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Chapitre 14 : Louise est partie

Deux ou trois jours passèrent durant lesquels je ne pouvais cesser de penser à Louise. J'avais arpenté la rue Amelot, de long en large, à différents moments de la journée, espérant tomber par hasard (puisque le hasard fait parfois bien les choses) sur elle. Cela ne se produisit jamais. J'avais donc repris contact avec Jésus pour l'interroger. Je m'étais dit qu'ils avaient peut-être travaillé ensemble chez Cyril. Ce n'était pas le cas. Mais, parmi toutes ses relations, Jésus connaissait quelqu'un qui pouvait me donner le numéro de téléphone de Louise. Il refusa de me dire qui était cette personne. Il m'assura qu'il allait se renseigner et raccrocha. J'eu le sentiment d'avoir fait une erreur. Il avait essayé de me rendre service en me trouvant du travail et je le rappelais pour avoir le numéro d'une fille que je connaissais à peine. Cela n'était pas très sérieux. En réalité, Jésus était trop occupé pour avoir une conversation au téléphone et ce que j'avais pris pour de la mauvaise humeur à mon égard était lié au stress de son travail. Je pensais qu'il m'avait poliment éconduit et que je n'aurais plus aucune nouvelle de lui, or il me rappela quelques jours plus tard.
Il avait fait sa petite enquête et pouvait me dire que mon affaire avait bien avancée. Il proposait de me donner les moyens de retrouver Louise le lendemain soir, à 21H00, dans un bar qui s'appelle La Croisette. Mais c'est pas à Cannes crut-il utile ou drôle de préciser. Je connaissais ce bar. Louise y serait-elle ? Jésus refusa de m'en dire davantage. Il revint en revanche sur les incidents qui s'étaient produits chez Cyril car, au cours de son enquête, tous les événements de mon aventure lui étaient venus aux oreilles. Il me dit qu'en échange de la possibilité de revoir Louise, il attendait quelque chose de ma part. Je promis tout ce qu'il voudrait. Alors il me demanda de convaincre Akhim de présenter des excuses à Cyril. Il avait arrangé les choses avec son ancien patron. Ce dernier était prêt à ne pas porter plainte contre nous si nous lui présentions des excuses. Présenter des excuses ne faisait absolument pas parti des habitudes d'Akhim mais je promis quand même qu'il le ferait.

Après cet appel de Jésus, je me mis à la recherche de mon dealer préféré dans Belleville. Depuis que Louise avait claqué ma porte, lui aussi avait disparu. Je pensais avoir une chance de le trouver sur la petite place, en bas du parc de Belleville. Sinon, les jeunes qui y passent leurs journées à rouler des joints, me renseigneraient.
C'est effectivement ce qui se produisit. Il est tipar, me fit un jeune au crâne rasé portant chaîne en or et survêtement Nike sur chaussures Adidas blanche immaculées. En général, ces jeunes font économie de parole lorsqu'ils s'adressent à des personnes étrangères à leur bande, mais, grâce à Akhim, j'étais suffisamment connu d'eux pour qu'ils daignent m'en dire un peu plus. Mon ami était allé voir un gars, à Saint-Denis, et il allait revenir, peut-être dans la soirée, mais ce n'était pas sûr. Ne me restait plus qu'à les remercier, au moins pour leur montrer que cela était encore d'usage. Voulant profiter plus longtemps de cette petite ballade, je fis un détour pour rentrer chez moi. Je me mis à réfléchir tout en marchant.
Présenter des excuses à un homme tel que Cyril était absolument indigne d'Akhim. C'était à cause de moi qu'il s'était battu. Moi seul devait arranger les choses ou en subir les conséquences. Ne valait-il pas mieux ne rien demander à mon ami ? Dans ce cas, ne pas tenir parole vis-à-vis de Jésus ? Je me demandais si j'étais un homme d'honneur et de parole. Cyril, à coup sûr ne l'était pas. Jésus l'était, Akhim également. La connaissance du mot dilemme pourrait permettre de savourer le caractère cornélien de la situation à laquelle je devais faire face. Les vrais dilemmes ne sont pas vécus tous les jours. D'un côté l'honneur, de l'autre l'amitié. Je me sentais bêtement grand, comme les héros de tragédie, mais aussi dans la merde et ça, c'était la réalité. Je pris une décision : celle de tout mettre en oeuvre afin d'obtenir d'Akhim qu'il s'excusa auprès de Cyril. Tout en marchant, j'essayais de trouver une stratégie afin d'aboutir à mes fins. Il me fallait de très bons arguments pour le convaincre. Le fait que Cyril ne porte pas plainte pouvait en être un. En traversant le boulevard de Belleville, cet argument me parut assez mince et il ne fut plus du moindre poids dans la rue du Faubourg du temple, à moins, me dis-je, qu'Akhim ait peur de la police.

Ses copains qui traînent et, sans que ce ne soit péjoratif, finissent pas se définir comme de la racaille (terme qui signifie, au sens figuré, des choses sans valeur, mais le savent-ils ?), lui avaient transmis le message suivant : Y'a ton pote du 10 qui t'cherche. A peine arrivé chez moi, Akhim se mit à rouler un joint. Du shit marocain qu'il l'avait obtenu directement chez l'importateur, à La Courneuve finalement. La fumée du joint s'élevait jusqu'au plafond. Je l'appréciais. Il était fort mais se laissait fumer tout en douceur. Ses effets étaient presque immédiats. Une grande torpeur m'avait envahit et je souriais, fatigué de moi, de mes illusions et de mes efforts pour influer sur les événements de mon existence. Cette lassitude n'était cependant pas désagréable. Putain, j'en connais qui vont kiffer grave avec ça, affirma Akhim. Je tentais de lui parler de Louise. Il n'avait pas changé d'avis à son sujet : c'était une pute. Je répondis qu'elle était vachement cool en réalité. Je voulais lui parler de Cyril aussi, lui expliquer ce que Jésus m'avait demandé et pourquoi je voulais qu'il le fasse, mais je n'y parvins pas. C'est lui qui s'était mis à me raconter une petite histoire.

Quelques années plus tôt, au temps où j'étais encore avec Sandra, certains jeunes du quartier avaient gagné vraiment plein de thunes. Akhim débutait dans le métier et ne pouvait s’empêcher de les regarder avec une certaine admiration. Il voulait faire comme eux. Son père lui avait trouvé du boulot dans l’usine où il en chie, mais Akhim n’était resté qu’une journée. Il avait très vite compris. Il préférait faire du business. Du coup, il avait commencé à traîner avec ces gars qui dealaient. Et quelle différence ! Chaque jour, il voyait passer plus d'argent que son père n’en a jamais vu de toute sa vie. La drogue rapportait vraiment beaucoup aux gars dont il me parlait. Mais ils étaient trop bêtes. Ils se sont acheté des belles voitures. Ils ont tourné dans le quartier au volant de bolides qu'ils avaient payés en espèces tout en ne sachant quoi faire. Quelquefois, ils faisaient monter des filles et les emmenaient faire un tour. Ils finissaient par les baiser sur un parking et revenaient, tout fier de s'être vider les couilles, s'en vanter auprès de leurs potes. Comme c'était toujours les mêmes filles, ça devenait trop monotone. Il leur en fallait des nouvelles. Ils sont partis les chercher ailleurs. Ils sont tombés sur des jeunes droguées, futures prostitués qu'ils ont aidé à mettre un pied dans l'étrier. Dés qu'une fille leur rapportait de l'argent, ils gonflaient encore plus leurs torses. L'une d'entre elle en a eut assez de donner tout son fric à un jeune frimeur, elle s'est embrouillée avec lui pour une histoire bizarre. Elle est allée voir un autre gars, un vrai pro celui-là, soi-disant pour lui acheter son indépendance. Le gars ne rigolait pas. Il a pris des flingues et quelques potes et ils ont fait une descente dans le quartier. Rien que pour faire peur et montrer qui ils étaient. Mais les potes d'Akhim ne se sont pas dégonflés. Celui qui était avec la fille, celle qui voulait être indépendante, a dit qu'il n'était pas question qu'il baisse son froc devant n'importe qui. Il a battu la fille à mort, puis il s'est trouvé un flingue et il s'est baladé partout avec. Il l'a fait pendant 3 jours, le quatrième il s'est fait avoir. Ils l'ont buté. Le pire dans cette histoire, c'est qu'il aimait vraiment cette pouffiasse, le gars qu'est mort. Et elle, elle l'adorait. Après sa mort, elle s'est fait un dernier shoot. Le genre sans retour. On l'a retrouvée morte par overdose. Les autres, c'est pareil, ils font confiance à des meufs, veulent faire du fric avec elles et puis ça foire. Ils sont tous morts ou en taule. C'est comme ça que ça se passe. Akhim le sait très bien. Combien en a-t-il connu qui ont mal fini à cause d'une jolie fille ? Un nombre incroyable. C'est pourquoi, lui, il ne veut ni faire étalage de son fric ni se mettre avec une gonzesse. Son but n'est pas de frimer comme les autres imbéciles, ni de tomber raide dingue d'une pute.

Ayant fini de raconter son histoire, il me demanda si j’avais compris ce qu’il voulait dire. Question inutile. Tout était clair pour moi. Seulement je ne voyais pas les choses de la même manière que lui. Il avait raison d'être prudent, mais ce qui aurait été encore plus judicieux de sa part, c'est qu'il cessa complètement ses activités alors qu'il était encore temps et qu'il devienne honnête. Ce mot l'a fait rire. Mais qui est honnête ? M'a-t-il demandé, l'autre pédé de Cyril, tu crois qu'il est honnête ? On peut pas gagner du fric en étant honnête. Même les hommes politique, tu vois bien qu'ils magouillent. Effectivement, je n'avais peut-être pas employé le mot qu'il fallait. C'était trop bête. Quels exemples pouvais-je lui donner ? Quels arguments ? Je ne savais plus. Je pensais à Louise. Mais cette fille ne nous a pas raconté de conneries, lui dis-je, on peut lui faire confiance. De suite, je me rendis compte que je venais de prononcer un autre mot malheureux. Akhim a braqué sur moi son regard noir. Mais t’es ouf ma parole, t’es chtarbé ! Confiance ? D’où tu sors que j’vais faire confiance à une meuf moi ? Ensuite il a soufflé. La fumée, en sortant de sa bouche, a formé un petit nuage au-dessus de nos têtes. Il m'a passé le joint. J'ai tiré une bouffée. Je n'avais plus les idées très claires. Akhim s'est levé, moi, dans mon état, je ne pouvais le faire. J'ai tendu la main, elle a claqué contre la sienne puis j'ai serré le poing et nos mains se sont à nouveau rencontrées, poing contre poing.

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