La télé ne nous montre qu'une seule face des choses
mais elle nous montre beaucoup. Des images qui sont le monde, le
monde qui devient une image. Sandra et moi avions vus, presque en
direct, des étudiants se faire massacrer sur la place Tienanmen,
en Chine, la chute du mur, à Berlin, l'exécution d'un
dictateur et sa femme en Roumanie, puis une guerre contre l'Irak
dans le Golfe. Nous avons suivi aussi le triste sort de quelques
soldats français dans l'ex-Yougoslavie mais ce n'était
pas en direct. Il se passait beaucoup de chose dans le monde que
nous ne pouvions comprendre. Je laissais ma télévision
allumée malgré tout. Sandra n'aimait pas les informations
mais elle ne disait pas comme moi : quelles conneries ! Elle n'en
pensait rien de mal. Simplement ça ne l'intéressait
pas. Elle était la preuve que l'on peut vivre sans être
informé mais je n'y croyais pas encore. Je voulais connaître
l'actualité. Les petites hausses du SMIC et les baisses d'impôt,
les dernières décisions des ministres et les petits
commentaires de l'opposition, la dernière rencontre entre
Israéliens et Palestiniens pour aboutir à un accord
de paix ou le nouvel attentat sanglant, le dernier voyage du pape,
la nouvelle dévaluation de la monnaie au Brésil, mais
surtout les résultats du championnat de France de football
et les matchs de l'OM. Lorsque Bernard Tapie sombra, le club sombra
avec lui. Des nombreuses irrégularités dans les affaires
de cet homme couvert de gloire européenne, furent mises à
jour, en plus de la corruption du joueur d'un club adverse. Comme
nous assistions à une sorte de grand nettoyage – excès
de zèle de la part des juges ? Avaient-ils, eux aussi, envie
d'être vu à la télévision ? - il n'était
pas le seul à qui le pouvoir judiciaire demandait de rendre
des comptes. D'autres hommes d'affaires ou hommes politiques, beaucoup
ne faisaient justement plus la distinction, l'ont suivi ou précédé
en prison. Sitôt sortis, la télé nous les montrait
à nouveau, comme s'ils pouvaient reprendre leurs activités
en toutes quiétudes. Etions-nous satisfait ? Nous les regardions,
les pauvres. Ils pleuraient dans nos écrans, alors que nous
étions à table, tout en affirmant leur désir
de retrouver les fonctions qu'ils occupaient avant de choir. Par
certains côté, entre la soupe et le dessert, grâce
à ces hommes malhonnêtes mais respectueux, la télé
nous donnait le sentiment que la justice était d'une grande
injustice. Du coup, Akhim, moi, ses amis, d'autres jeunes qui cherchaient
encore ce qu'ils pourraient faire de leurs vies, comprenions que
ce mot n'avait plus aucun sens.
Avec Sandra je regardais souvent Canal +, en clair, lorsque je
n'avais pas encore de décodeur pirate, puis à n'importe
quelle heure du jour ou de la nuit. Nous regardions, sur cette chaîne,
toute une série de nouveaux animateurs et animatrices, des
jeunes qui ressemblaient à d'autres jeunes, c'est à
dire à elle, à moi. La télé nous disait
que n'importe qui, avec une gueule un peu sympa, pouvait faire de
la télé. C'est pourquoi, cette chaîne ne nous
fit pas seulement fantasmer avec un film porno chaque mois mais,
déjà, elle posait les bases du futur succès
du Loft de M6. Et Louise, la belle Louise, m'avoua qu'elle rêvait
d'y être, derrière le petit écran. Elle voulait
être connue et reconnue, aimée et célébrée.
Les princes et les princesses, de nos jours, sont les gens qui passent
à télé, c'est ça qui fait rêver.
Elle me dit tout ça. Du coup, le soir, lorsque nous nous
étions fatigué de faire l'amour puis de faire connaissance,
j'avais allumé la télé pour que nous puissions
nous épanouir devant des pubs et des programmes stupides
dans lesquels un jour, peut-être, si elle avait de la chance,
Louise figurerait.
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Ce soir-là Akhim sonna à ma porte.
Après lui avoir ouvert, je m'étais empressé
de retrouver ma place près de Louise, sur le canapé.
Elle et moi ressemblions presque à un vrai couple et notre
attitude de dévotion amoureuse devant le petit écran,
réclamait une quelconque sanctification. Mais, sa conception
de la femme étant fortement marquée par sa religion,
(il avait ouvert le Coran pour savoir ce qu'est une femme et aussi
à quoi elle sert et, quand elle n'entrait pas dans les cases
mère, sœur ou épouse, c'était une pute
en puissance) Akhim ne pouvait nous la donner. Ayant couché
avec moi quelques heures après notre rencontre, Louise ne
pouvait être qu'une pute. Et je regardais la télé
avec elle au lieu de la jeter ! Scandalisé, comme seul un
croyant peut l'être, il faillit partir mais finalement il
posa son cul sur un siège. Je faisais une dégringolade
terrible dans son estime. Pour remonter tous les paliers desquels
j'avais chutés, il aurait fallu que j'humilie Louise devant
lui. Il attendait, sans doute avec un espoir, mais cette idée
ne m'effleura jamais l'esprit. Antoine de Caunes, déguisé
en rocker, avec une banane, un œil au beurre noir et quelques
dents en moins, faisait son numéro à la télé.
Il jouait la provoc et l'invité américain ne savait
trop s'il devait lui répondre ou l'écouter sans réagir.
Louise fixait l'écran en souriant quelquefois des pitreries
de l'animateur. Elle ne prêtait aucune attention à
Akhim. Il était en proie à une colère silencieuse,
dégoûté, mais incrédule aussi, et finalement,
un peu gêné car il avait réellement honte pour
moi.
Pour détendre l'atmosphère, je décidai alors
de rouler un joint. Akhim, en bon professionnel, ne pu s'empêcher
de se saisir du morceau de shit pour l'examiner. Il fut rassuré
de voir qu'il provenait de chez lui et il le reposa sur la table
en disant qu'il en avait un meilleur encore, si je voulais goûter.
J'aimais bien celui-là. Une fois que nous l'aurions fumé,
je savais que les images de la télé seraient plus
sympathiques à regarder et que j'aurais à nouveau
très envie de Louise. Nous avons fumé en nous passant
le joint. Contrairement à son habitude, Akhim ne s'attarda
pas dessus.
Louise et moi n'avions rien mangé de la journée tellement
nous nous étions occupés de baiser. Je réalisais
que j'avais faim et j'allais faire une prospection dans la cuisine.
Il y avait des pâtes et une boîte de sauce tomate mais
je ne trouvais pas de fromage dans le frigo. Je faillis descendre
chez l'Arabe qui me faisait crédit pour en acheter. J'y renonçais.
Je vérifiais sur la boîte, à cause d'Akhim,
qu'il n'y avait pas de morceau de porc dans la sauce. Lorsque je
revins dans le salon, pour leur demander s'ils avaient également
faim, je les trouvais occupés. Louise lui avait acheté
quelques grammes de coke. Je vis des petites lignes blanches, sur
la table, disparaître dans ses narines et il me fut impossible
de retenir ma colère.
Qu'ai-je fais ? Qu'ai-je dis ? Je ne m'en souviens plus. J'entends
encore sa voix, si haute, si tranchante, qui me déchirait
le corps. Mais qu'est-ce qui t'arrive, ça ne va pas ou quoi
? Non ça n'allait pas du tout. Il était hors de question
de faire ça chez moi. Mais ça quoi ? Akhim, comprenant
qu'il était allé trop loin, voulait rendre à
Louise son argent. Elle refusa, toujours en me regardant droit dans
les yeux. Mais pour qui tu te prends ? C'est pas parce que tu m'as
baisée que tu as tous les droits sur moi ! Elle pris ses
affaires et claqua la porte derrière elle en disparaissant.
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