nous pèse et menace de faire de nous des exclus. C'est la grande peur de notre époque et ils en font l'instrument de leur domination.
Je doutais, dans ces conditions, que l'égalité des hommes soit une réalité du monde du travail et je ne pouvais accepter mon manque de réaction lorsque Cyril avait tenté de me rabaisser. Akhim, lui, avec son tempérament de voyou, ne s'était posé aucune question. Pour lui, tout se règle d'homme à homme et par la force des poings. Il s'était jeté sur Cyril sans aucun égard pour sa position et lui avait infligé la correction qu'il méritait. Il avait fait ça pour moi. Je lui en étais reconnaissant mais j'étais également en proie à un grand sentiment de colère. Une colère que je sentais bouillonner en moi contre le monde entier. Il m'aurait fallu tout casser et mettre le feu à la terre entière pour m'en débarrasser.
Je restais silencieux. Même ma reconnaissance envers Akhim se serait transformée en expression de ma colère si j'avais ouvert la bouche. Tout en marchant, je serrais les poings dans mes poches tandis qu'il vérifiait le bon état de ses membres. Sa main droite lui causait quelques soucis apparemment. Il dit, Putain, j'me suis niqué le poignet sur ce salaud. Moi, il me semblait que ma vie entière avait été niquée au contact de ce salaud.
Que faire maintenant ? Devenir, comme Akhim, un petit trafiquant ? Rendre service à tous ces fumeurs de shit et gagner par la même occasion ma vie ? Non, je savais que je n'étais pas fait pour ça. Ce métier ne s'improvise pas. Il faut avoir le sens des affaires et celui des magouilles pour le faire. Moi, je ne suis pas assez doué. Je vois Akhim travailler, je le vois préparer ses rendez-vous avec ses fournisseurs. Je le vois chercher des planques pour sa came, je le vois aussi couper puis peser le shit pour en faire des petites barrettes ou des grosses tablettes. Je le vois préparer les commandes des habitués puis leur fixer rendez-vous. Untel sera toujours bien servi, et du shit de qualité en plus, parce que c'est un vrai connaisseur. Celui-là tu peux lui faire fumer n'importe quoi. Akhim prend soin de la clientèle, en général. Il se verrait bien à la tête d'une petite entreprise finalement mais, pour le moment, c'est interdit tous ça. Alors, je pense qu'il a plus de chance de finir en taule que dans un conseil d'administration.
J'ai été tenté, à maintes reprises de lui faire la morale. Maintenant je m'aperçois que j'étais bien stupide. L'argent mène ce monde et le sens morale n'est absolument pas compatible avec celui des affaires. Faire l'éloge de tout ce que l'argent peut nous procurer et donner en même temps aux jeunes le goût du travail payé une misère... Il n'y que les hommes politiques de droite pour vendre cette idée et leurs électeurs pour y croire. Comment donner tort à Akhim, de gagner du fric par le meilleur moyen à sa disposition ? Rien, finalement, ne nous garantie une place dans la société, surtout pas le fait d'être honnête.

J'avais décidé de chercher du travail et pour tout résultat j'étais arrivé à croire davantage au choix d'un ami dealer qu'à ma possible intégration dans la société. Je marchais en regardant mes pieds, sans me soucier du moindre passant. Je n'avais absolument aucune raison de lever la tête pour essayer de voir, devant moi, ce que l'avenir me réservait. Derrière, quelqu'un se mit à crier. Attendez ! Oh vous deux ! Attendez-moi ! Je me retournai. C'était la secrétaire de Cyril. Elle cherchait à nous rejoindre. J'ai pensé, non sans ironie, qu'avons-nous oublié ? De laisser nos CV, nos références ou nos cartes de visites ? Akhim s'est également étonné, Qu'est-ce qu'elle nous veut là-celle ? Elle ne tarda pas à être à notre hauteur. Il m'a viré, nous annonçât-elle essoufflée, tout en plaquant sa main droite contre sa poitrine, sans doute pour stopper des mouvements qu'elle jugeait intempestifs en notre présence. Akhim (il portait sur la joue et sur le cou des marques de griffures qui ne pouvaient provenir que d'elle) lui répondit que nous n'en avions rien à foutre. Elle resta silencieuse. Puis elle haussa ses belles épaules, fit un petit sourire navré et un pas en arrière, pour repartir. Visiblement, elle s'était attendue à un autre accueil de notre part. Sa déception, à peine entrevue, me toucha. Je me sentis soudain coupable. Elle avait déjà tourné les talons. Ne trouvant quoi dire, je réagis le plus vite possible en lui demandant son prénom. Après avoir marqué une petite hésitation, elle fit à nouveau un demi-tour. Louise, dit-elle, et elle me tendit sa main. Je fus heureux de m'en saisir et de lui dire mon prénom. Elle sourit et je pensai à la remarque qu'avait faite Cyril, quelques minutes auparavant, à propos des mains moites. Je rougis.
De l'autre côté de la rue se trouvait un petit bar aux allures sympathiques. Nous pouvions voir, à travers les grandes vitres clairsemées d'autocollants à la gloire des routiers, des centaines de fanions d'équipes de football accrochés aux murs et au comptoir, mais quelques jeunes également, attablés, absolument tranquille et détendus, comme si la vie était belle pour eux. Je proposai d'y prendre un café pour faire davantage connaissance et écouter le récit de notre nouvelle chômeuse. Je voulais surtout m'assurer que nous n'étions pour rien dans la perte de son travail.
Akhim est entré le premier et j'ai laissé passer Louise avant d'entrer.

Elle ne semblait pas trop affectée. Son souffle retrouvé, elle parut même satisfaite et je fus réellement rassuré. J'attendais une bonne occasion pour partir et c'est vous qui me l'avez donnée, nous confia-t-elle. Un vieux monsieur vint prendre notre commande. Il l'interrompit alors que nous attendions une suite importante. Nous ne comprenions pas pourquoi elle avait tellement tenu à nous rejoindre ni pourquoi elle avait attendu que son patron se fasse agresser pour le quitter. Elle-même ne savait pas au juste pourquoi elle avait couru derrière nous. Elle n'y avait pas trop réfléchit, elle l'avait fait, c'était tout.
A propos de Cyril, elle nous raconta, Quand vous êtes parti, il a commencé à m'engueuler, alors j'en ai eu marre, je lui ai dit qu'il avait bien mérité de se faire casser la gueule. Il a menacé de me virer, il m'a traité de salope. Je me suis énervé contre lui et tout ce que j'avais sur le cœur est sorti, comme ça, sans que je m'y attende. C'était vraiment génial, je me sens vachement mieux à présent. Et elle souffla. Vous n'avez pas une clope ? Nous la trouvions effectivement mieux. Elle buvait son jus d'orange à grande gorgée et nous offrait un grand sourire, chaque fois qu'elle reposait son verre avant de tirer une bouffée de la cigarette que je venais de lui offrir. Elle nous souriait avec une certaine reconnaissance comme si, vraiment, nous étions arrivés à point. Putain quel enfer, dit-elle, franchement quand j'y repense… Heureusement que je me suis barrée. Y voulait sortir avec moi en plus. C'est seulement parce qu'il n'a jamais réussi à me sauter qu'il m'a gardé aussi longtemps, autrement, je suis sûre qu'il m'aurait déjà virée, c'est ce qu'il à fait avec toutes les autres… Tout en parlant, elle accompagnait ses phrases de gestes ou de petites mimiques, qui exprimaient les émotions de son interlocuteur ou, quelquefois, les siennes. Akhim était fier de sa libération car, pour lui, le travail n'a jamais été un moyen de s'enrichir, surtout s'il est pénible. Je la trouvais géniale, mais je me demandais si le lendemain elle ne regretterait pas son geste et ne nous en voudrait pas d'avoir fait d'elle une chômeuse. Comme si elle avait deviné mes pensées, elle me rassura encore une fois. Ce n'était pas seulement cette bagarre qui l'avait décidée à s'en aller. Cyril était devenu un véritable connard. Elle ne mâchait pas ses mots pour parler de lui et on pouvait effectivement croire que quelque chose s'était afin libéré en elle. J'avais la certitude de ne pas m'être tromper sur cet individu, malgré tout le bien que Jésus avait pu m'en dire. Et puis, merde, finit par dire Louise, de toute manière j'en avais plus qu'assez de faire la conne dans cette boîte. C'est vrai quoi, ça faisait presque deux ans que j'y étais, vous vous rendez compte ? Deux ans c'est quoi ? Je calculais que c'était le temps qu'il m'avait fallu pour commencer à oublier Sandra.

Après vingt minutes d’une discussion complice et agréable, une chose étrange se produisit. Akhim changea complètement d'attitude. Il se mit à regarder Louise d'un œil soupçonneux et fit son possible pour refroidir l'ambiance chaleureuse qui s'était instaurée entre nous. Lorsque je parlais, je recevais de temps à autres des coups de pieds sous la table. Certains de ses coups étaient si violents que je ne parvenais qu'in extremis à ne pas crier. Quand Louise se leva et dit qu'elle devait faire un tour aux toilettes, j'eus enfin une explication de sa part. Cette meuf est chelou, me dit-il, d'abord elle gueule parce que je cogne son patron et, juste après, elle nous court derrière pour faire style vous êtes mes potes. Il pensait que le jeune patron à qui il venait d'infliger une bonne correction par ma faute nous avait envoyé sa secrétaire afin de nous tendre un piège. Si ça se trouve ce keum est plus vicieux qu'on croit, y va nous baiser comme deux bouffons à cause d'elle. A force de vendre du shit et d'en fumer, il devenait parano. Croire que Louise jouait la comédie. Quelle extraordinaire comédienne alors, en vérité. Et pourquoi ferait-elle cela ? Quel intérêt pour elle ? Ce connard de jeune patron n'avait-il pas mieux à faire que d'envoyer sa secrétaire à nos trousses ? Dans quel monde croyait-il que nous vivions ? Je lui dis qu'il était révolu le temps des cow-boys ou celui de la mafia. Fini l'époque de la violence et des règlements de compte. Plutôt que de nous faire espionner, Cyril ira porter plainte à la police. Pas besoin de charger sa secrétaire d'un sale boulot. Et puis on voit bien que c'est pas le genre de fille à faire ça.
Comme je m'étais mis à dresser un portrait flatteur de Louise, de sa franchise, de sa loyauté, Akhim coupa court à tous mes arguments. Putain t'as l'air d'la kiffer grave cette meuf. T'es mordu ou quoi ? Louise est revenue juste à ce moment là.
Akhim ne lui adressa plus le moindre mot. Il m'était difficile de faire croire que rien n'avait changé. Mais que dire ? Il y a des choses auxquelles on pense mais qu'on ne fait pas. Je ne pouvais pas regarder Louise dans les yeux et lui dire qu'Akhim se méfiait d'elle alors que j'étais amoureux d'elle, que tout cela n'était pas contradictoire mais que nous aimerions connaître la vérité. Pourquoi nous avait-elle rejoint ? Pourquoi avait-elle plaqué son boulot pour nous retrouver ?

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