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Roman > Chap4 : Jésus

 

Elle venait d'acheter un appartement dans le 7eme arrondissement. Un investissement qu'elle faisait aussi pour nous après tout, disant que nous serions heureux de l'avoir après sa mort. Ayant les moyens de s'offrir tous les soins qui permettent d'espérer la vie éternelle, elle pouvait parler de sa mort sans aucun problème. Nous devions savoir qu'à son âge, il pouvait lui arriver, du jour au lendemain, n'importe quoi et puis hop ! Adieu notre chère maman. Nous étions censés lui répondre que non, qu'elle était encore jeune, qu'elle nous paraissait toujours en grande forme. Elle admettait alors que sa dernière cure lui avait fait du bien. Au cours du repas, après le champagne et le vin qu'elle avait fait couler pour nos retrouvailles ou l'achat de son appartement, elle ne put s'empêcher d'évoquer les inquiétudes qu'elle nourrissait à mon sujet.
Elle avait pensé que les choses s'arrangeraient avec le départ de Sandra, mais elle voyait bien que c'était encore pire. Elle, elle avait été abandonnée avec deux enfants. Elle n'avait pas baissé les bras pour autant. Bien au contraire. Elle avait su rebondir. Un mot que je déteste. J'ai toujours pensé que nous devrions nous méfier de ces gens qui rebondissent. La partie du rebond que constitue leur ascension s'accompagne en général d'une forte perte de l'affection et de valeurs humaines.
J'aurais pourtant pu réussir dans n'importe quel domaine, disait ma mère, car j'étais un enfant très intelligent. Elle parlait pour moi, pour me forcer à réagir, mais aussi pour Simon, afin de lui dire que je n'étais pas aussi nul que j'en avais l'air, enfin pour elle également, pour redonner vie à un rêve qu'elle voyait s'éloigner. Tous mes professeurs lui avaient toujours dit que je devais faire des grandes études. Elle regrettait de ne pas m'avoir suffisamment pousser après mon bac. D'autres élèves, qui avaient été mes camarades de classe, s'étaient inscrits dans des classes préparatoires à HEC. C'était ce qu'il aurait fallu que je fasse et se fut une grande erreur, de sa part, de me laisser faire autre chose. Elle ne s'en remettrait jamais, surtout si je restais dans cette situation, à ne rien faire de ma vie alors que tout le monde prépare son avenir. Il n'était pas encore trop tard et je devais me ressaisir. Oui, pourquoi je n'arrivais pas à me ressaisir ni à rebondir ? J'avais déjà rejeté sa pharmacie, je la rejetais à nouveau. Son exemple ne m'intéressait pas. Et qu'est-ce que l'ambition ? Faut-il être ambitieux pour être heureux ?
Il m'était difficile de dire si ma mère était heureuse ou pas. A cet instant, elle était assise à l'autre bout de table, juste en face de moi, et cachait son visage dans ses mains. Il m'était également difficile de dire si elle était sincère ou pas, car j'avais l'impression, maintenant, que tout ce cinéma, à commencer par l'ambassade de ma sœur, n'était qu'une vaste mise en scène, une tentative de me remettre sur le droit chemin. J'ai fait ce que j'ai pu, disait alors ma mère en sanglotant, j'ai voulu réussir ma vie pour que Vous, vous soyez heureux.
Claude s'était approché d'elle pour la consoler. Lui, il la comprenait. Sonia me regardait comme si j'étais un monstre ; par ma cruauté et mon égoïsme j'avais tout gâcher. Ma mère, dans les bras de son gendre, disait que j'allais la tuer, qu'une femme comme elle ne méritait certainement pas tout ce que je lui faisais subir. Mais non, dit-il, c'est un gentil fils. Jamais je n'aurais cru que l'on fut capable de tant d'hypocrisie au sein d'une famille.

Porteur d'une immense colère, je m'engouffrais en rageant dans le métro. Après ce déjeuner, j'étais décidé à couper les ponts. Inutile de les revoir. Sachant me passer de Sandra, je pouvais me passer de n'importe qui d'autre. Ma mère, avec sa pharmacie, son argent, et maintenant son appartement dans le 7eme, s'efforçait de paraître une véritable bourgeoise pour laver l'affront que lui avait fait un homme en l'abandonnant. Sa vie se résumait à une quête de la respectabilité ou, du moins, de la réussite. C'était sa manière, à elle, de se venger du sort qui, au début, lui avait été défavorable en lui faisant rencontrer mon père. Elle était parfaite et, mis à part son mariage, ne faisait jamais la moindre erreur. Il était impossible de lui reprocher quoi que se soit. Ma sœur et son mari étaient en admiration devant elle. Mais je crois que c'était aussi un peu par intérêt. Ils entraient parfaitement dans le moule et ne cherchaient qu'à suivre son exemple de réussite. J'imaginais qu'ils mettraient bientôt en route l'appareil reproducteur que représente le ventre de Sonia. Ce cher Claude, en bon jardinier, pressé de faire une récolte qu'il imagine à l'image de ce qu'il aurait tant voulu être, devait s'empresser, chaque fois que possible, d'accomplir son devoir conjugal en y semant la fameuse petite graine. Attention au résultat avais-je envie de lui dire, on est parfois très surpris, tu pourrais avoir un fils qui me ressemble.

Sur le quai du métro, à la station Châtelet, un homme me donna un grand coup sur l'épaule qui me fit sursauter. Son visage me disait vaguement quelque chose. Alors, petit, tu me reconnais pas ? Tu m'as déjà oublié ou quoi ? C'était Jésus, le serveur du "Non-Stop Café".

Durant mon année de terminal, nous étions toute une bande de lycéens à sécher les cours pour nous retrouver dans ce bar. Jésus y travaillait tous les jours même les week-ends. Nous commandions un café, car c'était la boisson la moins cher, et nous mettions plusieurs heures à le boire ainsi que les verres d'eau gratuits qui l'accompagnaient. Malgré cela, Jésus était toujours heureux de voir notre petite bande de jeune débarquer et nous nous sentions souvent mieux avec lui qu'en classe avec un professeur. Le patron était un con, qui se tenait toujours derrière sa caisse, et nous jetait des regards sévères car nous étions dans l'incapacité d'en faire sonner le tiroir. Il n'ouvrait jamais la bouche. Jésus nous disait, C'est un vrai radin, ou bien, S'il rit, c'est qu'il a mal quelque part et nous rigolions. Un jour, il s'en était pris à l'un d'entre nous, l'attrapant par le collet pour le mettre à la porte de son établissement. Damien n'avait fait que lui demander s'il était possible qu'il lui accorde un petit crédit. Cette histoire aurait du nous mettre la puce à l'oreille. Nous n'osions imaginer le pire et pourtant il se produisit. Quelques semaines plus tard, venant prendre notre café pour cinq et nos verres d'eau, nous ne trouvâmes pas notre serveur favori. Le patron avait viré Jésus car la clientèle qu'il attirait ne correspondait plus au standing de son établissement. Nous étions jeunes et donc prompts à nous élever contre l'injustice. Nous avions décidé de boycotter le "Non-Stop Café", nous allions voir tous les élèves de notre établissement, même ceux qui n'y mettaient jamais les pieds, pour leur dire de ne plus aller dans ce bar. Cette idée nous avait été inspirée par un autre élève, dont j'ai appris qu'il faisait maintenant carrière à la CGT. Nous pensions que, privé de notre clientèle, le patron ne tarderait pas à mettre la clé sous la porte. Seulement, après quelques jours, d'autres clients nous avaient remplacés et, Ô miracle, on vit l'austère tenancier sourire derrière sa caisse et, plus fort que tout, donner son opinion sur des chevaux de course à Longchamp ou sur des matchs de la coupe d'Europe de football.

Depuis cette fameuse affaire, qui se trouvait être ma plus sérieuse et plus mauvaise tentative de lutte contre l'injustice, je ne pensais plus à Jésus. Il faisait parti d'une époque révolue de ma vie, dont tous les principaux acteurs avaient disparus. Je ne m'attendais absolument pas à le revoir, ni ce jour-là ni aucun autre, et, s'il ne m'avait pas reconnu en premier, je serais passé devant lui sans m'en rendre compte. Pourtant, il n'avait que peu changé. Toujours la même moustache, toujours le même sourire, qui semblait celui d'un enfant avec des vilaines dents, toujours ses yeux très clairs et ses beaux cheveux noirs, qu'il continuait, apparemment, à bien soigner. Il me fit une accolade fort sympathique, en plein milieu d'une foule de gens pressés qui, bizarrement, bien que nous fussions sur leur passage, ne nous bousculèrent pas. Il était heureux de me retrouver par hasard bien que, comme il me l'affirma un peu plus tard au cours de la conversation, il pensait qu'il n'y a jamais de hasard. Il me donna des grandes tapes sur l'épaule, ce dont j'ai horreur, en répétant, Alors là, si je m'attendais, ça pour une surprise ! C'est incroyable ! Lorsqu'il se remit de ses émotions, il me proposa de boire un verre et, sans me donner le temps de répondre, il me mena à l'un de ses comptoirs que l'on trouve dans toutes les grandes gares parisiennes, où les vrais alcooliques descendent des demis, dès 7h00 du matin, en attendant leur train. Il en était le gérant. Il m'expliqua qu'il avait également la gérance d'autres établissements de ce type à Gare de Lyon et à Montparnasse. Il me présenta sa carte de visite. Les affaires marchaient plutôt bien pour lui et je l'en félicitais à maintes reprises au cours de son monologue-conversation. Lorsqu'il me dit, Et toi alors ? Raconte un peu ce que tu deviens, je décidais de lui peindre un tableau réaliste de ma situation plutôt que lui mentir. Il m'écouta comme un docteur écoute un patient qui lui dit qu'il a mal, l'air de dire que tout ça n'est pas bien grave. Fier de la boîte de coursier pour laquelle il avait travaillé pendant 2 ans, il me recommanda vivement de prendre contact avec son ancien patron. Je m'étonnais qu'il ait commis cette infidélité à sa carrière de bistrotier. Mais là, c'était exceptionnel, me dit-il, le patron était un gars tellement sympa, qu'on éprouvait du plaisir à travailler pour lui. C'était, d'après Jésus, un jeune, presque de mon âge, vraiment génial, qui avait été pour lui à la fois un copain et un patron, à moins que ce ne fut l'inverse : un patron ensuite un copain. Il pensait que j'allais bien m'entendre avec lui, il en était même certain. Alors, je pris ses coordonnées et me dis qu'enfin j'allais pouvoir cesser d'acheter le Figaro chaque semaine.

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