Chapitre 1 | Chapitre 2 | Chapitre 3 | Chapitre 4 | Chapitre 5 | Chapitre 6 | Chapitre 7 | Chapitre 8 | Chapitre 9 | Chapitre 10 | Chapitre 11 | Chapitre 12 | Chapitre 13 | Chapitre 14 | Chapitre 15 | Chapitre 16 | Chapitre 17 |

Chapitre 13 : Devant la télévision Louise me quitter

La télévision ne nous montre qu'une seule face des choses mais elle nous montre beaucoup. Des images qui sont le monde, le monde qui devient une image. Sandra et moi avions vus, presque en direct, des étudiants se faire massacrer sur la place Tienanmen, en Chine, la chute du mur, à Berlin, l'exécution d'un dictateur et sa femme, en Roumanie, ou encore une guerre contre l'Irak dans le Golfe. Nous avons suivi aussi le triste sort de quelques soldats français dans l'ex-Yougoslavie mais ce n'était pas en direct. Il se passait beaucoup de chose dans le monde que nous ne pouvions comprendre. Je laissais ma télévision allumée malgré tout. Sandra n'aimait pas les informations mais elle ne disait pas comme moi : quelles conneries ! Elle n'en pensait rien de mal. Simplement ça ne l'intéressait pas. Elle était la preuve que l'on peut vivre sans être informé mais je n'y croyais pas encore.
Je voulais connaître l'actualité. Les petites hausses du SMIC et les baisses d'impôt, les dernières décisions des ministres et les petits commentaires de l'opposition, la dernière rencontre entre Israéliens et Palestiniens pour aboutir à un accord de paix ou le nouvel attentat sanglant, le dernier voyage du pape, la nouvelle dévaluation de la monnaie au Brésil, mais aussi les résultats des matchs de football, en particulier ceux de l'OM.
Lorsque Bernard Tapie sombra, le club sombra avec lui. Des nombreuses irrégularités dans les affaires de cet homme couvert de gloire furent mises à jour, en plus de la corruption du joueur d'un club adverse. Comme nous assistions à une sorte de grand nettoyage – excès de zèle de la part des juges ? Avaient-ils, eux aussi, envie d'être vu à la télévision ? - il n'était pas le seul à qui le pouvoir judiciaire demandait de rendre des comptes. D'autres hommes d'affaires ou hommes politiques, beaucoup ne faisaient justement plus la distinction, l'ont suivi ou précédé en prison. Sitôt sortis, la télé nous les montrait à nouveau, comme s'ils pouvaient reprendre leurs activités en toutes quiétudes. Etions-nous satisfait ? Nous les regardions, les pauvres. Ils pleuraient dans nos écrans, alors que nous étions à table, tout en affirmant leur désir de retrouver les fonctions qu'ils occupaient avant de choir. Par certains côté, entre la soupe et le dessert, grâce à ces hommes malhonnêtes mais respectueux, la télé nous donnait le sentiment que la justice était d'une grande injustice. Du coup, Akhim, moi, ses amis, d'autres jeunes qui cherchaient encore ce qu'ils pourraient faire de leurs vies, comprenions que ce mot n'avait plus aucun sens.
Avec Sandra je regardais souvent Canal +, en clair, lorsque je n'avais pas encore de décodeur pirate, puis à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Nous regardions, sur cette chaîne, toute une série de nouveaux animateurs et animatrices, des jeunes qui ressemblaient à d'autres jeunes, c'est à dire à elle, à moi. La télé nous disait que n'importe qui, avec une gueule un peu sympa, pouvait faire de la télé. C'est pourquoi, cette chaîne ne nous fit pas seulement fantasmer avec un film porno chaque mois mais, déjà, elle posait les bases du succès futur d’un Loft sur la sixième chaîne, où l’on enfermerait une dizaine de jeunes quelconques pour les filmer 24 heures sur 24 afin d’en faire des vedettes éphémères.
Louise, la belle Louise, sans se douter qu’un jour la télé s’occuperait de réaliser le rêve de milliers de gens comme elle, se voyait derrière le petit écran. Elle voulait être connue et reconnue, aimée et célébrée. Les princes et les princesses de nos jours sont les gens qui passent à télé, c'est ça qui fait rêver, m’expliqua-t-elle. Elle était un peu en avance sur son temps. Du moins, sur le temps de la télévision française. Du coup, le soir, lorsque nous nous étions fatigué de faire l'amour puis de faire connaissance, j'avais allumé la télé pour que nous puissions nous épanouir devant des pubs et des programmes stupides dans lesquels Louise voulait avoir sa place. Cyril avait des relations dans le show-biz, et, franchement, me dit-elle, elle avait espéré en profiter un jour mais, en définitive, c’était pas la peine. Je lui confirmais qu’en plus d’être un connard, son ex-patron était un ingrat, sur lequel on ne pouvait pas compter, même pour passer à la télé. Tu te moques, me dit-elle, mais tu verras.

Ne sachant pas que j’avais emmené Louise chez moi, Akhim sonna à ma porte pendant que nous regardions Nul part ailleurs. Il la salua à peine et lança un regard plein de désapprobation lorsque je la rejoignis sur le canapé. Nous ressemblions alors à un vrai couple et notre attitude de dévotion amoureuse devant le petit écran, réclamait une quelconque sanctification. Mais, sa conception de la femme étant fortement marquée par sa religion, (il avait ouvert le Coran pour savoir ce qu'est une femme et aussi à quoi elle sert ; quand elle n'entrait pas dans les cases mère, sœur ou épouse, c'était une pute en puissance) Akhim ne pouvait nous la donner. Ayant couché avec moi quelques heures après notre rencontre, Louise ne pouvait être qu'une pute. Et je regardais la télé avec elle au lieu de la jeter ! Il faillit partir mais finalement il posa son cul sur un siège. Je faisais une dégringolade terrible dans son estime. Pour remonter tous les paliers desquels j'avais chutés, il aurait fallu que j'humilie Louise devant lui. Il attendait, sans doute avec un espoir, mais cette idée ne m'effleura jamais l'esprit.
Antoine de Caunes, déguisé en rocker, avec une banane, un œil au beurre noir et quelques dents en moins, faisait son numéro à la télé. Il jouait la provoc et l'invité américain ne savait trop s'il devait lui répondre ou l'écouter sans réagir. Louise fixait l'écran en souriant des pitreries de l'animateur. Elle ne prêtait aucune attention à Akhim. Il était en proie à une colère silencieuse, dégoûté et un peu gêné, car il avait réellement honte pour moi. Pour détendre l'atmosphère, je décidai de rouler un joint. En bon professionnel Akhim ne put s'empêcher d’examiner mon morceau de shit. Il fut rassuré de voir qu'il provenait de chez lui et le reposa sur la table en disant qu'il en avait du meilleur encore, qu’il me ferait goûter. Il sous-entendait, lorsque tu te seras débarrassé de Louise. Nous avons fumé en nous passant le joint. Contrairement à son habitude, Akhim ne s'attarda pas dessus. Il semblait toujours en colère mais je ne lui accordais plus aucune attention, j’étais sur un nuage où il faisait bon ne pas penser.
Louise et moi n'avions rien mangé de la journée tellement nous nous étions occupés de baiser. Je réalisais que j'avais faim et j'allais faire une prospection dans ma cuisine. Il y avait des pâtes et une boîte de sauce tomate mais je ne trouvais pas de fromage dans le frigo. Je faillis descendre chez l'Arabe qui me faisait crédit pour en acheter. J'y renonçais. Je vérifiais sur la boîte, à cause d'Akhim, qu'il n'y avait pas de morceau de porc dans la sauce. Lorsque je revins dans le salon, pour leur demander s'ils avaient également faim, je les trouvais occupés. Louise était courbée sur la table. Je vis des petites lignes blanches disparaître dans ses narines et il me fut impossible de retenir ma colère.
Qu'ai-je fais ? Qu'ai-je dis ? Je ne m'en souviens plus. Mais j'entends encore sa voix, si haute, si tranchante, qui me déchirait le corps. Mais qu'est-ce qui t'arrive, ça ne va pas ou quoi ? Non ça n'allait pas du tout. Il était hors de question de faire ça chez moi. Mais ça quoi ? Akhim, comprenant qu'il était allé trop loin, proposa de rendre à Louise son argent contre la coke qu'elle venait de lui acheter. Elle refusa, toujours en me regardant droit dans les yeux. Mais pour qui tu te prends ? C'est pas parce que tu m'as baisée que tu as tous les droits sur moi ! Elle prit ses affaires et claqua la porte derrière elle en disparaissant.

13 Achetez le recueil de nouvelles sur amazon.fr
Bookmark and Share