Chapitre 10 :
Je me décourage
A mesure que nous nous éloignions de l'entreprise de Cyril, je me sentais profondément désespéré. J'étais au chômage depuis six mois et je n'avais plus aucune idée d'un travail que j'aurai pu trouver. Les chefs ou les petits patrons comme Cyril étaient à exclure de mon monde et je regrettais de ne pas avoir eu assez de cran pour le corriger comme l'avait fait Akhim. Moi seul aurait dû régler son compte à ce jeune prétentieux. Mais j'étais encore trop bien intégré à un système qui exclu ce genre de réaction. Je me laissais humilié par ceux qui pouvaient me donner du travail. Ils ont le bon rôle parce qu'étant chômeur on n'a pas le choix. On se présente à eux avec l'espoir de sortir d'une situation qui nous pèse et menace de faire de nous des exclus. C'est la grande peur de notre époque et ils en font l'instrument de leur domination. Je doutais, dans ces conditions, que l'égalité des hommes soit une réalité du monde du travail et je ne pouvais accepter mon manque de réaction lorsque Cyril avait tenté de me rabaisser. Akhim, lui, avec son tempérament de voyou, ne s'était posé aucune question. Il s'était jeté sur Cyril sans aucun égard pour sa position et lui avait infligé la correction qu'il méritait. Il avait fait ça pour moi. Je lui en étais reconnaissant mais j'étais également en proie à un grand sentiment de colère. Une colère que je sentais bouillonner en moi contre le monde entier. Il m'aurait fallu tout casser et mettre le feu à la terre entière pour m'en débarrasser. Je restais silencieux. Même ma reconnaissance pour Akhim se serait transformée en expression de ma colère si j'avais ouvert la bouche. Tout en marchant, je serrais les poings dans mes poches tandis qu'il vérifiait le bon état de ses membres. Sa main droite lui causait quelques soucis. Putain, j'me suis niqué le poignet sur ce salaud, dit-il. Moi, il me semblait que ma vie entière avait été niquée au contact de ce salaud. Que faire maintenant ? Devenir, comme Akhim, un petit trafiquant ? Rendre service à tous ces fumeurs de shit et gagner par la même occasion ma vie ? Non, je savais que je n'étais pas fait pour ça. Ce métier ne s'improvise pas. Il faut avoir le sens des affaires et celui des magouilles pour le faire. Moi, je ne suis pas assez doué. Je vois Akhim travailler, je le vois préparer ses rendez-vous avec ses fournisseurs. Je le vois chercher des planques pour sa came, je le vois aussi couper puis peser le shit pour en faire des petites barrettes ou des grosses tablettes. Je le vois préparer les commandes des habitués puis leur fixer rendez-vous. Untel sera toujours bien servi, et du shit de qualité en plus, parce que c'est un vrai connaisseur. Celui-là tu peux lui faire fumer n'importe quoi. Akhim connaît bien ses clients. Il aime les satisfaire. C'est comme ça qu'tu fais marcher le commerce, m'a-t-il expliqué, y'a pas d'autre moyen. S'il est content, le client revient toujours vers toi. Il se verrait bien à la tête d'une petite entreprise mais, pour le moment, c'est interdit tout ça. Alors, je pense qu'il a plus de chance de finir en taule que dans un conseil d'administration. J'ai été tenté, à maintes reprises de lui faire la morale. Je m'apercevais alors à quel j'étais stupide. L'argent mène ce monde et le sens morale n'est absolument pas compatible avec celui des affaires. Faire l'éloge de tout ce que l'argent peut nous procurer et donner en même temps aux jeunes le goût du travail payé une misère... Il n'y que les hommes politiques de droite pour vendre cette idée et leurs électeurs pour y croire. Comment donner tort à Akhim, de gagner du fric par le meilleur moyen à sa disposition ? Rien, finalement, ne nous garantie une place dans la société, surtout pas le fait d'être honnête.
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