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Roman > Chap9 : Jésus m'aide à retrouver Louise

 

Elle était partie, de manière définitive, sans rien laisser derrière elle. Et je n'avais ni son adresse ni son numéro de téléphone. Après un long silence, durant lequel ni lui ni moi ne savions comment réagir, Akhim avait dit, Bon débarras ! Des meufs comme elle, y en a plein partout. T'en choperas d'autres. Il semblait satisfait et, pour lui, l'affaire était close. Elle n'était plus qu'un souvenir. Je sus très vite qu'il se trompait. Louise ne pouvait disparaître de cette manière de ma vie. Je devais la revoir. Le lendemain, J'eus l'idée de reprendre contact avec Jésus, dont j'avais gardé la carte de visite. Peut-être l'avait-il connu Louise lorsqu'il travaillait chez Cyril. Si tel était le cas, j'espérais qu'il pourrait m'aider à la retrouver.
Malgré de nombreuse tentative, je ne réussis pas à le joindre. J’ai laissé plusieurs messages sur son répondeur avant qu’il ne me rappelle le soir en me demandant, Alors ? Y t'a embauché ?
- Non, ça n'a pas marché.
Silence à l'autre bout du fil. Grande déception puis : Je comprends pas, y t'as pas pris ? Comment ça se fait ?
Je ne savais pas quoi lui dire. J'avais peur de lui infliger un coup trop dur en lui faisant perdre toutes ses illusions sur ce patron qu’il considérait tant. Il voulait absolument savoir pourquoi Cyril ne m'avait pas embauché. Il insista. Ne pouvant plus faire autrement, je lui racontai en détail l'accueil de Cyril, la manière dont il m'avait traité et l'intervention d'Akhim. Je lui racontai également la discussion que nous avions eue dans le café avec Louise. Mais j'évitais de lui dire qu'elle avait passé deux jours dans mon lit. Pour finir, je lui dis très simplement que son ancien patron n'était qu'un sale connard.
C'est vrai, dit-il, il est un peu frimeur. Puis il me demanda, Tu cherches à revoir cette fille ? Je lui avouai que j'en avais très envie. Je vois qui c'est, mais je la connaissais pas vraiment. Elle est arrivée chez Cyril juste avant que je parte. Je peux peut-être t'avoir son numéro ou son adresse, mais y faut me donner un peu de temps pour que je me renseigne. Je n'ai pas cherché à lui cacher à quel point cela me ferait plaisir. Alors il m'a dit, Dans ce cas, c'est pas très cool de lui avoir fait perdre son boulot

Deux ou trois jours passèrent pendant lesquels je pensais sans arrêt à Louise. J'avais arpenté la rue Amelot, de long en large, à différents moments de la journée, espérant tomber par hasard (puisque le hasard peut parfois bien faire les choses) sur elle. Cela ne se produisit jamais. Heureusement, Jésus m'avait rappelé pour m'annoncer la bonne nouvelle. Il proposait de me donner les coordonnées de Louise le lendemain soir, à 21H00, dans un bar qui s'appelle La Croisette. Mais c'est pas à Cannes crut-il utile ou drôle de préciser. Je connaissais ce bar. Louise y serait-elle ? Jésus refusa de m'en dire davantage. Il revint sur l'incident que nous avions eu avec Cyril. Il me dit qu'en échange du numéro de Louise, il attendait quelque chose de ma part. Je promis tout ce qu'il voudrait. Alors il me demanda de convaincre Akhim de présenter des excuses à Cyril. Il m'apprit qu'il avait arrangé les choses avec son ancien patron. Ce dernier était prêt à ne pas porter plainte contre nous si nous lui présentions des excuses. Cela ne faisait absolument pas parti des habitudes d'Akhim qui, je le savais, lui aurait répondu : Tu veux qu'on baisse nos frocs devant cet enculé ? T'es ouf ou quoi ? Mais je promis quand même pour revoir Louise.

Après avoir raccroché, je me mis à la recherche de mon dealer préféré dans Belleville. Depuis que Louise avait claqué ma porte, je ne l'avais pas revu. J'avais une chance de le trouver sur la petite place, en bas du parc de Belleville où, au pire, ses copains, qui y passent leurs journées, me renseigneraient.
C'est effectivement ce qui se produisit. Il est tipar, me fit un jeune au crâne rasé portant chaîne en or et survêtement Nike sur chaussures Adidas. En général, ces jeunes font économie de parole lorsqu'ils s'adressent à des personnes étrangères à leur bande, mais, grâce à Akhim, j'étais suffisamment connu d'eux pour qu'ils daignent m'en dire un peu plus. Mon ami était allé voir un gars, à Saint-Denis, et il allait revenir, peut-être dans la soirée, mais ce n'était pas sûr. Ne me restait plus qu'à les remercier, au moins pour leur montrer que cela était encore d'usage.
Voulant profiter plus longtemps de cette petite ballade, je fis un détour pour rentrer chez moi. Présenter des excuses à un homme tel que Cyril était absolument indigne d'Akhim. C'était à cause de moi qu'il s'était battu. Moi seul devait arranger les choses ou en subir les conséquences. Ne valait-il pas mieux ne rien demander à mon ami ? Dans ce cas, ne pas tenir parole vis-à-vis de Jésus ? Je me demandais si j'étais un homme d'honneur et de parole. Cyril, à coup sûr ne l'était pas. Jésus l'était, Akhim également. La connaissance du mot dilemme pourrait vous permettre de savourer le caractère cornélien de la situation à laquelle je devais faire face. Les vrais dilemmes ne sont pas vécus tous les jours. D'un côté l'honneur, de l'autre l'amitié. Je me sentais bêtement grand, comme les héros de tragédie, mais aussi dans la merde et ça, c'était la réalité. Je pris une décision : celle de tout mettre en oeuvre afin d'obtenir d'Akhim qu'il s'excusa auprès de Cyril. Tout en marchant, j'essayais de trouver un plan pour aboutir à mes fins. Il me fallait de très bons arguments pour le convaincre. Le fait que Cyril ne porte pas plainte pouvait en être un.
En traversant le boulevard de Belleville, cet argument me parut assez mince et il ne fut plus du moindre poids dans la rue du faubourg du temple, à moins, me dis-je, qu'Akhim ait peur de la police.
Ses copains qui traînent et, sans que ce soit péjoratif, finissent pas se désigner comme de la racaille (terme qui désigne, au sens figuré, des choses sans valeur, mais le savent-ils ?), lui avaient transmis le message suivant : Y'a ton pote du 10 qui t'cherche. A peine arrivé chez moi, Akhim se mit à rouler un joint. Du shit marocain. Il l'avait obtenu directement chez l'importateur, à La Courneuve finalement.

La fumée du joint s'élevait jusqu'au plafond. Je l'appréciais. Il était fort mais se laissait fumer tout en douceur. Ses effets furent presque immédiats. Une grande torpeur m'envahit et je souris, fatigué de moi, de mes illusions et de mes efforts pour influer sur les événements de mon existence. Mais cette lassitude n'était pas désagréable. Putain, j'en connais qui vont kiffer grave avec ace, affirma Akhim à sa troisième bouffée. Je tentais de lui parler de Louise. Il n'avait pas changé d'avis à son sujet : c'était une pute. Je répondis qu'elle était vachement cool en réalité. Je voulais lui parler de Cyril aussi, lui expliquer ce que Jésus m'avait demandé et pourquoi je voulais qu'il le fasse, mais je n'y parvins pas. C'est lui qui se mit à me raconter une petite histoire.

Certains jeunes, avec lesquels il avait fait un peu de business, où qu'il avait connus, ont gagné plein de thunes, me disait-il. Ils se sont acheté des belles voitures. Ils ont tourné dans le quartier au volant de bolides qu'ils avaient payés en espèces tout en ne sachant quoi faire. Quelquefois, ils faisaient monter des filles et les emmenaient faire un tour. Ils finissaient par les baiser sur un parking et revenaient, tout fier de s'être vider les couilles, s'en vanter auprès de leurs potes. Comme c'était toujours les mêmes filles, qu'ils connaissaient depuis fort longtemps, ça devenait trop monotone. Il leur en fallait des nouvelles. Ils sont partis les chercher ailleurs. Ils sont tombés sur des jeunes droguées, futures prostitués qu'ils ont aidé à mettre un pied dans l'étrier. Dés qu'une fille leur rapportait de l'argent, ils gonflaient encore plus leurs torses. L'une d'entre elle en a eut assez de donner tout son fric à un jeune frimeur, elle s'est embrouillée avec lui pour une histoire bizarre. Elle est allée voir un autre gars, un vrai pro celui-là, soi-disant pour lui acheter son indépendance. Le gars ne rigolait pas. Il a pris des flingues et quelques potes et ils ont fait une descente dans le quartier. Rien que pour faire peur et montrer qui ils étaient. Mais les potes d'Akhim ne se sont pas dégonflés. Celui qui était avec la fille, celle qui voulait être indépendante, a dit qu'il n'était pas question qu'il baisse son froc devant n'importe qui. Il a battu la fille à mort, puis il s'est trouvé un flingue et il se baladait toujours avec. Il l'a fait pendant 3 jours, le quatrième il s'est fait avoir. Ils l'ont buté. Le pire dans cette histoire, c'est qu'il aimait vraiment cette pouffiasse, le gars qu'est mort. Et elle, elle l'adorait. Après sa mort, elle s'est fait un dernier shoot. Le genre sans retour. On l'a retrouvée morte d'une overdose. Les autres, c'est pareil, ils font confiance à des meufs, veulent faire du fric avec elles et puis ça foire. Ils sont tous morts ou en taule. C'est comme ça que ça se passe. Akhim le sait très bien. Combien en a-t-il connu qui ont mal fini à cause d'une jolie fille ? Un nombre incroyable. C'est pourquoi, lui, il ne veut ni faire étalage de son fric ni se mettre avec une gonzesse. Son but n'est pas de frimer comme les autres imbéciles, ni de tomber raide dingue d'une salope.

Il avait raison d'être prudent, mais ce qui aurait été encore plus judicieux de sa part, c'est qu'il cessa complètement ses activités alors qu'il était encore temps et qu'il devienne honnête. Ce mot l'a fait rire. Mais qui est honnête ? M'a-t-il demandé, l'autre pédé de Cyril, tu crois qu'il est honnête ? On peut pas gagner du fric en étant honnête. Même les hommes politique, tu vois bien qu'ils magouillent.
Effectivement, je n'avais peut-être pas employé le mot qu'il fallait. C'était trop bête. Quels exemples pouvais-je lui donner ? Quels arguments ? Je ne savais plus. Je pensais à Louise. Mais cette fille ne nous a pas racontés de conneries, lui dis-je, tu peux me faire confiance. De suite, je me rendis compte que je venais de prononcer un autre mot malheureux. Akhim a braqué sur moi son regard noir. Toi, tu me parles de confiance ? J'ai qu'un conseil à te donner quoi : méfies toi de cette meuf. Ensuite il a soufflé. La fumée, en sortant de sa bouche, a formé un petit nuage au-dessus de nos têtes. Il m'a passé le joint. J'ai pris une bouffée. Je n'avais plus les idées très claires. Il s'est levé, moi, dans mon état, je n'aurais pu le faire ; le shit marocain m'avait cloué au canapé. Je l'ai entendu, dans la cuisine, se servir un verre d'eau. Il est revenu dans le salon. C'est alors que je lui ai demandé s'il croyait aux rêves prémonitoires. C'est quoi ce truc ? Je lui ai expliqué. Des rêves que l'on fait et qui se réalisent. Et j'ai menti. Je lui ai dit que j'en avais fait un qui le concernait. Comme prévus, il fut curieux de l'entendre.

J'avais rêvé, lui dis-je, qu'il avait quitté le quartier. L'arrivée de gens suspects (qui se sont avérés être des flics en civil) lui avait fait comprendre qu'il devait se mettre au vert. Il était parti sans laisser d'adresse, abandonnant tous ses clients, des pauvres camés, à leur pauvre sort. J'en croisais quelques-uns qui traînaient. Certains me demandaient si j'avais des nouvelles. Je leur répondais toujours de la même manière. Je ne savais pas où il était ni quand il reviendrait. Les plus optimistes se disaient qu'il était parti prendre livraison et étaient persuadés que leur dealer favori reviendrait avec une quantité incroyable de came. Une poudre vachement bonne et cool pour eux. Ils étaient comme des gosses : ils attendaient le Père Noël. Le temps passait et ils réussissaient à faire naître une vraie rumeur, si bien que les flics, déjà sur la piste de Akhim, avaient la conviction d'avoir ferrer un très gros poisson. On pensait qu'il allait inonder Belleville de stupéfiant. Tous les camés l'attendaient maintenant comme le Messie. Les flics devenaient de plus en plus nerveux à mesure que la rumeur de son retour s'amplifiait. D'autres dealers, doublement malhonnêtes, vendaient déjà la fameuse came qu'il était censé ramener. Ils faisaient monter les prix en disant que c'était elle, qu'elle était enfin arrivée. Des gars, après s'être shootés, l'avaient trouvée tellement bonne, qu'ils s'étaient persuadés de l'avoir acheté à Akhim lui-même. Ils l'avaient vu, ils y avaient goûté : c'était de la balle. Akhim était un Dieu. Toutes les polices de France étaient à ses trousses.

Akhim m'avait écouté attentivement et lorsque j'eus fini de lui raconter ce rêve, il me demanda de revenir sur certains détails. Il voulait surtout savoir comment, dans mon putain de rêve, les flics réussissaient à le choper. Il me disait, Réfléchis bien quoi, ils ont fini par m'avoir, vraiment ?

J'avais réussi à éveiller en lui quelques inquiétudes. C'était la première partie de mon plan. Je comptais ensuite le persuader de se tenir à carreau et, enfin, dans la dernière partie du plan, lui faire comprendre qu'il avait intérêt à éviter que Cyril ne porte plainte. C'est seulement alors que je comptais lui parler de la proposition de Jésus. Nous nous excusons et Cyril ne porte pas plainte. D'ici quelques jours, je pensais qu'il serait mûr pour accepter ce marché. Si ça se trouve, je flippe pour rien, dit-il en se levant pour s'en aller, les rêves ne se réalisent pas toujours quoi. Il se trompait. Rien n'était plus réel que mon rêve prémonitoire, fruit de mon imagination fertile. J'ai tendu la main, elle a claqué contre la sienne puis j'ai serré le poing et nos mains se sont à nouveau rencontrées, poing contre poing..

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