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Chapitre 11 : Un petit peu d'espoir

J'avais décidé de chercher du travail et pour tout résultat j'étais arrivé à croire davantage au choix d'un ami dealer qu'à ma possible intégration dans la société. Je marchais en regardant mes pieds, sans me soucier du moindre passant. Je n'avais absolument aucune raison de lever la tête pour essayer de voir, devant moi, ce que l'avenir me réservait. Mais quelqu'un s'est mit à crier derrière nous. HE ATTENDEZ ! OH, VOUS DEUX LA ! ATTENDEZ ! C'était la secrétaire de Cyril. Elle cherchait à nous rejoindre. J'ai pensé, non sans ironie, qu'avons-nous oublié ? De laisser nos CV, nos références ou nos cartes de visites ? Akhim s'est également étonné, Qu'est-ce qu'elle nous veut là-celle ? Elle ne tarda pas à être à notre hauteur. Il m'a viré, nous annonçât-elle essoufflée. Et elle plaqua sa main droite contre sa poitrine, sans doute pour stopper des mouvements qu'elle jugeait intempestifs en notre présence. Akhim (il portait sur la joue et sur le cou des marques de griffures qui ne pouvaient provenir que d'elle) lui répondit que nous n'en avions rien à foutre. Elle resta silencieuse. Stupéfaite. Son regard fit quelques rapides aller-retour entre Akhim et moi. Puis elle haussa les épaules, fit un petit sourire navré et un pas en arrière avant de se retourner. Visiblement, elle espérait un autre accueil de notre part. Voyant sa déception je me sentis coupable. Ne trouvant quoi dire, je réagis comme je pouvais en lui demandant, avant qu'elle ne soit trop loin, Comment tu t'appelles ? Elle s'arrêta. Après avoir marqué une petite pause sur le trottoir, elle se retourna à nouveau. Louise, dit-elle. Et elle effaça en quelques mouvements la distance qui nous séparait. Sa main, dont j’avais longuement admiré la finesse lorsqu’elle tapait sur un clavier d'ordinateur s’offrit à la mienne. Je fus heureux de m'en saisir. Elle me sourit. Nous nous fixions bêtement. Bon, et alors ? C'est cool, mais on va pas rester ici comme des cons, quoi, nous rappela Akhim. On fait quoi maintenant ? De l'autre côté de la rue, il y avait un bar. Nous pouvions voir, à travers les grandes vitres, clairsemées d'autocollants à la gloire du pastis et d'équipes de football professionnelles, des jeunes attablés, absolument tranquilles et détendus. La vie, pour eux, semblait valoir la peine d'être vécue. Je proposais d'y prendre un verre pour faire davantage connaissance avec cette nouvelle chômeuse. Je voulais surtout m'assurer que nous n'étions pour rien dans la perte de son travail.
Nous avons pris place au fond de la salle. Louise ne semblait pas trop affectée par la perte de son travail. J'attendais une bonne occasion pour partir et c'est vous qui me l'avez donnée, nous confia-t-elle. Un serveur vint prendre notre commande. Il l'interrompit alors que nous attendions une suite importante. Nous étions accrochés à ses lèvres tandis qu'elle hésitait, ne sachant quoi prendre, un jus de fruit, un coca ou un café ? Le café risquait de l'énerver car elle n'avait cessé d'en boire durant toute la matinée. Un déca alors, proposa le serveur. Non, un jus d'orange. Akhim se demanda d'où sortait ce serveur qui, au lieu de proposer la boisson la plus chère, propose la moins chère. Quel gros naze ce mec, dit-il, y sait pas faire marcher le commerce. Je proposais de revenir à Louise. Je voulais savoir pourquoi elle avait tellement tenu à nous rejoindre et pourquoi elle avait attendu que son patron se fasse agresser pour le quitter. Elle-même ne savait pas pourquoi elle avait couru derrière nous. Elle n'y avait pas trop réfléchit, elle l'avait fait, c'était tout. A propos de Cyril, elle nous raconta, Quand vous êtes parti, il a commencé à m'engueuler, alors j'en ai eu marre, je lui ai dit qu'il avait bien mérité de se faire casser la gueule. Il m'a traité de salope et je me suis énervée. Tout ce que j'avais sur le cœur contre lui est sorti à ce moment-là, comme ça, sans que je m'y attende. C'était vraiment génial, je me sens vachement mieux à présent. Et elle souffla. Vous n'avez pas une clope ? Nous la trouvions effectivement mieux. Elle buvait son jus d'orange à grande gorgée et nous offrait un grand sourire, chaque fois qu'elle reposait son verre avant de tirer une bouffée de la cigarette que je lui avais offerte. Elle nous souriait avec une certaine reconnaissance comme si, vraiment, nous étions arrivés à point. Putain quel enfer, dit-elle, franchement quand j'y repense… Elle ne mâcha plus ses mots pour parler de son ex-patron et nous pûmes effectivement croire que quelque chose s'était enfin libérée en elle.
Akhim était fier de cette libération car, pour lui, le travail n'a jamais été un moyen de s'enrichir, surtout s'il est pénible. Moi, je la trouvais géniale, mais je me demandais si, le lendemain, elle ne regretterait pas son geste et ne nous en voudrait pas d'avoir fait d'elle une chômeuse. Comme si elle avait deviné mes pensées, elle me rassura encore une fois. Ce n'était pas seulement cette bagarre qui l'avait décidée à s'en aller. J'en avais plus qu'assez de faire la conne dans cette boîte. C'est vrai quoi, ça faisait presque deux ans que j'y étais, vous vous rendez compte deux ans c'est quoi ?
Je calculais que c'était le temps qu'il m'avait fallu pour commencer à oublier Sandra.

Après vingt minutes d’une discussion complice et agréable, une chose étrange se produisit. Akhim changea complètement d'attitude. Il se mit à regarder Louise d'un œil soupçonneux et fit son possible pour refroidir l'ambiance chaleureuse qui s'était instaurée entre nous. Lorsque je parlais, je recevais des coups de pieds sous la table. Certains de ses coups étaient si violents que je ne parvenais qu'in extremis à ne pas crier. Quand Louise se leva et dit qu'elle devait faire un tour aux toilettes, j'eus enfin une explication de sa part. Cette meuf est chelou, me dit-il, d'abord elle gueule parce que je cogne son patron et, juste après, elle nous court derrière pour faire style vous êtes mes potes. Il avait eu une révélation. Il pensait que le jeune patron à qui il venait d'infliger une bonne correction nous avait envoyé sa secrétaire afin de nous tendre un piège. Si ça se trouve, ce keum est plus vicieux qu'on croit, y va nous baiser comme deux bouffons à cause d'elle. A force de vendre du shit et d'en fumer, il devenait parano. Croire que Louise jouait la comédie. Quelle extraordinaire comédienne alors. Et pourquoi ferait-elle cela ? Quel intérêt pour elle ? Ce connard de jeune patron n'avait-il pas mieux à faire que d'envoyer sa secrétaire à nos trousses ? Dans quel monde croyait-il que nous vivions ? Je lui dis qu'il était révolu le temps des cow-boys ou celui de la mafia. Fini l'époque de la violence et des règlements de compte. Plutôt que de nous faire espionner, Cyril ira porter plainte à la police. Pas besoin de charger sa secrétaire d'un sale boulot. Et puis on voit bien que ce n'est pas le genre de fille à faire ça. Comme je m'étais mis à dresser un portrait flatteur de Louise, de sa franchise, de sa loyauté, Akhim coupa court à tous mes arguments. Putain t'as l'air d'la kiffer trop grave cette meuf. T'es mordu ou quoi ? Louise est revenue juste à ce moment là. Akhim ne lui adressa plus le moindre mot. Il m'était difficile de faire croire que rien n'avait changé. Mais que dire ? Il y a des choses auxquelles on pense mais qu'on ne fait pas. Je ne pouvais pas regarder Louise dans les yeux et lui dire qu'Akhim se méfiait d'elle alors que j'étais amoureux d'elle, que tout cela n'était pas contradictoire mais que nous aimerions connaître la vérité. Pourquoi nous avait-elle rejoint ? Pourquoi avait-elle plaqué son boulot pour nous retrouver ?

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